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Universités - Les villes universitaires veulent peser sur les stratégies locales d'enseignement supérieur

Elles financent l'enseignement supérieur et la recherche, elles réfléchissent, elles réalisent des projets urbains autour et dans les campus et des projets de développement économique locaux et internationaux. Les villes universitaires voudraient être reconnues pour cela et s'installer à la même table que l'Etat et les régions pour parler stratégie.

"La loi Fioraso nous a ouvert la porte, on a mis un pied dedans, maintenant, on attend que la région ouvre la porte." Ainsi Isabelle Pellerin, vice-présidente de Rennes métropole, déléguée à l'enseignement supérieur et à la recherche, résume-t-elle la situation le 19 février 2014, lors d'une journée intitulée "L'action des villes et des communautés en soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche", organisée par plusieurs associations d'élus (ADCF, Acuf, FVM, AMGVF, Fnau, Association des villes universitaires de France), avec la Conférence des présidents d'université, CCI France, en partenariat avec la Caisse des Dépôts.

"Etre associé à la définition stratégique à l'échelle de chaque région"

Cette journée était l'occasion de présenter une étude sur le poids et le rôle des collectivités locales en matière de soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche ; mais aussi d'affirmer que leur action "visant à façonner un écosystème favorable à l'innovation", constitue "un atout déterminant".
Troisième étape : il s'agira, dès les élections municipales passées, de jouer un rôle "prépondérant" dans la préparation de la prochaine période contractuelle : "être associé à la définition stratégique à l'échelle de chaque région", revendique Isabelle Pellerin. Les élus locaux pensent particulièrement aux contrats de plan (et à l'articulation des CPER avec les fonds Feder qui devraient soutenir massivement la recherche et l'innovation), et à la préfiguration des contrats de site des futures Communautés d'universités et d'établissements introduits par la loi Fioraso (loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche).

Des milliards d'euros chaque année

Les associations d'élus ont, dans leur étude, analysé une trentaine de sites universitaires. Il apparaît que, depuis 2008, les collectivités territoriales dépensent chaque année plus d'un milliard d'euros en faveur de la recherche et du transfert de technologie. Difficiles à chiffrer avec précision, les dépenses des collectivités en faveur de l'enseignement supérieur "sont elles aussi vraisemblablement supérieures à un milliard d'euros", estiment les associations d'élus. Soit, selon les villes, "entre 5 et 23 euros par étudiant", selon Hélène Mandroux, présidente de l'Avuf (Association des villes universitaires de France) et maire de Montpellier.
Ces financements portent naturellement sur des politiques de vie étudiante, sur la mobilité, le logement, la culture et le sport, la santé…
Mais ça ne s'arrête pas là. En terme de développement économique, elles se font interface entre enseignement supérieur, recherche et développement économique, elles mettent en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Des villes qui s'engagent dans une démarche de développement durable voient mal comment ne pas opérer la réhabilitation énergétique de leurs vieux bâtiments universitaires. Un enjeu dont l'Etat a bien conscience mais qu'il n'est pas prêt à financer.

Reconstruire de la ville dans les campus

Les villes universitaires lorgnent également sur le foncier parfois fantastique de certains campus immenses, "à l'américaine", sortis de terre hors la ville ("parce que dans les années 70 l'Etat avait peur des étudiants", souligne Gilles Demailly, maire d'Amiens et président d'Amiens Métropole pour encore quelques semaines). "Le vrai grand enjeu est de reconstruire de la ville dans le campus", selon Didier Guillot, vice-président de l'Avuf, par ailleurs adjoint au Maire de Paris chargé de la vie étudiante. Selon lui, des campus comme Bordeaux ou Toulouse pourraient accueillir "des milliers et des milliers d'habitants" mais aussi des commerces, des entreprises, des pépinières…
L'élu parisien invite également à réfléchir les temps des sites universitaires, à "raisonner en terme d'usage" pour "mutualiser les équipements publics". Les longues vacances universitaires pourraient être l'occasion d'ouvrir les bibliothèques aux habitants, les amphithéâtres aux artistes locaux, les logements Crous aux étudiants étrangers, les esplanades aux festivals…
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les idées bouillonnent dans les villes et communautés d'agglomération. Pour Michel Destot, les villes universitaires seraient "la seule chose qui marche en France" ; ce serait même, à l'entendre, le seul espoir du redressement économique de la nation.

De l'extrême complexité des contrats de site

Grâce à cette étude, le constat est posé. Il est déjà partagé, au moins au ministère de Geneviève Fioraso, mais aussi à la conférence des présidents d'université. Son vice-président, Khaled Bouabdallah, considère que "pour un président d'université, avoir un dialogue avec un responsable de collectivité est de l'ordre du pain quotidien", tant "les intérêts sont communs dans l'espace métropolitain".
Il est toutefois sceptique pour la suite, jugeant l'élaboration des contrats de site "d'une extrême complexité". Et de demander à son voisin de tribune, Alain Abecassis, chef du service de la coordination des stratégies de l'enseignement supérieur et de la recherche (un titre qui ne s'invente pas !) de rédiger un vademecum à usage des universitaires et des collectivités locales. "L'ARF m'a demandé la même chose !" sourit le fonctionnaire d'Etat, qui promet en outre d'"essayer d'outiller les stratégies des différents acteurs". Ce à quoi Faustin Aïssi, vice-président de l'Avuf, par ailleurs vice-président de Lille Métropole à l'enseignement supérieur et à la recherche répond : "Si nous voulons aller de l'avant, il nous faut des moyens financiers ! L'outillage, on trouvera ! "
Quoi qu'il en soit, les associations d'élus sont décidées à se mobiliser en réseau pour "s'emparer des outils de contractualisation issus de la loi Fioraso" et pour "s'affirmer dans leur gouvernance". Et si on ne leur ouvre pas la porte spontanément, elles semblent bien décidées à la forcer.