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Economie / Politique de la ville - Les Talents des cités 2015 révèlent la "classe créative" des quartiers

Les quartiers de la politique de la ville aussi accueillent des bobos et hébergent une classe créative ! Le cru 2015 du concours des Talents des cités fait une large place à ces créateurs d'entreprise rompus au numérique, aux nouveaux services à la personne, aux nouveaux modes de consommation. D'autres projets, plus classiques mais répondant au plus près aux besoins des habitants des quartiers en termes d'emploi et de services ont aussi toute leurs chances de remporter le concours.

Changer l'image des quartiers de la politique de la ville et de leurs habitants en "valorisant les initiatives des femmes et des hommes" issus de ces territoires est l'objet du concours Talents des cités qui organise cette année sa 14e édition (*). Douze lauréats viennent d'être désignés. Les deux finalistes seront connus samedi 24 octobre, au cours d'une cérémonie de remise des prix dans l'hémicycle du Sénat.
A la lecture des fiches de présentation des lauréats (voir ci-contre), il apparaît que, cette année plus encore que les précédentes, le jury a été sensible aux théories du géographe américain Richard Florida, inventeur du concept de "classe créative". Selon Florida, la "classe créative", qu'il définit par les trois "T" de "Talent", "Technologie" et "Tolérance", serait un facteur d'attractivité majeure – et même LE facteur principal - pour les villes en quête de développement.

Un jury public-privé

Le concours est organisé par le réseau d'accompagnement d'appui aux entrepreneurs BGE (ex-Boutiques de gestion), à l'initiative du ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports et du Sénat, en partenariat avec la Caisse des Dépôts et avec le soutien de CGET (commissariat général à l'égalité des territoires), Epareca, Public Sénat, mais aussi de France Télévision et Radio France, de Financités (la société de capital-risque de PlaNet Finance) et du Club XXIe siècle, de la fondation EDF et de la fondation SFR, du groupe Safran et du groupe Casino. Tout ce petit monde a désigné 12 lauréats nationaux qui ont été choisis parmi 37 lauréats régionaux, sur plusieurs critères : leurs parcours (motivation, "profil entrepreneurial"), la "viabilité économique et financière" de leur projet et l'impact de leur activité sur leur quartier (création d'emplois et de "lien social").
Et même si ce n'est pas un critère officiel, la dimension innovante des projets a été prise en compte, que ce soit parce qu'ils s'inscrivent dans un champ numérique, marketing ou encore sociétale. Il n'est donc pas surprenant que le concours ne reflète pas les créations d'entreprise effectivement réalisées dans les quartiers, ni le profil des créateurs (la plupart des lauréats sont très diplômés). L'ouverture d'un kebab semble ainsi avoir peu de chance d'être sélectionné un jour, même si son créateur est motivé, qu'il présente une étude de marché imparable et qu'il crée des emplois. A moins qu'il ne soit bio, qu'il se fournisse auprès des agriculteurs du coin ou qu'il propose la livraison à domicile à bicyclette...

Garde d'enfants : le "3.0" qui change tout

Quoi de plus classique, a priori, qu'un service de garde d'enfants ? Sauf que le projet de Maryse Degboe, "Garde d'enfants 3.0", est un peu plus que cela. Cette jeune femme de 31 ans, ingénieur consultante en informatique et systèmes d'information, titulaire de deux masters en management des achats et logistique industrielle et en panagement et systèmes d'information a imaginé une plateforme web mettant en relation des parents à la recherche d'un mode de garde et des assistantes maternelles proposant leurs services en Alsace. La plateforme informera aussi en temps réel les familles des places disponibles en crèches, garderies, centres aérés proches de leurs domiciles et des disponibilités de baby-sitters sélectionnées par le site. Maryse Degboe a également le projet de décliner son site en application pour smartphones.

