L’heure des réseaux de chaleur a-t-elle enfin sonné ?
Décret Classement, revalorisation du fonds Chaleur, aide au raccordement, sans oublier naturellement la crise énergétique, autant d’éléments qui ont fait de 2022 une année faste pour les réseaux de chaleur, constate l’association Amorce à l’occasion des 18es rencontres qu’elle a consacrées ce 6 décembre à ce mode de chauffage. Reste que la route est encore longue pour faire passer ces réseaux, parés de toutes les vertus, "de l’exception à la règle". Pour y parvenir, l’association plaide pour une nouvelle revalorisation du fonds Chaleur, que vient d’ailleurs de voter le Sénat, contre l’avis du ministre.
La crise énergétique constituera-t-elle le point de bascule qui fera passer, en France, les réseaux de chaleur et de froid "de l’exception à la règle" ? C’est ce qu’espère l’association Amorce, qui organisait ce 6 décembre ses 18es rencontres consacrées à ce mode de chauffage, qui peine toujours à sortir de l’anonymat. "Les réseaux de chaleur, c’est la source de chaleur la plus vertueuse, et la moins connue", déplore Nicolas Garnier, délégué général de l’association.
Des réseaux aux nombreux attraits…
Amorce les pare en effet de toutes les vertus : "Les réseaux de chaleur, c’est la valorisation du territoire", scande Céline Lorrain, directrice des ventes au Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU). "C’est une énergie produite localement, qui crée des emplois non délocalisables et qui remplace des énergies fossiles importées. C’est une source de chaleur trois fois plus vertueuse que l’électricité en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Ses émissions ont été réduites de près de moitié en 10 ans : 125g éq. CO2 en moyenne par kWh, contre 216 en 2011", vante Yann Rolland, président du syndicat. "C’est sans doute la seule énergie renouvelable qui ne pose pas de problème d’acceptabilité", ajoute Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon Métropole et d’Amorce. "62,6% de la chaleur livrée par les réseaux en 2021 a été produite à partir d’énergies renouvelables et de récupération", complète Nicolas Garnier, qui souligne encore l’argument prix, plus fort que jamais avec l’explosion des coûts du gaz et de l’électricité. Et ce, même si les réseaux de chaleur ne sont pas totalement épargnés par cette hausse. Pour preuve, "le bouclier tarifaire, applicable dès septembre 2021 aux logements individuels, a été étendu en avril dernier aux logements collectifs, pour couvrir la part gaz qui alimente les réseaux", précise Céline Lorrain. Las, "certains réseaux de chaleur, bien que vertueux, sont encore oubliés, notamment ceux alimentés majoritairement par la géothermie, qui fonctionnent avec beaucoup d’électricité", déplore-t-elle.
… mais qui peinent à séduire
Pour autant, les réseaux de chaleur peinaient jusqu’ici toujours à séduire, comme le constatait l’an passé la Cour des comptes (voir notre article du 7 septembre 2021). "En dépit des programmes de soutien, la part de marché des réseaux de chaleur reste de 4,5% depuis des années", déplore Serge Nocaudie, vice-président de l’Ademe. Un graphique établi par Amorce montre qu’alors que la part des réseaux de chaleur représentait en 2007 plus du double de celle des pompes à chaleur, cette dernière s’est depuis envolée pour atteindre 12,5% de parts de marché en 2020, quand les réseaux ne dépassent toujours pas les 5%. Nicolas Garnier avance trois explications : "D’abord, une raison sociologique. Les gens veulent du chauffage individuel et pensent que les réseaux de chaleur ne répondent pas à leurs attentes. Or ils ne les empêchent nullement de réguler leur consommation. Ensuite, la façon dont sont construits nos immeubles, qui ne permet pas leur raccordement en l’absence de boucle d’eau chaude collective. 80% des immeubles construits depuis 2000 ne peuvent pas être raccordés. Enfin, le fait que la France ait été construite autour de l’électricité et du gaz, avec Électricité de France et Gaz de France." Un tropisme dont il n’est pas aisé de se défaire.
