Logement d’abord : en attendant l’acte II…
Alors que la présentation du deuxième plan quinquennal pour le Logement d’abord "ne va plus tarder", des représentants de l’État, des collectivités, des associations et des bailleurs sociaux ont échangé, lors d’un webinaire, sur le bilan et les perspectives de cette politique encore récente, qui constitue un changement de paradigme important pour tous les acteurs de l’hébergement social et du logement.
Alors que l’impatience grandit tant sur l’acte II du plan Logement d’abord que sur la politique du logement en général (voir notre article), une webconférence intitulée "Le Logement d’abord : quel bilan et quelles perspectives ?" s’est tenue le 25 mai 2023, à l’initiative du Réseau des acteurs de l’habitat. L’occasion pour les participants – État, Union sociale pour l’habitat (USH), Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et métropole de Lyon – de souligner une nouvelle fois la pertinence du "changement de paradigme" que représente la politique du Logement d’abord, de mesurer le chemin parcouru mais également d’échanger sur les nombreux défis associés à sa mise en œuvre.
"Le Logement d’abord ne fonctionnera que s’il est bien intégré dans une politique globale du logement"
Prenant la suite de l’expérimentation "Un chez-soi d’abord", un plan quinquennal a été lancé en 2017 pour généraliser l’approche du Logement d’abord. Cette dernière consiste à considérer que l’accès à un logement est un point de départ dans le parcours de réinsertion d’une personne et non un "graal" à conquérir après de nombreuses étapes. Depuis le début de ce plan, "440.000 personnes ont accédé au logement à partir de la rue ou de l’hébergement", rappelle Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). Ce dernier insiste sur le "travail de conviction" nécessaire, via notamment la formation, pour permettre le changement de pratique parmi les acteurs concernés, en premier lieu les travailleurs sociaux, dans le secteur de l’hébergement social et les services des collectivités territoriales.
"Il y a encore du travail mais les bases sont là", salue Nathalie Latour, directrice générale de la FAS, soulignant les efforts de coordination observés dans certains territoires. Si l’accès des ménages sans domicile au parc locatif social a progressé et si des types de logement tels que les pensions de famille ont été relancés, "on est très loin du compte par rapport aux besoins", affirme Thierry Asselin, directeur des politiques urbaines et sociales à l’USH. "Le Logement d’abord dans sa nouvelle version ne marchera que s’il est bien intégré dans une politique globale du logement vraiment soutenue", juge-t-il. Il insiste en particulier sur les attributions de logement liées à un impératif de prévention, vis-à-vis notamment des personnes non pas sans abri mais hébergées chez des tiers - qui représenteraient "entre un quart et un tiers des demandeurs". Ainsi l’enjeu est selon lui de parvenir à "relancer la mécanique" de production de logement social, dans un contexte particulièrement tendu avec la hausse des taux d’intérêt. Cela passe notamment pour l’USH par une remise en cause du mécanisme de réduction de loyer de solidarité instauré en 2018, qui a réduit les capacités d’investissement des organismes HLM.
"Les collectivités ont beaucoup de leviers", il faut "un pilote dans l’avion"
"On ne réglera pas la question du Logement d’abord tant qu’on n’aura pas une politique beaucoup plus volontariste en matière de logement tout court", renchérit Renaud Payre, vice-président de la métropole de Lyon délégué à l’habitat, au logement social et à la politique de la ville. Dans son territoire, il estime que la métropole et l’État parviennent à travailler ensemble. Mais de son point de vue, le fait pour une collectivité de "participer à l’hébergement qui reste une compétence de l’État (…) pose toute une série de problèmes". Il en donne un exemple : l’approche politique du public cible n’est pas la même, la métropole revendiquant de ne "pas regarder les conditions", y compris sur la question du permis de séjour, alors que pour l’État, c’est l’hébergement d’urgence qui doit assurer cet accueil inconditionnel.
"Les collectivités ont beaucoup de leviers entre les mains" et le Logement d’abord fonctionne "d’autant mieux qu’il y a un pilote dans l’avion", estime Thierry Asselin. Il cite la communauté d’agglomération de Sophia Antipolis qui a intégré tout un chapitre sur le Logement d’abord, décliné en objectifs chiffrés par type d’opérations, dans son programme local de l’habitat (PLH).
Sur la mobilisation du parc privé et l’intermédiation locative, Renaud Payre, également coprésident du groupe de travail sur le Logement d'abord de France urbaine, appelle à "changer d’échelle", notamment via la réhabilitation et la mise à disposition des "étiquettes énergétiques les plus dégradées". Il plaide également pour une accélération de la lutte contre la vacance, en ouvrant la possibilité de réquisitions. "Tout le monde doit balayer devant sa porte", y compris l’État et les collectivités, invite l’élu qui est actif au sein de l’association de collectivités "Agir contre le logement vacant" créée fin 2022 (voir notre article du 16 novembre 2022).
La vacance, c’est "un sujet en trompe l’œil", lui répond Sylvain Mathieu. Certes nécessaire, la lutte contre ce phénomène est "très difficile" pour des résultats très faibles, juge le Dihal qui considère que "la réalité de ce qui est captable" est bien en-deçà du chiffre de l’Insee de 3 millions de logements.
Vers des moyens à la hauteur de l’ambition ?
Quant à la présentation tant attendue du deuxième plan quinquennal pour le Logement d’abord, "ça ne va plus tarder", assure Sylvain Mathieu. Il rappelle que ce nouveau volet continuera à développer "les fondamentaux" de cette politique : pensions de famille, PLAI et PLAI adaptés, intermédiation locative. L’enjeu sera également de renforcer la dimension de coordination avec des secteurs tels que la santé et le logement, précise le Dihal, par exemple pour orienter davantage de "personnes sorties de l’hébergement" vers des chantiers d’insertion.
"Tout ce changement de paradigme, tout ce travail dans la complexité, il faut qu’il soit soutenu", préconise Nathalie Latour, insistant sur la nécessité de donner des moyens suffisants à l’accompagnement social. Tous alertent sur l’importance du travail sur le maintien dans le logement, Thierry Asselin mentionnant en particulier la hausse des impayés dans le parc social et "la recrudescence du repli sur soi et des problématiques de santé mentale". La FAS comme l’USH demandent une visibilité sur les crédits, avec un engagement pluriannuel de l’État.
"On bute sur une question de moyens", déplore Renaud Payre, estimant que les ordres de grandeur indiqués par le gouvernement sur le futur plan ne sont "pas du tout à la hauteur". Le groupe de travail de France urbaine porte actuellement un plaidoyer au niveau européen pour que la lutte contre le sans-abrisme devienne "une cause" et "une politique publique" pour l’UE et que des financements européens soient attribués directement aux collectivités. "C’est le bon moment parce que l’emploi revient", estime le vice-président de la métropole lyonnaise, alertant sur le fait que, si des offres d’emploi ne trouvent pas preneurs, c’est "à cause du logement".