ARF - Un congrès pour défendre "le fait régional"
La réforme territoriale signera, à terme, la mort des régions. A l'Association des régions de France (ARF), on en est convaincu. Principalement en cause, le conseiller territorial - ce futur "être hybride", tel que le qualifie par exemple Jean-Paul Huchon, le président de la région Ile-de-France. Le conseiller territorial "supprime la légitimité des régions", il "met à terre vingt ans d'efforts pour affirmer le fait régional" : Alain Rousset, le président de l'ARF, l'a dit et répété ces 10 et 11 décembre à Marseille au cours du cinquième congrès de l'association, largement suivi par ses collègues. "On va reprovincialiser le pays, avec des préfets de régions qui seront des gouverneurs des territoires", affirme lui aussi Michel Vauzelle, le président hôte de ce congrès qui a réuni environ 1.500 participants - essentiellement des conseillers régionaux bien sûr, mais aussi, notamment, des représentants des conseils économiques et sociaux régionaux (CESR).
On connaît l'argumentation de l'ARF pour démontrer que le conseiller territorial est une "aberration" : le couple région-département est un couple "contre nature", ces deux niveaux de collectivités n'ayant en réalité que peu de choses en commun. Leurs compétences sont à 90% bien distinctes et leurs vocations ne sont pas non plus les mêmes. L'ARF est en cela sur la même longueur d'ondes que l'Assemblée des départements de France (ADF), représentée vendredi à Marseille par Yves Krattinger.
Là où le diagnostic diverge, c'est sur la question de savoir qui sera la première victime du mariage forcé. Tandis que les départements craignent d'être absorbés par la région... Alain Rousset prévoit "une tutelle à l'envers, des départements sur la région", "le retour à l'établissement public régional des années 70, où les élus venaient faire leur marché, où l'inauguration sera préférée à l'innovation". Il est d'ailleurs soutenu sur ce point par Jacqueline Gourault, vice-présidente de l'Association des maires de France, elle aussi venue à Marseille, pour qui le système proposé "va tirer les régions vers le bas, vers le localisme".
Seule petite voix discordante, celle d'André Reichardt, successeur UMP d'Adrien Zeller à la tête de la région Alsace, qui estime "possible d'avoir une vision régionale tout en ayant un ancrage territorial". A condition, certes, de prévoir un redécoupage cantonal pertinent et de revenir sur le mode de scrutin envisagé. André Reichardt se dit personnellement favorable à un scrutin proportionnel.
Au-delà du bienfondé même du conseiller territorial, ce mode de scrutin attise les foudres des élus régionaux. Certains le disent sans détour : "Quand on ne peut pas gagner le deuxième tour, on supprime le deuxième tour." Dixit Jean-Paul Huchon.
La parité fait du bruit
Ce scrutin majoritaire à un tour mâtiné d'une petite dose de proportionnelle réservée aux listes perdantes est en tout cas jugé complètement illisible. Et pourrait faire partie des éléments de la réforme dont l'ARF compte contester la constitutionnalité. Il est aussi vertement critiqué pour ses effets potentiellement dévastateurs sur la parité.
La parité, c'est sans doute la question qui a fait le plus de bruit dans l'auditorium du palais des congrès de Marseille. Certes, on savait que les délégations parlementaires aux droits des femmes se sont mobilisées sur ce point et ont exigé une discussion avec le ministère de l'Intérieur. Mais la présence à Marseille de nombreuses conseillères régionales a rendu la crispation très palpable.
Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, venu clore la première journée du congrès, a d'ailleurs dû reconnaître qu'une "réflexion" s'impose face à la probable diminution de la place des femmes dans les futures assemblées régionales. Pour Brice Hortefeux, si la réforme territoriale aura un impact positif pour la parité au niveau des communes et des conseils généraux, elle devra en effet s'accompagner d'un petit filet de sécurité au niveau régional - qu'il s'agisse d'"incitations", de "sanctions", ou d'un rôle accru du remplaçant. "J'accueillerai toutes les propositions", a-t-il assuré.
