Logement intermédiaire : l'IGF et le CGEDD reviennent à la charge sur le Pinel
Un rapport au Parlement sur le "développement de l'offre de logement locatif intermédiaire par les investisseurs institutionnels" constate que celle-ci reste très limitée, le logement intermédiaire étant surtout porté par les investissements des particuliers qu'encouragent les dispositifs type Pinel. Sauf que ces investissements, on le sait, ne se font pas dans les zones où le besoin est le plus fort. Plusieurs suggestions sont formulées : ne plus imposer 25% de logements sociaux dans un programme de logements intermédiaires (pour TVA à taux réduit), évaluer les besoins lors des PLH, développer les filiales dédiées chez les bailleurs sociaux... et faire évoluer le Pinel.
L'Inspection générale de finances (IGF) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont remis au Parlement un rapport sur le "développement de l'offre de logement locatif intermédiaire par les investisseurs institutionnels". Alors que le logement intermédiaire est reconnu comme une nécessité pour les ménages à revenus moyens qui ne peuvent faire face, dans les territoires tendus, aux loyers libres sans pour autant pouvoir accéder facilement au logement social, les résultats actuels sont en effet pour le moins mitigés.
Un million de logements sortis du parc des investisseurs institutionnels en 35 ans
Le rapport constate que l'offre de logements locatifs intermédiaires "résulte majoritairement d'investissements réalisés par des particuliers qui s'avèrent peu adaptés aux besoins des publics éligibles". Il explique que "l'histoire de l'offre résidentielle en France a permis de mettre en évidence la quasi-disparition du paysage immobilier d'une offre intermédiaire spontanée, remplacée par la production de logements portée par des particuliers investissant dans l'immobilier locatif sur incitation fiscale et d'une augmentation du parc social", à travers des dispositifs comme le Pinel. Ces logements sont passés de 5,4 millions en 1984 à 7,2 millions de logements en 2019, alors que près d'un million de logements sont sortis du parc des investisseurs institutionnels en 35 ans.
De leur côté, les bailleurs sociaux ne proposent qu'une offre très limitée de logements intermédiaires – issue de financements PLI (prêts locatifs intermédiaires). Leur parc de logements intermédiaires s'élève en effet à 53.000, soit seulement 1% du parc social. Cette offre des bailleurs sociaux est soumise aux mêmes plafonds de ressources et de loyers que les logements Pinel dans le parc privé.
Le rapport estime pourtant que les besoins en logements locatifs intermédiaires se situent entre 180.000 et 420.000 unités nouvelles sur une décennie, soit un investissement en fonds propres de l'ordre de 20 à 45 milliards d'euros sur la période. Entre 320.000 et 560.000 ménages seraient en attente d'un logement locatif intermédiaire au niveau national (dont 280.000 pour la seule Île-de-France). Pourtant, les logements construits dans le cadre des dispositifs Pinel et Duflot sont très majoritairement situés en zones B1, B2 et C, là où les loyers de marché ne sont généralement pas éloignés des loyers sociaux.
Pas besoin d'une "intervention massive" de l'État
L'IGF et le CGEDD estiment que "s'il est difficile d'apprécier objectivement tant la capacité que l'inclination des investisseurs institutionnels à renforcer leur présence sur le segment du logement locatif intermédiaire, les acteurs rencontrés tendent à considérer que le marché pourrait financer 50.000 logements intermédiaires par an sous réserve de capacités de production adéquates. Les 2,0 à 4,5 milliards d'euros qu'il conviendrait de consacrer en fonds propres chaque année ne semblent pas constituer un obstacle majeur".
L'atteinte d'un tel objectif suppose néanmoins "une réallocation conséquente au sein de leurs portefeuilles d'actifs dans un contexte marqué par leur retrait du résidentiel depuis les années 1980". En effet, l'immobilier ne représente plus que 6,3% de la valeur des actifs détenus par ces institutionnels (dont seulement 1% pour le résidentiel, soit 22 milliards), contre près de 85% pour la part des valeurs mobilières.