Coaching pour les parents d'élèves en difficulté scolaire

De même, "Sigma" ne se contente pas de faire du soutien scolaire. Créée par Bouchra Agourram, 35 ans, docteure en génie biomédical et enseignante-chercheur à la faculté de médecine d'Amiens, cette entreprise propose sa propre méthode d'apprentissage mais aussi "un coaching à destination des parents d'élèves en difficulté scolaire", en partenariat avec l'université d'Amiens.
Avec Julie's School, Julie Hinderschild, proposera aussi ses services aux élèves en difficulté scolaire à la rentrée 2016. Cette docteure en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), professeure libérale, a imaginé une plateforme dʼe-learning avec des cours, des exercices, mais aussi des jeux et un suivi personnalisé. Là encore, des "conseils de méthodes et informations" seront également offerts aux parents, "afin de leur redonner leur place dans le suivi scolaire de leurs enfants et rétablir la communication avec leurs enfants".

Des potagers pour dépolluer, créer du lien social...

Le projet "Abricotoit" de Julien Girardon, 28 ans, docteur en biotechnologie végétale, consistant à installer et à entretenir des potagers sur les toits et les terrasses des centres urbains, est tout à fait irrésistible. Voyez plutôt : "Dépollution, isolation thermique, accroissement de la biodiversité… son projet aidera à l'amélioration de l'environnement dans les villes tout en créant des filières courtes de cultures de fruits et de légumes pour ses habitants : restaurateurs, commerçants ou particuliers." Et ce n'est pas tout : "La création de jardins partagés permettra de créer du lien social entre les habitants d'un quartier et de sensibiliser les enfants des écoles à l'environnement et à une alimentation responsable."

Fablab et coworking

Pol Olory, 52 ans, est quant à lui le créateur de ART3FACT Lab, un "laboratoire de fabrication numérique collaboratif" (fablab). Cette "petite fabrique des temps modernes", où il est possible de fabriquer des objets ou des prototypes à partir de machines de fabrication numérique comme les fameuses imprimantes 3D, est ouverte au grand public, aux universitaires ou encore aux publics scolaires. Pol Olory se présente comme "plasticien, scénographe, costumier, décorateur, sculpteur, concepteur de machines…" et "autodidacte passionné de spectacle vivant influencé dans sa démarche artistique par la recherche scientifique".
La fablab fait aussi parti des projets du consultant Pierre Bataille, 30 ans, titulaire d'un master conception et évaluation de projets sportifs adaptés de l'université Paris X et d'un master international en activités physiques adaptées de l'université de Leuven. Mais pour le moment, c'est avec Work&Co que ce consultant voudrait se faire reconnaître comme "Talent des cités". Avec sa compagne également consultante, et également insatisfaite de "travailler depuis la maison", il a créé en 2014 cet espace de coworking comprenant un open space, des box privés, salles de réunions, lieux de stockages… mais aussi "Coffee&Co", un espace convivial pour les repas, et Kids&Co, un service de micro-crèche. L'objectif de Work & Co, qui se présente comme une entreprise de l'économie sociale et solidaire, c'est d'être un "écosystème d'innovation au coeur du quartier du Jeu de Mail" à Dunkerque.

Des vêtements sur-mesure pour les personnes hospitalisées

C'est dans le centre de Nice, que la styliste-designer de mode Anne-Cécile Ratsimbason, 30 ans, diplômée d'Esmod (Ecole supérieure des arts et techniques de la mode) et de l'Ecole nationale supérieure d'art de la villa Arson (Ensa), a créé son entreprise AC Ratsimbason création au sein de laquelle elle imagine, fabrique et commercialise des vêtements et accessoires réalisés sur-mesure pour les personnes hospitalisées ou suivant un traitement médical. "Au-delà de leur rôle esthétique et fonctionnel, ses créations ont un rôle psychologique : faciliter l'acceptation du traitement médical", fait valoir la lauréate.
Yannick Franceschi, 31 ans, diplômé dʼun BTS pptique lunetterie, crée après 9 années d'expérience dans l'optique (responsable d'un magasin et formateur en école et lycée professionnel), Agoptic, un site spécialisé dans la vente en ligne de lunettes accompagnée d'un service personnalisé puisqu'un "opticien diplômé d'Etat se déplacera à domicile pour l'essai des lunettes, conseiller le client sur ses choix, prendre les mesures et effectuer tous les réglages".