2022, un tournant ?
Mais Amorce veut croire que 2022 sera un tournant. Outre la crise énergétique, l’année a été marquée par trois événements d’importance, souligne l’association. D’abord, "une augmentation exceptionnelle, en cours d’année, de 40% du fonds Chaleur (voir notre article du 17 mars). Et l’on est certain aujourd’hui que les 520 millions d’euros de budget seront engagés", se félicite Bénédicte Genthon, directrice adjointe à l’Ademe. Ensuite, le décret Classement (et son arrêté), qui impose le raccordement des bâtiments neufs ou qui changent de système de chauffage, sauf dérogations, aux réseaux de chaleur (voir notre article du 27 avril). Des textes contre lesquels l’association Coénove avait déposé un recours devant le Conseil d’État (voir notre article du 7 juillet), que le juge des référés a rejeté le 8 août. "En 2009, un seul réseau était classé et l’on n’en comptait que 26 en 2018. Ils seront 601 au 1er juillet prochain" (l’arrêté du 27 avril en recensait 550), se félicite Yann Rolland. Enfin, le coup de pouce "raccordement express" pour faciliter le raccordement aux réseaux existants - l’extension, depuis le 1er septembre, du coup de pouce "Chauffage des bâtiments tertiaires" aux bâtiments résidentiels collectifs et tertiaires, mis en place par un arrêté du 12 juillet dernier, et modifié par un nouvel arrêté du 22 octobre. "Grâce à cette aide, le reste à charge pour les foyers n’est plus que de l’ordre de 100 à 200 euros", explique Yann Rolland, qui estime "à 3.000 le nombre d’immeubles facilement raccordables, à moins de 50 mètres d’un réseau de chaleur".
Crise de croissance ?
Aux termes de cette "année folle", Céline Lorrain estime que "les demandes de raccordement sont en hausse de 30%". Ce qui n’est pas sans poser difficulté. "Nous n’arrivons pas à raccorder aussi vite qu’on le voudrait. Des réseaux n’ont plus assez de puissance, ce qui nécessite de recréer des points de production. Cela crée des frustrations", confesse-t-elle. "Notre réseau se développe beaucoup trop vite", avoue de même Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon Métropole. "Cela n’est pas sans effet sur le mix énergétique du réseau, puisque nous sommes contraints d’utiliser du gaz en période de pointe", explique-t-il. Autant d’éléments qui invitent paradoxalement à l’optimisme. Amorce espère qu’un quart du chauffage en France sera issu de ces réseaux d’ici 2050, ce qui revient "à doubler leur part d’ici 2030, et de la redoubler d’ici 2050".
Des réseaux pertinents sur la quasi-totalité du territoire
Un optimisme mesuré toutefois. "Pour atteindre les objectifs de la loi de transition énergétique pour la croissance verte, 39,5 TWh de chaleur doivent être produites par les réseaux de chaleur à partir d’énergie renouvelables et de récupération d’ici 2030. Avec 18 TWh actuellement, on en est encore très loin", rappelle Guillaume Planchot, président de l’association Via Sèva qui œuvre à la promotion des réseaux de chaleur. Pour être au rendez-vous, l’association a bâti, avec d’autres, "un schéma directeur national des réseaux de chaleur 2030" qui définit la marche à suivre : "aller chercher 10TWh autour de 261 réseaux existants et 12TWh via la création de 1.330 projets, sur un réseau de 5.000 villes identifiées". Des villes de toutes tailles. "Il faut sortir de l’idée que les réseaux seraient réservés aux grandes zones urbaines", insiste-t-il. "Les réseaux de chaleur sont pertinents sur la quasi-totalité du territoire, quel que soit le montage retenu", clame encore l’association. "Historiquement, les réseaux de chaleur se sont développés dans les grands centres urbains et les très petites communes, mais très peu dans les villes petites et moyennes", enseigne Nicolas Garnier, qui y voit lui aussi un vecteur de croissance important. C’était d’ailleurs l’objet de l’appel à projets "Une ville – un réseau" lancé par l’Ademe cette année, qui vise à financer les études de création d’un réseau de chaleur dans les villes de 10.000 à 50.000 habitants (voir notre article du 19 mai). "190 dossiers ont été déposés", indique Bénédicte Genthon, qui doit désormais les analyser. "L’objectif en 2023, c’est de transformer l’essai avec le maximum de ces villes", explique-t-elle.
