Les réseaux d'initiative publique dans le flou
Complétude des déploiements, qualité des réseaux, péréquation territoriale… La liste des préoccupations des réseaux d'initiative publique - les RIP - reste désespérément la même. Et les élus de l'Avicca n'ont eu aucun représentant du gouvernement pour les écouter lors du Trip de printemps. Rare motif de satisfaction : l'appropriation du sujet de la résilience des réseaux par les territoires.
C'est en l'absence de la secrétaire d'État au numérique Marina Ferrari que s'est déroulé le Trip de printemps de l'Avicca les 28 et 29 mai 2024 à Paris. "Une première pour un Trip", a souligné Patrick Chaize président de l'association. La secrétaire d'Etat a fait valoir son devoir de réserve du fait de la proximité du scrutin européen, laissant cependant une vidéo préenregistrée pour porter la parole gouvernementale. Cette absence fait écho au message porté par les élus comme par les représentants des industriels : l'absence de pilote sur le dossier numérique et une tendance à "crier cocorico" un peu trop vite sur un chantier infras loin d'être terminé.
Proposition de loi qualité en rade
L'événement a donc vite tourné en un catalogue de récriminations connues de longue date. Sont revenus le ralentissement des déploiements en zone dense, les problèmes de complétude et de qualité des raccordements, la fin de non-recevoir des grands opérateurs sur une participation au financement des raccordements longs ou encore le manque de communication nationale autour de la fin du cuivre. Patrick Chaize a aussi regretté l'absence d'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale de sa proposition de loi sur la qualité des réseaux. "Un déni de démocratie" déplore le sénateur, imputable selon lui à l'intense lobbying de "quelques intérêts privés". Il a aussi estimé que le gouvernement avait raté la fenêtre législative introduite par le projet de loi simplification de la vie des entreprises. Au-delà des deux "mesurettes" sur le déploiement du mobile que prévoit le projet de loi, l'élu aurait bien vu des mesures pour "simplifier les déploiements FttH sur les appuis communs", "faciliter le raccordement des locaux neufs", "simplifier l’identification de la propriété des infrastructures d’accueil" ou encore "simplifier les modalités de raccordement électrique des sites mobiles,"…
La péréquation en question
Autre sujet d’inquiétude, l'équilibre économique des réseaux d'initiative publique (RIP) entrés désormais en phase d'exploitation. L'Observatoire du THD Avicca-InfraNum–Banque des Territoires, rebaptisé "Observatoire de la transition numérique des territoires", relève ainsi que "les coûts d'exploitation des réseaux en zones rurales sont 2 à 3 fois plus élevés qu'en zone urbaine". Les infrastructures y sont plus souvent déployées en aérien (43% contre 26%), les frais de déplacements pour les interventions y sont plus élevés de 50% ou encore le linéaire moyen de câble pour raccorder l'abonné y est de 31m contre 12 en zone urbaine… L'inflation est également passée par là pour alourdir l'addition. Autant de différences qui justifient selon InfraNum une révision des tarifs de gros et la mise en place d'une péréquation sur le mode de ce qui existe pour les réseaux électriques. "Nous avons besoin de nous adosser à un modèle économique stable" a plaidé Philippe Le Grand président d'InfraNum. Or cette hausse des tarifs a été retoquée par l'Arcep pour le réseau aquitain (notre article) alors même qu'elle a été acceptée pour Orange.
Philippe Le Grand a par ailleurs souhaité "une accélération de la fin du cuivre" afin de forcer les grands opérateurs à achever les déploiements dans les zones denses et de générer des recettes pour les RIP. La fédération fait notamment valoir que le resserrement du calendrier des travaux va de pair avec une adoption rapide de la fibre par les habitants, alors que la commercialisation des réseaux tend à marquer le pas en stagnant au bout de 3 ans aux alentours de 70%.
Un reliquat de "seulement" 3 millions de prises
La présidente de l'Arcep, Laure de La Raudière, s'est retrouvée bien seule pour contrer cette avalanche de critiques. Vantant l'avance prise par la France sur ses voisins européens en matière de fibre, elle a rappelé que "le mur d'investissement était derrière nous", soulignant "qu'il ne reste plus 'que' 3 millions de prises à construire" pour couvrir l'ensemble du territoire. Une revue de détail des reliquats de prises à construire par région est du reste en cours dans les services de l'Arcep. Elle a aussi relativisé l'échéance présidentielle de 2025 : "si ce n’est pas 2025 ce sera peut-être 2026". Sur le mode Stoc, elle a souligné que "l'industrialisation" des mesures prises ces dernières années – nouveau contrat de sous-traitance, compte rendu d'intervention… - prenait du temps du fait du grand nombre de parties prenantes. Elle a aussi rappelé que le nombre de niveaux de sous-traitance était désormais limité à 2 niveaux et invité les territoires qui constateraient le non-respect de cette obligation à saisir l'autorité. Et elle a aussi signalé que les opérateurs d'infrastructures pouvaient aussi résilier les contrats avec les opérateurs commerciaux… suscitant l'indignation de la salle tant les RIP se sentent pieds et mains liés aux opérateurs commerciaux. Enfin, sur la revalorisation des tarifs de gros, elle a déclaré que l'autorité n'y était pas hostile "sous réserve que ces hausses soient documentées avec une évaluation précise des coûts et de leur impact sur le modèle économique du RIP".
La résilience enclenchée
Dans ce sombre tableau, quelques lueurs émergent cependant. C'est le cas du sujet résilience des réseaux face aux aléas climatiques et au vandalisme. L'observatoire révèle qu'un tiers des collectivités interrogées a lancé une étude et que 55% d'entre elles prévoient de le faire en 2025. Ce même jour, à l'occasion du salon de l'Amif, le Sipperec et la Banque des Territoires ont du reste signé une convention pour renforcer la sécurité et la résilience des réseaux déployées par le RIP francilien. Antoine Darodes, directeur du département Investissements Transition Numérique à la Banque des Territoires, s'est félicité de cette prise de conscience et a précisé que la Banque des Territoires allait proposer des offres de prêts à long terme – jusqu'à 60 ans – pour aider les collectivités à financer les mesures de sécurisation prioritaires. Autres motifs de satisfaction : l'intérêt des collectivités pour l'internet des objets (89%), pour les projets de territoires connectés (73%) ou encore leur appropriation des enjeux cybersécurité et décarbonation du numérique… Autant de sujets que les territoires voudraient pouvoir appréhender pleinement en soldant les vieux dossiers.