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Politique de la ville - Les quatre premiers contrats de ville montrent la diversité des visages de la nouvelle géographie prioritaire

Sur les quatre premiers contrats de ville signés à ce jour, un seul correspond à un nouvel entrant dans la politique de la ville. Deux sont franciliens et concernent d'anciennes villes nouvelles. Le premier à avoir dégainé, c'est la communauté d'agglomération de Sénart, le 6 février. Puis vint la communauté urbaine d'Arras, qui a bénéficié de la signature du ministre Patrick Kanner, trois jours après. Vendredi 13, Myriam El Khomri s'est déplacée à Limoux, sous-préfecture de l'Aude. Le lendemain, les deux ministres accompagnaient le chef du gouvernement, Manuel Valls, sur ses terres d'Evry.

Les quatre premiers contrats de ville 2015-2020 signés, que Localtis a pu consulter, sont de natures très différentes. D'abord parce que les 19 quartiers prioritaires qu'ils recouvrent le sont : il y a des quartiers périphériques, des centres de villes nouvelles, un centre-ville de sous-préfecture de province... Les différences s'expliquent aussi par l'expérience que ces territoires ont de la politique de la ville, par l'antériorité d'un projet à l'échelle intercommunale ou encore du travail en commun avec les partenaires.
A noter que ces premiers contrats de ville mentionnent peu – et souvent pas du tout - les enveloppes financières prévisionnelles, ni les engagements des différents partenaires. Celui d'Evry Centre Essonne, qui est pourtant celui qui fait le plus d'efforts en la matière, le justifie en disant que le rôle du contrat de ville est de donner un "cadre de référence pour l'ensemble des partenaires". La circulaire du 15 octobre rappelait pourtant aux préfets que les partenaires (dont les collectivités locales) devaient avancer des "engagements formalisés, pluriannuels". Elle avait il est vrai précisé : "chaque fois que ce sera possible"...

Sénart : un contrat de ville qui s'insère dans un projet de territoire

Sénart est la première à avoir signé son contrat de ville 2015-2020. C'était le 6 février, un peu plus d'un mois seulement après la transformation du SAN (syndicat d'agglomération nouvelle) en communauté d'agglomération. A noter que le contrat de ville de Sénart s'insère dans un projet de territoire fondé autour de trois valeurs : la solidarité, la coopération, la "sobriété". Michel Bisson, président de la communauté, y donne la ligne : "Allons vers une société plus responsable, plus fraternelle, plus 'post-carbone', une société qui propose un mieux-vivre pour tous, qui promeut d'autres modes de consommation plus économes !"
Cette ancienne ville nouvelle du sud francilien comporte 3 quartiers prioritaires, eux-mêmes très différents, et 12 quartiers de veille. Le quartier prioritaire "centre-ville-Lugny" à Moissy-Cramayel compte 3.000 habitants, avec 12.500 euros par an de revenu fiscal médian, 19% de familles monoparentales, 13% de chômage. Il regroupe lui-même deux quartiers distincts. Il y a le centre-ville caractérisé par un fort sentiment d'insécurité "du fait de rassemblements de jeunes dans les halls et sur le domaine public", indique le contrat de ville, mais aussi des "braquages répétés chez les commerçants" et du "trafic de produits illicites". Et il y a le quartier de Lugny: 841 logements sociaux (soit 42% des 2.004 logements du parc social de la ville) et une population très jeune (50% ont moins de 25 ans).

Insécurité et paupérisation en centre-ville de Savigny

Le centre-ville de la commune de Savigny-le-Temple est lui aussi quartier prioritaire (2.530 habitants, revenu médian de 11.600 euros par an). Classé en zone de sécurité prioritaire (ZSP), l'espace public est "très souvent le théâtre de relations conflictuelles et de trafics de stupéfiants", indique le contrat de ville. Il affiche 60% de logements sociaux et l'habitat en locatif social et en copropriété est "dégradé". Des logements sont sur-occupés dans certaines résidences et ailleurs des logements en rez-de-chaussée sont "délaissés voire inhabités". A cela s'ajoute encore "une inquiétante paupérisation des activités commerciales"...
Toujours à Savigny-le-Temple, le quartier prioritaire "Droits de l'Homme et de la Résistance" (1.100 habitants, revenu médian de 12.600 euros par an) est un quartier résidentiel de 358 logements dont 235 (soit 66%) sont des logements sociaux (collectifs et maisons individuels). "Les aménagements des espaces publics sont peu qualitatifs et se sont dégradés au fil du temps", note le contrat de ville.

