Accaparement des terres - Les pouvoirs des Safer renforcés, faute de mieux
Le Parlement a définitivement adopté mercredi 15 février la proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. Si le texte renforce encore les moyens des Safer, de nombreuses voix réclament déjà une grande loi sur le foncier agricole pour aller plus loin...
L’encre de la proposition de loi contre l’accaparement des terres agricoles n’est pas sèche que de nombreux parlementaires exigent une grande loi sur le foncier. A quelques jours de la clôture de la session parlementaire, les sénateurs ont apposé le point final à ce texte, le 15 février, en adoptant un jour après les députés, l'accord trouvé par la CMP (commission mixte paritaire). Ce texte vient parachever les dispositions de la loi d’avenir pour l’agriculture qui, en 2014, avait déjà commencé à renforcer le pouvoir des Safer. Mais cette réforme restait incomplète, puisque ces dernières ne pouvaient pas exercer leur droit de préemption sur les ventes partielles de sociétés agricoles, un artifice trouvé par certains investisseurs dans des affaires retentissantes pour contourner le contrôle des Safer. Cette lacune est désormais corrigée. La proposition de loi reprend des dispositions de la loi Sapin 2 censurées en décembre par le Conseil constitutionnel (au motif qu'elles ne se situaient pas dans le bon véhicule législatif) : les Safer auront connaissance de toutes les transactions,et pourront ,le cas échéant, faire jouer leur droit de préemption, dans le but de rétrocéder les terres à de jeunes agricultures. Et ce, quel que soit le montant des parts cédées. A travers ces mesures, les parlementaires ont aussi voulu enrayer le risque de spéculation sur les terres.
Sociétés de portage foncier
Par ailleurs, le texte oblige les sociétés qui acquièrent des terres à les rétrocéder à une société dédiée au portage foncier. Ainsi, les Safer pourront exercer leur droit de préemption sans mettre en cause le principe d’affectio societatis, à la base du droit des sociétés.
Plusieurs dérogations sont cependant prévues : ce recours à une société foncière ne sera pas obligatoire pour les les groupements fonciers agricoles (GFA), les groupements fonciers ruraux (GFR), les groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec) ou les entreprises agricoles à responsabilité limitée (EARL) ou encore les associations dont l’objet principal est la propriété agricole. De plus - c’était l’un des enjeux à trancher en CMP – cette dérogation a été étendue aux sociétés agricoles qui rachètent des terres dont elles sont déjà locataires (dès lors que le bail a été conclu avant le 1er janvier 2016). Le but est de ne pas pénaliser les sociétés agricoles existantes.
Des moyens qui restent insuffisants
Toutefois, tout le monde s’accorde à dire que ces mesures ne sont toujours pas suffisantes pour lutter contre un phénomène de fond où se mêlent la financiarisation de l’agriculture, l’artificialisation des sols, sans parler du très faible niveau de retraite des agriculteurs qui les conduit bien souvent à vendre leurs terres au plus offrant. Le rapporteur du texte Daniel Gremillet (LR) a annoncé qu’il travaillait déjà à un "grand texte foncier". "Si nous voulons que les paysans restent maîtres de la terre indispensable à toute production, tout en permettant des investissements indispensables à la modernisation des structures agricoles, il nous faudra probablement aller plus loin", a-t-il dit. Le rapporteur à l’Assemblée Dominique Potier (PS) a lui aussi appelé, mardi, à une grande loi foncière accompagnée d’une "grande loi de santé environnementale".
Une autre question soulevée : les capacités réelles d’action des Safer sachant qu’en 2015, elles n’ont exercé que 1.260 préemptions portant sur 6.000 hectares, soit une goutte d’eau comparé aux 575.000 hectares de terres agricoles cédées la même année. En valeurs, ces préemptions comptent pour 5% de l’ensemble des acquisitions. Le sénateur Henri Cabanel (PS) a proposé qu’une partie de la taxe spéciale d’équipement (TSE) prélevée par les établissements publics fonciers soit fléchée au niveau régional pour chaque Safer via une convention d’objectifs qui s’appuie sur une stratégie de territoire.
Biocontrôle
Le deuxième volet de la proposition de loi vise à encourager le "biocontrôle", c’est-à-dire les techniques alternatives aux produits phytosanitaires. Elle reprend l’expérimentation des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (Cepp) inspirés des certificats d'économie d'énergie, jusqu’en 2022. La CMP a réintroduit un dispositif de sanction supprimé par le Sénat, avec un bilan à mi-parcours en 2020. Elle a aussi prévu la mise en place d'une exception à l'interdiction faite aux collectivités territoriales d'utiliser des produits chimiques classiques lorsque la survie d'une espèce végétale est en jeu et qu'aucune solution alternative n'existe. L’exemple du buis a été mis en avant.