Habitat - Les services d'intérêt économique général, une menace pour le logement social ?
Alors que s'est tenu, les 26 et 27 octobre, le troisième forum des SSIG (services sociaux d'intérêt général), Laurent Ghekiere, qui suit pour l'Union sociale pour l'habitat (USH) les questions européennes, publie une analyse très éclairante sur "l'évolution du sens du logement social à l'épreuve de la crise et du droit communautaire de la concurrence". Cette note, qui paraîtra prochainement à la Documentation française dans un ouvrage intitulé "Loger l'Europe : le logement social dans tous ses Etats", explique en termes simples pourquoi le niveau européen intervient sur le champ du logement social, une politique qui est pourtant du ressort des Etats membres. La note porte, entre autres, sur le possible impact de la décision - attendue pour 2012 - de Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur le recours introduit par des organismes hollandais du logement social contre une décision de la Commission européenne mettant en cause des aides versées par l'Etat néerlandais.
Au coeur de la question figure la notion de service d'intérêt économique général (Sieg), dont relève le logement social en termes de droit communautaire. Cette qualification tient compte du fait que le logement social est soumis à des "obligations de service public" : obligation de construire à un prix donné, critères et procédure spécifiques d'attribution des logements, investissement du résultat d'exploitation dans la construction de nouveaux logements sociaux, etc. En contrepartie de ces obligations, les Etat membres peuvent consentir au secteur du logement social des dérogations aux règles de droit commun de la concurrence et du marché intérieur et accorder des subventions ou des prêts bonifiés. Pour éviter d'éventuels abus, la qualification de Sieg, attribuée par chaque Etat membre, est soumise au contrôle de la Commission européenne. Se pose dès lors la question de la définition et du périmètre du logement social. Pour la Commission, ce champ doit être strictement délimité, par exemple à travers l'établissement d'un lien direct avec une catégorie précise de population, comme les personnes défavorisées. A défaut, la Commission peut considérer que la qualification de Sieg est abusive. Cette approche résiduelle ne soulève pas de difficultés particulières dans les pays anglo-saxons, de conception libérale. En revanche, elle apparaît difficilement compatible avec les Etats qui - à l'image des pays scandinaves - ont une conception universelle du logement social, voire du logement public. La note procède à une analyse détaillée, mais très claire, des possibles conséquences juridiques de cette approche résiduelle de la Commission. Elle relève notamment que, dans les pays disposant d'une conception généraliste du logement social (ce qui est le cas de la France), "l'accès au logement social y est certes défini en référence à des plafonds de revenus, mais dont les niveaux pourraient être contestés car ne constituant pas le nécessaire 'lien direct avec les groupes sociaux défavorisés' exigé par la Commission européenne". La note s'appuie également sur deux études de cas : celui de la qualification de Sieg du logement social aux Pays-Bas (qui doit faire l'objet de la décision de la CJUE) et celui du modèle suédois d'accès universel au logement social.
Au-delà des aspects juridiques et communautaires, l'enjeu est aussi et surtout sociétal, comme le relève d'ailleurs la note à propos du débat actuel dans les Etats membres sur la "mutabilité" du logement social. Une conception résiduelle qui lierait étroitement logement social et populations défavorisées rendrait plus difficile encore l'atteinte des objectifs de mixité sociale et pourrait accélérer les phénomènes de "ghettoïsation" du logement social déjà à l'oeuvre dans certains quartiers. C'est dire à quel point la décision de la CJUE sera lue avec intérêt.
Jean-Noël Escudié / PCA