Les supérettes alimentaires de centre-ville résistent aux grandes surfaces et au e-commerce
Ce n'est un secret pour personne, le commerce subit depuis plusieurs années de fortes mutations. À l'occasion des Assises métropolitaines du centre-ville, organisées le 7 novembre 2024, Vincent Chabault, professeur de sociologie à l'université Gustave-Eiffel, a décrypté ces évolutions, avec deux tendances majeures : le ravitaillement en ligne ou dans des supérettes de centre-ville et une consommation plus exceptionnelle qui passe par les magasins physiques.
Deux tendances se dessinent en matière de commerce, avec d'un côté un ravitaillement qui se fait en ligne ou dans des supérettes proches de chez soi et pas chères, et une consommation plus exceptionnelle, culturelle, gastronomique, de luxe qui passe par le magasin physique. Vincent Chabault, professeur de sociologie à l'université Gustave-Eiffel, a décrypté ces évolutions lors des Assises métropolitaines de centre-ville qui se sont déroulées le 7 novembre 2024. L'expert fait ressortir les grandes mutations du commerce, avec le recul de la grande distribution, concurrencée à la fois par le haut de gamme et le bas de gamme. "La grande distribution n'a pas tué le commerce de proximité, explique Vincent Chabault à Localtis, c'est même l'inverse, dans le domaine alimentaire, elle perd des parts de marché avec un retour des consommateurs dans les commerces de centre-ville, et notamment les grandes supérettes." Le commerce traditionnel est ainsi passé d'une part de marché de 10,1% en 2019 à 12,7% en 2022 soit une augmentation de 2,6 points, alors que dans le même temps, les grandes surfaces alimentaires passaient de 83,4% à 79,6% (- 3,8 points), d'après les données présentées issues de Liquid Data et Circana 360°. "On voit aussi de plus en plus de Lidl ou Aldi en centre-ville, qui réussissent à s'adresser à tout le monde." Un hard-discount devenu aujourd'hui "transclasse".
Les enseignes des années 1990 manquent de stratégie d'adaptation
Pour les autres types de commerce, hors alimentaire, la situation est plus difficile, quels que soient la taille et l'emplacement des commerces physiques. "Dans les grandes villes, les grandes enseignes s'installent en centre-ville, comme Ikéa dans les centres commerciaux de Paris, elles viennent chercher les clients issus des catégories CSP+ qui ne font plus l'effort de se déplacer, explique Vincent Chabault. Avec leurs ventes en ligne, elles arrivent à la rentabilité." Mais le prêt-à-porter vit en revanche une crise durable avec le développement de la "seconde main" et des plateformes de type Shein. "Les enseignes qui datent des années 1990 manquent de stratégie d'adaptation, on ne sait plus trop à qui elles s'adressent, ni à quel âge, ni à quel niveau social", insiste Vincent Chabault. Les chiffres de Procos, la fédération du commerce spécialisé, souligne ces difficultés avec une hausse de 2,5% des ventes des magasins du commerce spécialisé sur le premier semestre 2024 mais qui est principalement due à l'inflation et non à l'augmentation des volumes de ventes. De plus, des secteurs comme la chaussure et l'habillement sont à la peine (respectivement -6,1% et -4,8%).
En parallèle, "il y a une consommation plus ponctuelle, plus extraordinaire, qui concerne la gastronomie, la culture, détaille l'expert, elle donne une légitimité aux artisans et aux magasins de luxe et déplace le rôle du vendeur de la transaction au service". Celui-ci doit en effet répondre aux attentes des clients en matière d'expertise et de relationnel notamment. Cela concerne notamment les métiers de bouche, les cavistes ou encore les magasins de luxe.
Un idéal commercial qui ne correspond pas à la réalité
Quant aux programmes nationaux lancés par l'État, comme Action cœur de ville ou encore le plan destiné à transformer les zones commerciales (voir notre article du 29 mars), "ils dépendent de l'intervention des élus, qui est variable d'une commune à l'autre", assure Vincent Chabault. Selon lui, il y a parfois un "idéal" commercial porté par ces élus qui est souvent en décalage avec la réalité de la demande. Ce commerce idéalisé serait constitué "d'un commerce de proximité hygiénisé, alors que c'est la boucherie halal qui va être le commerce le plus dynamique, les kebabs, les ongleries ou autres barber shops. On risque d'arriver à une 'PAC' pour le commerce, comme pour cette politique agricole commune qui subventionne les agriculteurs européens pour qu'ils s'occupent des territoires, on va subventionner certains commerces pour animer les quartiers".
Pour les zones commerciales, l'enveloppe budgétaire paraît mince selon le spécialiste. Il pointe aussi la difficulté du statut, souvent privé, des propriétaires de ces zones. "Le risque est que la grande distribution fasse reposer sur les pouvoirs publics le développement de ces zones, assure-t-il, et l'argent ne sera pas forcément remis au service du commerce, mais de la mobilité, du végétal, des logements et services."