Solidarité territoriale en terre d'Arras ou comment vivre avec moins de 7.400 euros par an

Le ministre de la Ville, Patrick Kanner, a signé le contrat de ville de la communauté urbaine d'Arras (voir notre article du 10 février 2015). Philippe Rapeneau, son président, inscrit ce contrat "dans le cadre de la solidarité territoriale", autour de trois grands enjeux : le désenclavement des quartiers et l'attractivité de l'habitat social "pour agir sur la promotion des populations et des territoires" ; la réussite éducative et la lutte contre le décrochage scolaire dès le plus jeune âge ; l'accompagnement vers emploi et l'insertion professionnelle.
La communauté urbaine d'Arras compte cinq quartiers prioritaires, dans quatre communes, totalisant 13.389 habitants soit 13% de la population communautaire. Le quartier prioritaire 4as à Archicourt (1.043 habitants, revenu médian de 9.100 euros par an), le quartier Cheminots/Jean-Jaurès/Moulin-Hacart à cheval sur les communes d'Achicourt et d'Arras (1.462 habitants, 11.200 euros par an), le quartier Arras Ouest (7.372 habitants, 7.900 euros par an), le quartier Saint-Michel/ Goudemand à Arras (1.293 habitants, 10.200 euros par an), le quartier Nouvelles Résidences à cheval sur les communes de Saint-Laurent-Blangy et Saint Nicolas-lez-Arras (2.219 habitants, 7.400 euros par an).

32 % d'impayés de loyers

Les quartiers prioritaires de la précédente géographie de la politique de la ville étaient moins nombreux (ils étaient trois) mais concernaient davantage de population (15.850 habitants). La concentration des populations fragiles se vérifient dans nombre d'indicateurs : 24% de familles monoparentales (12% dans la communauté urbaine), 45,18% des allocataires CAF vivant dans le quartier Cheminots/Jean-Jaurès-Moulin-Hacart ont leur revenu composé à 100% des prestations sociales (27,34 % pour les habitant du quartier prioritaire Arras Ouest et 17,8% au niveau de l'agglomération), 32% d'impayés de loyers sur le quartier Jean-Jaurès à Arras et 31,88% sur les quartiers ouest d'Arras...
Cette "concentration de fragilité (...) risque d'avoir des incidences sur l'inclusion sociale, le bien-vivre ensemble et la promotion des populations qui vivent sur ces territoires d'habitat social dense", note le contrat de ville. Le document cadre relève également : la "présence d'un enclavement, qui s'identifie de manière différente en fonction des quartiers", "un patrimoine logement souvent désuet et parfois non pérenne dans le temps", "une offre de services de proximité souvent présente mais sans rayonnement au-delà des quartiers", "une nécessaire présence à travers la gestion urbaine de proximité".

Avec Limoux, la politique de la ville va réhabiliter des bâtiments datant de la Renaissance

La secrétaire d'Etat Myriam El Khomri s'est rendue dans l'Aude, à 20 km de Carcassonne, pour signer, un vendredi 13, le contrat de ville de Limoux, nouvel entrant dans la géographie prioritaire de la politique de la ville. Dès l'intitulé, on sent bien que les acteurs n'ont pas joué le jeu de l'intercommunalité, même si la communauté de communes du Limouxin est naturellement signataire du contrat cadre.
Le seul quartier prioritaire (1.800 habitants, 10.100 euros de revenu médian par an) est de fait situé en grande partie dans le centre-ville de Limoux. Il est lui-même composé de deux quartiers. Il y a d'une part la ville du XVIIIe siècle, avec du bâti très ancien, parfois protégé, souvent inconfortable et qui se dégrade. "La dégradation du bâti dans le quartier peut l'entraîner dans une dynamique négative où des logements de mauvaise qualité accueillent des populations qui n'ont pas les moyens de se loger ailleurs, entraînant ainsi le quartier dans un processus de précarisation", craignent les signataires du contrat de ville. Il y a d'autre part un quartier "d'origine médiévale" avec des extensions urbaines datant des années 50 et 60 ayant accueillis de grand équipements (hôpitaux, gare, établissements scolaires...), des industries aujourd'hui en friches (dont l'ancienne briqueterie) et le quartier Saint-Antoine, propriété de l'OPH Habitat Audois et de la SA Alogéa. "L'enjeu du contrat de ville dans cette partie du quartier est une meilleure greffe dans la ville, notamment par le renforcement et la requalification des équipements publics", indique le contrat de ville.

