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décentralisation - Les régions craignent d'être dépossédées de la compétence formation professionnelle

A moins d'un mois de la réunion du groupe de travail quadripartite qui doit aborder dans les détails la réforme de la formation professionnelle, les régions s'inquiètent de la tournure que prend ce chantier.

La réforme de la formation professionnelle, l'un des grands chantiers du gouvernement cette année, est engagée. Le groupe de travail quadripartite, dirigé par Pierre Ferracci, président du groupe Alpha et membre du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), doit se réunir pour la première fois dans la semaine du 17 au 21 mars. Sa composition devrait être fixée début mars. Une vingtaine de personnes y siègeront : cinq représentants de l'Etat, cinq représentants des syndicats de salariés, cinq représentants des organisations patronales et cinq représentants des régions, dont Jean-Pierre Denanot, président de la région Limousin. Objectif du groupe de travail : étudier les voies et les moyens des réformes à conduire et formuler des préconisations en termes de méthodes et de calendrier. Il s'agira notamment de préciser ce qui, dans la réforme, relève de la négociation collective entre les partenaires sociaux et ce qui concerne le gouvernement et la répartition des rôles avec les régions. Dans le même temps, le groupe de travail initialement créé au sein du COE sur la formation professionnelle doit rendre son avis à la fin du mois de mars. Deux calendriers qui se chevauchent donc. "Le COE fera le plus gros de la réflexion. La conférence quadripartite n'aura lieu qu'après coup. On reste dans la même pression que pour la réforme du service public de l'emploi, avec peu de place pour l'expression des régions", déplore l'Association des régions de France (ARF) qui considère qu'il y a une reprise en main complète de l'Etat sur ces différents sujets. La négociation avec les partenaires sociaux aura lieu quant à elle à l'automne 2008. Quoiqu'il en soit, le groupe de travail de Pierre Ferracci se basera sur les travaux réalisés auparavant, ceux de la mission sénatoriale animée par Jean-Claude Carle, mais aussi ceux du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), qui doit publier dans les prochaines semaines un rapport sur la sécurisation des parcours professionnels, abordée sous l'angle de la formation.

Les régions demandent à assumer le pilotage

De ces diagnostics ressortent plusieurs consensus : complexité du système, faiblesse de la formation en direction des demandeurs d'emploi et des personnes non qualifiées, insuffisance du système éducatif, etc. Mais les modalités esquissées par le gouvernement pour améliorer le système ne satisfont pas l'ensemble des acteurs concernés. Premier point : le financement de la formation aujourd'hui dispersé entre une multitude d'acteurs (Etat, régions, mais aussi Unedic, branches professionnelles, entreprises et salariés). Alors que les régions prônent la généralisation des conférences régionales des financeurs, qui rassemblent autour d'une table tous les acteurs concernés, le gouvernement ne prend pas cette direction. Il compte en revanche mettre en place des fonds régionaux de sécurisation des parcours qu'il gérerait. "Les régions n'accepteront jamais de mettre leur budget dans ce fonds sans le piloter, assure la déléguée au développement économique de l'ARF. Déposséder les régions de cette compétence serait un retour en arrière complet par rapport à la loi de décentralisation de 2004 !" "Nous n'avons pas l'intention d'être des sous-traitants ou des sous-produits de l'Etat", avait déjà prévenu Jacques Auxiette, président du conseil régional Pays-de-la-Loire et président de la commission Education de l'ARF, lors du Mondial des métiers à Lyon, début février. Les régions, qui consacrent 50% de leur budget à la formation et à l'éducation, demandent à l'inverse à être le lieu de cohérence des parcours professionnels et à assumer le pilotage de la formation professionnelle. "Alors que tous les rapports sur la formation affirment que le pilotage doit être assuré au niveau régional, le gouvernement va à l'opposé de ces conclusions", assure l'ARF. Autre problème soulevé : le poids des plans régionaux de développement des formations professionnelles (PRDF). Le rapport de la mission sénatoriale préconise qu'ils aient une valeur prescriptive à l'égard de l'ensemble des acteurs locaux, y compris l'Etat, ce qui suppose la mise en place d'un véritable service public régional d'information, d'orientation et d'insertion. "Les régions sont favorables à ce que le PRDF soit prescriptif, mais encore une fois, le gouvernement ne prend pas ce chemin", regrette l'ARF.

Un système de formation à deux vitesses

L'individualisation des parcours de formation, préconisée par les rapports existants, pose aussi problème. "C'est une bonne chose pour les salariés et les demandeurs d'emploi, estime l'ARF. Mais certains d'entre eux ont besoin d'un réel accompagnement et d'une politique structurante de formation. Avec un tel système, les plus fragiles risquent d'être laissés pour compte." Jean-Pierre Dufour, vice-président chargé de la formation professionnelle au conseil régional d'Aquitaine, partage les mêmes craintes : "On risque de créer un système de formation à deux vitesses, avec un système haut de gamme pour les salariés et un système qui s'apparenterait à la sécurité sociale pour les chômeurs." L'élu pointe aussi du doigt les insuffisances de l'Education nationale. "Pour le moment, ce sont les régions qui payent l'échec de l'Education nationale en matière de formation initiale. On passe directement de l'Education nationale au plan régional de formation !", déplore-t-il. Sur le terrain, il devient difficile de pourvoir les postes vacants, faute de candidatures satisfaisantes. "J'ai en permanence 1.000 offres d'emploi à pourvoir, explique Stéphane Girard, directeur de la M2E, Maison de l'entreprise et de l'emploi d'Aulnay-sous-Bois, et je n'arrive à présenter que 150 candidats. La région finance une centaine de stages, il m'en faudrait plus de 1.000 ! Du coup, je finance parfois sur mes fonds propres certaines formations, mais dans ce cas, les destinataires de ces formations ne disposent pas du statut de stagiaires de la formation professionnelle." Enfin, la question de l'Association de la formation professionnelle pour les adultes (Afpa) devra être traitée. Les régions souhaitent continuer à pouvoir subventionner l'association. L'Etat veut quant à lui privilégier la logique de marché. Financement, pilotage, Afpa, etc., les sujets de discussion ne manqueront pas pour les groupes de travail. Mais encore faut-il savoir vers quoi ils souhaitent s'orienter. Selon Jean-Pierre Dufour, "pour le moment, on a l'impression qu'on rentre dans la mécanique sans avoir donné de vision claire et stratégique".

Emilie Zapalski