Pour faire revenir les institutionnels sur le logement intermédiaire, le rapport juge qu'il n'est pas besoin d'une "intervention massive" de l'État. La solution réside en revanche dans une plus grande fluidité du marché et dans la diversification de l'offre.
Vaincre les réticences de certains maires
Pour encourager le développement du logement intermédiaire, le rapport suggère donc notamment de mettre fin – dans les communes ayant atteint les 25% de logements sociaux – au critère consistant à imposer au moins 25% de logements sociaux au sein d'un programme de logements intermédiaires pour bénéficier du taux réduit de TVA de 10% (dérogation déjà accordée aujourd'hui aux communes affichant 35% de logements sociaux). Autre piste : élargir à la rénovation de logements les avantages fiscaux dont bénéficient les investisseurs institutionnels dans le cas de la construction de logements intermédiaires neufs.
Pour l'IGF et le CGEDD, il faut aussi vaincre les réticences de certains maires à produire du logement (voir notre article du 16 juin 2021). Pour cela, ils préconisent "de rendre obligatoire l'évaluation des besoins en logement intermédiaire dans les programmes locaux de l'habitat (PLH), tout en procédant à l'évaluation ex post des niveaux de loyers et des impacts du neuf sur la vacance". De même, la prise en compte des objectifs en matière de logement intermédiaire au sein des plans locaux d'urbanisme (PLU) devrait être rendue obligatoire. Enfin, côté incitation, le rapport préconise, après une expérimentation de deux ans, de transformer l'exonération de la taxe foncière (vingt ans pour le logement intermédiaire) en un mécanisme de crédit d'impôt, qui serait supporté par l'État. Une piste qui va plutôt dans le sens des demandes de l'AMF et des autres associations de collectivités (voir notre même article du 16 juin 2021).
Vis-à-vis des bailleurs sociaux, il conviendrait de faciliter le développement de filiales dédiées au logement intermédiaire par les organismes HLM, en facilitant l'ouverture de leur capital et en permettant à ces organismes de gérer en direct les logements acquis ou construits par leurs filiales.
Fin du Pinel : pour une réforme ambitieuse... mais pas forcément réaliste
Au-delà des investisseurs institutionnel se pose aussi la question de l'après Pinel, dont l'avantage doit se réduire à partir de 2023 avant de s'éteindre – normalement – en 2024 (voir notre article du 20 novembre 2020). Or le Pinel représente environ 50.000 logements par an, alors que les institutionnels ont réalisé en moyenne 8.000 logements par an depuis 2014.
L'IGF et le CGEDD ont déjà eu l'occasion, dans un rapport de novembre 2019, de formuler un grand nombre de critiques à l'encontre du dispositif Pinel, tout en reconnaissant qu'il est difficile de le supprimer totalement (voir notre article du 15 novembre 2019). Le rapport appelait néanmoins à une réforme en profondeur. Près de deux ans plus tard, l'IGF et le CGEDD reviennent à la charge en proposant de remplacer le Pinel, à la fin programmée, par un mécanisme de souscription dans des fonds de "pierre-papier" de type OPCI (organisme de placement collectif en immobilier).
Le rapport lui-même émet toutefois quelques sérieux doutes sur une telle évolution, qui supposerait une petite révolution chez les épargnants actuels du Pinel. En effet, une telle mesure "présente une limite majeure en ce que ce fonds constituerait une importante évolution culturelle du comportement de l'épargnant investissant dans l'immobilier. Avec le Pinel, si l'épargnant recherchait avant tout le bénéfice fiscal, il était in fine propriétaire de son logement. L'investissement dans un OPCI ne permet pas un tel lien de propriété avec un bien, mais consiste au contraire en l'acquisition de parts d'un fonds donnant droit à une rémunération annuelle". Une montée en puissance des institutionnels dans le logement intermédiaire à hauteur des 50.000 logements actuels par an du Pinel semblant difficilement envisageable d'ici à 2024, on peut donc se demander si le dispositif ne sera finalement pas appelé – une nouvelle fois – à survivre à cette échéance, sous une forme ou sous une autre.