De même, le ministre a répété qu'il n'était pas "propriétaire de chaque alinéa des textes" et serait donc "ouvert". A condition que l'on ne touche pas à "quelques principes". Il va sans dire que le conseiller territorial fait partie de ces "quelques principes". "Le gouvernement propose une vision. On peut la discuter, mais pas la caricaturer."
Au fil des congrès d'élus de ces derniers mois, son discours ne varie guère : le conseiller territorial sera bien "un facteur de renouvellement de l'action publique locale", "personne ne songe à recentraliser", "la décentralisation depuis 30 ans s'est surtout focalisée sur les compétences, sans que l'on touche aux structures", "la diminution du nombre d'élus territoriaux est une conséquence de la réforme et non son objectif".
Brice Hortefeux a aussi souligné que le projet de réforme avait déjà évolué sur certains points, tel que celui des métropoles. En sachant que l'ARF ne voit guère d'un bon oeil la configuration envisagée pour ces futures métropoles, critiquant notamment le fait que ces entités "récupéreront la compétence économique des régions, sans que cela ait jamais été discuté". "Les transferts seront automatiques mais privilégieront des conventions négociées", a juste indiqué le ministre sur ce point.
Plus que les cartes grises !
Brice Horfefeux a évidemment aussi évoqué les évolutions consenties par le gouvernement lors de l'examen par le Sénat du projet de loi de finances et donc de la suppression de la taxe professionnelle. Entre autres en prévoyant désormais "trois clauses de revoyure pour ajuster les choses si nécessaire".
Cette suppression de la taxe professionnelle a sans surprise été l'autre leitmotiv du congrès. Si le déroulement des tables-rondes n'a guère permis la formulation de contre-propositions précises sur le sujet, on saura en tout cas que le scénario issu de la lecture sénatoriale ne satisfait en rien les régions. Il serait presque pire que le scénario initial. Alain Rousset le résume en ces termes : "Nous n'avons plus aucun levier fiscal... La part de la contribution sur la valeur ajoutée revenant aux régions a été réduite à 25% alors même que nous sommes la collectivité du développement économique... Nous n'avons plus aucune fiscalité ménages... Et l'usine à gaz que sera la redistribution annuelle va faire s'opposer les régions les unes aux autres." Résultat, s'agissant du pouvoir de taux : "Il ne nous reste plus aujourd'hui qu'à jouer sur les cartes grises !"
"Il est facile aujourd'hui de promettre aux gens, comme le font certains à la veille des élections régionales, qu'on n'augmentera pas les impôts, puisqu'on ne votera plus aucun taux et qu'on ne lèvera plus aucun impôt du côté des ménages", n'ont d'ailleurs pas manqué de relever plusieurs élus, tel que René Souchon, président de la région Auvergne. Tout comme d'autres ont rappelé que l'une des autres ressources fiscales des régions, la TIPP, "ne rentre plus". Le fameux paradoxe d'une taxe dont le produit est voué à diminuer au fur et à mesure que les régions accentuent leurs efforts en faveur des transports collectifs...
Brice Hortefeux a quant à lui parlé, non d'autonomie fiscale, mais d'autonomie financière, invitant à ce titre les régions françaises à observer leurs homologues allemandes ou italiennes. Sur ce point, Alain Rousset concède : "En Allemagne par exemple, les régions bénéficient en effet de parts d'impôts nationaux, sans pouvoir de taux. Si nous pouvions être associés à des ressources bénéficiant de bases dynamiques, alors oui, on pourrait peut-être nous aussi réfléchir à la question."
Personne n'aura oublié que ce dialogue de sourds qui piétine intervient alors que l'on est à trois mois des élections régionales. Et que les présidents de région de gauche entendent bien inviter les électeurs à se prononcer, lors de ce scrutin, sur la réforme elle-même. "La question sera non seulement celle du bilan des exécutifs régionaux, mais aussi celle de l'existence même des régions", indique Alain Rousset. Tout en regrettant avoir dû, pendant ce congrès, "parler de nous-mêmes avant de parler de ce que nous faisons".
Claire Mallet, à Marseille