22,5 milliards d’euros d’investissements nécessaires
Reste à trouver les ressources. Via Sèva estime que 22,5 milliards d’euros sont nécessaires pour donner corps à ses préconisations. Un montant que les intervenants s’empressent de relativiser, pour peu que l’on gonfle selon eux le fonds Chaleur : "Depuis sa création en 2009, le fonds Chaleur a cofinancé 6.600 installations d’énergies renouvelables et de récupération [dont 40,1% de réseaux de chaleur], pour un total de 2,9 milliards d’euros d’aides publiques, et des investissements totaux de 10,8 milliards d’euros. Ces installations génèrent 39 TWh/an, ce qui, à un prix de 42 euros le MWh, représente une économie pour la balance commerciale de 1,6 milliard d’euros", indique Bénédicte Genthon. "Plus on investit dans le fonds Chaleur, plus on y gagne", conclut Yann Rolland. Pour Guillaume Planchot, le calcul est simple : "Si à 2,9 milliards d’euros d’aides correspondent près de 11 milliards d’investissements, il faut doubler le fonds Chaleur." Un calcul qui suppose néanmoins, d’une part, que l’effet d’entraînement précédemment constaté demeure. Et qui ignore, d’autre part, le fait que sur les 2,9 milliards évoqués, seul 1,2 milliard a été consacré aux réseaux de chaleur.
Pour une nouvelle revalorisation du fonds Chaleur
"On ne comprend donc pas pourquoi le fonds Chaleur n’est pas revu à la hausse", déplore dans tous les cas Nicolas Garnier. Amorce appelle à le porter à 750 millions d’euros en 2023, et à 1 milliard dès 2024. Lors de l’examen, ce week-end, du projet de loi de finances pour 2023 (voir notre article du 6 décembre), plusieurs sénateurs ont déposé des amendements en ce sens, pour des montants supplémentaires allant jusqu’à 400 millions d’euros. Finalement, le Sénat a voté une enveloppe additionnelle de 80 millions d’euros, portant les crédits à 600 millions d’euros. "520 millions d'euros sont déjà engagés, et les auditions de l'Ademe montrent que 80 millions seraient très certainement consommés", a défendu le 2 décembre le rapporteur général du texte, Jean-François Husson (LR, Meurthe-et-Moselle). Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, s’y est opposé : "Nous étions à 220 millions d'euros en 2017 et 400 millions d'euros en 2020 ; nous sommes à 520 millions d'euros en 2022. Il y a 360 millions d'euros de trésorerie au sein de l'Ademe. Il n'est donc pas nécessaire de rajouter des crédits", a-t-il justifié. "S’il faut comprendre que les autorisations d’engagement sont portées à 880 millions d’euros, c’est une excellente nouvelle. Cela voudrait dire que les engagements du candidat Macron seraient déjà presque tenus", explique Nicolas Garnier – en réponse à un questionnaire alors diffusé par l’association, le candidat d’alors avait en effet indiqué : "Nous consacrerons 400 millions d’euros supplémentaires par an à horizon 2027 via le fonds chaleur" (voir notre article du 6 avril). "Mais si ce sont 520 millions d’autorisations d’engagement, et 300 millions de trésorerie de l’Ademe, dont une partie est sans doute déjà mobilisée par des projets en cours, alors le compte n’y est pas", ajoute le délégué général d’Amorce.