Interview - Les régionales "peinent à intéresser les électeurs intermittents"
Localtis : Le niveau atteint dimanche par l'abstention vous a-t-il surpris ?
Pierre Bréchon : Je m'attendais bien sûr à une abstention importante, mais honnêtement, je ne la voyais pas aussi haute. Entre le premier tour des élections régionales de 2004 - où elle avait atteint 37,9% - et l'élection qui a eu lieu dimanche, il y a un bond de plus de 15 points. C'est assez considérable et, en tout cas, cela confirme une tendance que l'on observe de manière très nette depuis 15 ou 20 ans : le fait que nos contemporains sont de plus en plus des électeurs intermittents. Ils vont voter seulement s'ils sentent qu'il existe une raison importante de le faire. La seconde conclusion que l'on peut tirer, c'est que les régions peinent beaucoup à intéresser l'électeur et qu'au fond, après 25 ans de régionalisation, "la mayonnaise prend mal". Les Français connaissent mal le bilan de leur région et moins d'un tiers arrive à nommer le président de sa région.
Jugée plutôt atone, la campagne n'a pas favorisé la mobilisation...
En effet. Il faut voir aussi que les régions sont plus dans une démarche de gestion que d'opposition politique. Au fond, elles sont structurellement obligées de négocier en permanence avec les autres collectivités et avec le gouvernement. Les présidents de régions socialistes avaient déclaré, après leur élection en 2004, qu'ils allaient représenter une sorte de contre-pouvoir national. Ils se sont finalement peu fait entendre en tant que tel. On peut ne pas le regretter : c'est très bien que les présidents de gauche soient capables de négocier avec un pouvoir central de droite. En même temps, il est certain que cela ne favorise pas la mobilisation aux élections.
Assiste-t-on à un rejet de la classe politique ?
En réalité, il n'y a pas une, mais des abstentions. Certaines personnes ne se rendent pas aux urnes parce qu'elles ne voient pas l'intérêt de se mobiliser à cette élection-là. A côté de ces personnes indifférentes, il y a celles pour qui les candidats se valent. Il y a aussi celles qui ne veulent pas donner de chèque en blanc à des candidats qu'ils ne connaissent pas, ou qu'ils ne se sentent pas capables de juger. Parmi d'autres facteurs de l'abstentionnisme, il y a aussi le rejet de la classe politique, celui du pouvoir en place. S'abstenir peut être une manière d'envoyer un message.
Est-ce que ce fut le cas dimanche ?
En partie, oui. Selon une enquête TNS Sofres réalisée avant le scrutin, une petite majorité d'électeurs déclarait qu'elle voterait prioritairement en fonction des enjeux locaux. En revanche, une grosse minorité affirmait que son vote allait être déterminé par les enjeux nationaux. Parmi ces personnes, un tiers affirmait qu'il voterait pour soutenir le gouvernement, tandis que les deux autres tiers avaient l'intention de sanctionner le gouvernement. Le vote sanction est présent dans cette élection, c'est indéniable.
Les partis politiques vont-ils, selon vous, réussir à mobiliser les électeurs pour le second tour ?
En général, il y a une petite mobilisation entre le premier et le second tour, parce que les enjeux sont évidemment plus importants la seconde fois. Souvent, la différence est de deux ou trois points. Aux élections régionales de 2004, l'abstention avait reculé de presque quatre points. C'était beaucoup. Or, pour les électeurs, les enjeux seront, dimanche, moins importants que bien souvent. La gauche a obtenu au premier tour des résultats si hauts que beaucoup de présidents de régions semblent déjà élus. De ce fait, je ne vois pas l'abstention retomber à son niveau de 2004 [qui était de 34,3% au second tour].
Les Français s'intéressent-ils toujours à la politique ?
Bien autant qu'avant. Ils connaissent même plutôt mieux l'actualité qu'il y a vingt ou trente ans. Plus éduqués, ils ont une plus grande capacité de jugement politique.
Le gouvernement affirme que la montée de l'abstention justifie la création du conseiller territorial. Le nouvel élu sera, dit-il, mieux identifié. On peut ajouter que l'électeur sera moins souvent appelé aux urnes. Qu'en pensez-vous ?
L'un des problèmes d'aujourd'hui est que les urbains connaissent très mal leur conseiller général. Mais, je ne vois pas pourquoi ils connaîtraient mieux leur conseiller territorial. Dans le projet du gouvernement, celui-ci est un super élu cantonal. Il sera, auprès de la région et du département, le représentant d'un canton, lequel sera en moyenne deux fois plus important qu'aujourd'hui. J'observe, par ailleurs, que le mode de scrutin majoritaire à un tour voulu par le gouvernement ne va pas favoriser l'émergence de projets régionaux de développement et la formation d'une conscience régionale. En effet, si ce mode de scrutin est choisi, les campagnes électorales seront très parcellisées. Chaque candidat fera campagne en se présentant comme celui qui pourra apporter le plus de subventions à son canton.
Propos recueillis par Thomas Beurey
Pierre Bréchon a publié de nombreux ouvrages dont "La France aux urnes. Soixante ans d'histoire électorale" (Documentation française, 2009) et "Comportements et attitudes politiques" (Presses universitaires de Grenoble, 2006).