Logement, activités économiques : le chemin ardu du renouvellement urbain
L’objectif de zéro artificialisation nette fait de la densification urbaine la voie à privilégier à l’avenir. Un chemin ardu qui interroge les capacités d’arbitrage et de planification des collectivités. La place future à donner aux activités économiques étant un point majeur.
L’objectif de sobriété fixé par la loi Climat et Résilience entraînera des décisions difficiles dans des territoires déjà en manque de foncier pour satisfaire les besoins en logement comme les projets de développement économique. Dans ce contexte, comment gérer la ressource foncière ? La question était au centre de la matinée, organisée mardi 29 novembre par le groupe Scet, filiale de la Caisse des Dépôts spécialisée dans l’appui aux projets d’aménagement.
Intérêt socio-économique en centre-ville
Le coup de frein de 50% de la consommation d'espace fixé par le législateur d’ici à 2030, et à zéro artificialisation nette d’ici 2050, impose la voie du renouvellement urbain. En 2017, l’agglomération du Saint-Quentinois a décidé de reconvertir la friche industrielle Maréchal Juin située à Saint-Quentin (Aisne) en un écoquartier mixte, comprenant une offre diversifiée de logement (intergénérationnel, social, étudiant), un centre de formation, une maison de service pour les étudiants, et un espace dédié au tertiaire. Une "densification intéressante sur une surface d’un peu moins d’un 1,5 hectare”, précise Nathalie Tanière, directrice générale de la Seda, à qui l’agglomération a confié l’aménagement du site. Selon elle, "il aurait paru fou de faire ce projet là en extension urbaine".
A raison, selon les calculs du groupe Scet. Malgré des coûts importants principalement liés à la requalification de la friche et à la maîtrise foncière, l’intérêt de ce projet l’emporte sur le scénario miroir fictif sur du foncier non-artificialisé en deuxième couronne que le groupe Scet a imaginé, à titre de comparaison. Si ce dernier coûte un peu moins cher, sa "valeur actualisée nette socioéconomique" est largement inférieure, faute de bénéfices non-marchands (sur la santé, le temps de transport, l’environnement, etc.) substantiels. "Avec une localisation en centre-ville, les occupants ne sont pas les seuls bénéficiaires. Il y a aussi les riverains, ainsi que la puissance publique qui bénéficie du regain d’attractivité du quartier [...] En centre-ville, il va y avoir du passage et les qualités architecturales seront susceptibles d’être démultipliées", commente Vincent Horvilleur, consultant en évaluation des politiques publiques du groupe.
41% des parcs d’activité seront saturés en 2025
Reste que les projets de renouvellement urbain suscitent eux aussi des résistances. Faisant face à une "pression très forte sur l’immobilier résidentiel", "la collectivité est confrontée à l’émergence de projets spontanés dans les faubourgs où il y a des locaux d’activité en déshérence", témoigne Olivier Broussois, directeur général de la Société d’équipement du Poitou. Il décrit aussi de nombreux opérateurs, qui "achètent des pavillons et se réunissent". Une tendance qui suscite "des réactions très vives d’associations de riverains". "On sait qu’il va falloir intensifier le tissu, mais il va y avoir beaucoup de blocages", reconnaît l’aménageur.
La question se pose avec encore plus d’acuité s’agissant des activités économiques, alors que 41% des parcs d’activité seront saturés à horizon 2025, d’après les estimations de la Scet. Que donnerait le cas du parc d’activité Aliénor d’Aquitaine, lancé en 2014 entre Poitiers et Migné-Auxances (Vienne) sur 200 hectares de parcelles non-artificialisées, mais sous la forme d’une requalification de friche? Ce scénario fictif imposerait de trouver plusieurs sites, générerait des coûts d’opération "significativement plus élevés", et ce, sans bénéfices non-marchands supplémentaires, selon les calculs de la Scet. Les externalités négatives liées aux nuisances sonores pour les riverains seraient alors "décuplées" par rapport au projet en extension urbaine, explique Vincent Horvilleur. Qui, lui, apporte comme autre avantage de permettre des synergies entre entreprises, par exemple en matière de recyclage de déchets.
Réversibilité des espaces
Alors que "l’aménagement s’est construit culturellement sur l’extension", "de quelle manière devient-on aménageur de la transformation?", interroge Djamel Klouche, architecte-urbaniste de l’agence AUC. Selon lui, les friches relèvent encore de l’impensé pour les aménageurs, et n’entraînent pas forcément d’importantes démolitions. "Ces territoires-là sont habitables et transformables", déclare-t-il en faisant référence à la Croix-Blanche, une zone commerciale désaffectée en Essonne longtemps considérée comme une "verrue" et dont la reconversion a finalement été engagée.
"Il faut se poser la question des usages dans le temps", ajoute Rachel Linossier, maître de conférences à l’Institut d’urbanisme de Lyon. Et pour cela, sortir des “programmations opérationnelles très typées, normées” qui cadrent les usages, comme en témoigne la multiplicité des sous-destinations dans la production de biens et services. Elle note que désormais, la problématique de la friche "surgit dans les zones commerciales et les mutations rapides dans des territoires qui ne se projetaient qu’en extension". Un fait "nouveau" qui pourrait toutefois être moins compliqué à gérer si l’on suppose "que la friche commerciale est moins polluée", remarque-t-elle.
La réversibilité permettra d’éviter l’obsolescence des bâtiments. Anne Demians, membre de l’Académie des Beaux-Arts à l’Institut de France, identifie plusieurs critères “invariants” pour qu’elle opère : une hauteur sous plafond de 3 mètres, des trames de construction identiques, des normes de sécurité incendie communes, l’absence de cloisonnement et la possibilité d’avoir des espaces extérieurs. Cela permettrait en outre la "superposition des usages" dans une même tour, par exemple. Elle note toutefois des obstacles à la diffusion de cette démarche. Le permis d’expérimenter permis par la loi Essoc "n’a été appliqué que pour deux ou trois projets au maximum". Autres freins : la complexité des normes de sécurité incendie, une problématique "interministérielle", ainsi que la persistance d’une TVA différenciée entre bureaux et logements qui fait varier les temps d’amortissement pour les investisseurs.