Evry Centre Essonne : 10 quartiers prioritaires, 38.400 habitants concernés

Et le lendemain, samedi 14 février, c'est le contrat de ville de la communauté d'agglomération d'Evry Centre Essonne, site pilote comme Arras, qui a été signé, en présence de son ancien président, Manuel Valls (voir aussi notre encadré ci-dessous), lui-même accompagné de ses ministres Patrick Kanner et Myriam El Khomri.
L'agglomération compte 10 périmètres prioritaires, dont 8 à Evry, 1 à Courcouronnes et 1 à Ris-Orangis, concernant 38.400 habitants, soit 33% de la population de l'agglomération. Les quartiers prioritaires d'Evry sont : le quartier des Pyramides / Bois Sauvage (13.722 habitants, 10.800 euros de revenu médian par an), le quartier des Epinettes (6.553 habitants, 12.500 euros par an), le quartier des Aunettes (5.990 habitants, revenu fiscal médian non communiqué, 31,6% de chômage chez les jeunes), le quartier du Champtier du Coq (3.147 habitants, 11.500 euros de revenu médian par an), le quartier du Parc aux Lièvres (3.127 habitants, 12.100 euros), le quartier de Petit Bourg (3.059 habitants, 12.100 euros), le quartier des Champs Elysées (2.323 habitants, 12.600 euros de revenu médian par an) et le quartier des Passages (2.213 habitants, 12.800 euros). S'y ajoutent le quartier prioritaire Plateau/Moulin à Vent à Ris-Orangis (10.278 habitants, revenu fiscal médian non communiqué, 28,5% de chômage chez les jeunes) et le quartier prioritaire du Canal de Courcouronnes (9.021 habitants, 11.200 euros par an). Onze quartiers de veille ont été dessinés, dont huit constituent en réalité des extensions des quartiers prioritaires.

"Réengager la République sur ces territoires"

Un des objets du contrat de ville est de "permettre la reconquête du respect et des règles de citoyenneté et de vivre-ensemble dans les quartiers". "Le contrat de ville doit permettre de réengager la République sur ces territoires, tant sur ses symboles qu'à travers un projet global pour l'égalité territoriale et contre les discriminations", est-il également écrit.
Pour cela, plus d'une douzaine d'orientations est listée, parmi lesquelles : revitaliser la citoyenneté et la laïcité dans l'espace public, favoriser l'accès des populations aux ressources d'enseignement, de formation ainsi qu'à la culture et au sport, réduire les écarts entre les besoins des entreprises et les compétences des actifs, développer l'employabilité et l'emploi des personnes éloignées du marché du travail, dynamiser le tissu économique et entrepreneurial des quartiers, maîtriser les équilibres de peuplement pour rétablir la mixité sociale, renforcer la politique de gestion et d'amélioration de l'habitat dans les quartiers, renforcer l'accès aux soins des populations, lutter contre les conséquences sanitaires de l'habitat indigne, garantir la sécurité et la tranquillité publique...

Evry se dote d'un mode de gouvernance "dynamique"

Le mode de gouvernance s'appuie sur "des mécanismes dynamiques anticipant l'évolution de l'action publique et associative en faveur des habitants des quartiers prioritaires", est-il expliqué dans le contrat de ville. "C'est pourquoi le plan d'action fournit non pas des fiches-actions mais un cadre directeur" tandis que "la mise en oeuvre concrète et territorialisée sera assurée tout au long du contrat à travers l'animation territoriale menée par l'équipe de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (Mous), en lien étroit avec les communes", précise le document. Il est également précisé que cette déclinaison territoriale sera formalisée dans un document à l'attention du comité de pilotage "puis interrogée annuellement".
"Ce fonctionnement évite donc de cloisonner l'action de la politique de la ville dans un cadre trop strict pour une période de 6 ans", est-il justifié. "Il redonne au contrat de ville son rôle de cadre de référence pour l'ensemble des partenaires, et positionne le comité de pilotage au centre de la gouvernance et de l'évolution de la politique de la ville".
390 contrats de ville doivent être signés d'ici au 30 juin 2015, concernant 1.500 quartiers prioritaires.

Valérie Liquet


Quand Manuel Valls évoque le "profond sentiment d'absence d'amour" dans les quartiers

Manuel Valls a profité de la signature du contrat de ville de la communauté d'agglomération d'Evry Centre Essonne, dont il a été président jusqu'en 2012, pour vanter un dispositif qui doit "casser la spirale infernale de la ghettoïsation". Le Premier ministre a réemployé le terme d'"apartheid" qu'il avait utilisé "à dessein" après les attentats de janvier pour décrire la situation de ces quartiers, "éveiller les consciences et parler des sujets que certains ne veulent pas voir". "Un grand nombre de citoyens ont le sentiment d'être des citoyens de seconde zone", a-t-il ajouté. Ces contrats de ville, dont il n'a évoqué ni le nombre ni les montants alloués, doivent "faire du beau" et "mettre de l'amour" dans ces zones déshéritées où règne, selon lui, "un profond sentiment d'absence d'amour". Des expressions que l'on n'a pas l'habitude d'entendre de la part du Premier ministre. Il est vrai que c'était la Saint-Valentin.

Avec AFP