Logement Habitat Services : un impact direct sur l'emploi dans le quartier

Abou M'Bodj, 31 ans, titulaire d'une licence professionnelle gestion PME-PMI et d'un certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale (Caferuis), actuellement en formation à l'Ecole de management de Normandie, est le créateur de Logement Habitat Services, entreprise d'insertion de travaux de rénovation au statut de Scop. Son projet est certes plus classique que les précédents candidats, mais il est assurément de ceux qui auront un impact le plus direct sur l'activité d'un quartier.
Le quartier Mont-Gaillard au Havre est présenté comme "son" quartier et son entreprise de peinture, revêtement des sols et des murs, et agencement, vise d'une part à permettre aux personnes défavorisées d'effectuer des travaux de rénovation et d'aménagement à moindre coût, et d'autre part à faciliter l'insertion socioprofessionnelle de personnes éloignées de l'emploi : "chômeurs de longue durée, bénéficiaires du RSA, jeunes de moins de 25 ans".

Un garage solidaire dans le quartier Planoise de Besançon

Le projet de "garage solidaire" d'Aziz Baaiz, 39 ans, s'appuie également sur une solide connaissance du quartier, en l'occurrence celui de Planoise à Besançon. Ingénieur en génie civil et diplômé d'une école de commerce, Aziz Baais a été ingénieur travaux sur des chantiers en Arabie saoudite. A son retour, il a ouvert à Besançon CFEI-Formation, un centre de formation aux métiers du bâtiment, puis a lancé en 2014 lʼEcole supérieure de communication, d'informatique et de gestion (Escig). Son projet s'adresse directement aux personnes confrontées à des difficultés de mobilité, qui "n'ont pas les moyens d'acheter voire d'entretenir un véhicule et sont pénalisées dans les actes du quotidien comme dans leurs démarches professionnelles". Son garage associatif, présenté comme un "chantier d'insertion", proposera en janvier 2016, "à moindre coût" des services tels que réparation mécanique et de carrosserie, vente et location de voitures. Les réparations et les travaux d'entretiens seront assurés par des demandeurs d'emploi en formation professionnelle.

Conductrice de travaux et formatrice

Vanessa Yardin, 39 ans, elle-même peintre en bâtiment, conductrice de travaux second œuvre et formatrice, a créé, dans la zone franche de Cenon (33), "Aquitaine Formation Peinture". Elle y propose des formations diplômantes en peinture décor, bâtiment, et revêtement des sols. Son objectif : "permettre à ses stagiaires d'acquérir un métier et d'en vivre". Les stagiaires sont des jeunes de moins de 26 ans, des intérimaires, des demandeurs d'emploi, des personnes en reconversion professionnelle et des salariés en perfectionnement.
Dans un tout autre domaine, Agathe Lambert, 26 ans, a créé Lisamento, une entreprise d'importation de produits cosmétiques capillaires venant du Brésil. "Son bac en poche, Agathe Lambert s'inscrit en faculté de droit et occupe parallèlement des emplois dans la restauration rapide et l'accueil avant de se lancer dans la création d'une entreprise". On devine, sous ce portrait, une jeune femme "qui en veut", au point d'envisager de développer son activité de vente auprès des professionnels de la coiffure.

Valérie Liquet

(*) Pour être tout à fait précis, "la plupart des lauréats vivent dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ou en sont originaires", nous indiquent les organisateurs du concours. Habiter le quartier n'est donc pas un critère d'éligibilité au concours. "Le critère d'éligibilité repose sur la création d'une activité créatrice de valeur économique et d'emplois dans ces quartiers", précisent les organisateurs.

 

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