Pesticides - Zéro phyto : les secrets des communes innovantes
Source importante de contamination des eaux et de risques d'intoxications aiguës ou chroniques pour les usagers et professionnels en charge de l'entretien des espaces verts, routes et voiries, les pesticides seront interdits comme le prescrit la loi sur la transition énergétique à compter du 1er janvier 2017 dans les jardins, espaces végétalisés et infrastructures (Jevi) accessibles au public. "Les collectivités territoriales et les établissements publics disposent donc de quelques mois pour amorcer cette transition", souligne un guide publié par le ministère de l'Environnement et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) dans le cadre du plan Ecophyto qui vise justement à les accompagner dans ce passage au zéro pesticide. "C'est possible et c'est un défi, certes, mais avant tout l'opportunité de proposer une nouvelle conception de la nature en ville", poursuit ce guide en rappelant que "plus de 4.000 communes françaises sont déjà engagées dans des démarches de réduction ou de suppression des pesticides dans les espaces publics dont elles ont la gestion".
Trois piliers
Trois piliers sont mis en avant. Premier point : passer au zéro phyto nécessite d'intégrer des principes de gestion écologique en amont des projets d'aménagements ou de réorganisation des espaces : "L'adoption d'une gestion différenciée est alors la clé pour réduire l'usage des pesticides". Mieux, "dès sa conception ou sa réfection il est nécessaire de penser ces espaces selon l'usage qui en sera fait".
Dans ce guide les experts recommandent en outre aux communes et gestionnaires d'espaces verts de "veiller à la qualité agronomique des plantations", de privilégier des espèces végétales régulatrices, de prévoir des espaces "permettant l'intégration d'une végétation spontanée"… En clair, un ensemble d'actions existent, nécessitant bien souvent de passer par la case formation.
Le CNFPT en dispense et Marc Champault, responsable des espaces publics de la ville de Fontainebleau (Seine-et-Marne), qui a banni les phytos depuis 2011, explique être passé par là pour former son équipe de techniciens aux traitements chimiques et au danger auquel leur usage expose : "Puis ils ont suivi une formation biodiversité, ce qui nous a permis de leur faire comprendre pourquoi leur façon de travailler allait évoluer vers d'autres alternatives", ajoute-il. Pour que la transition se fasse en douceur, la commune de Haguenau (Bas-Rhin), en gestion zérophyto depuis 2012, a misé pour sa part sur un plan de formation sur six ans visant à accompagner une trentaine de techniciens dans ce changement qui "reste difficile à admettre car il remet en cause leur façon de travailler".
Dernier conseil fourni par ce guide aux collectivités qui se lancent dans la démarche : d'abord faire l'état des lieux des pratiques de désherbages existantes et cartographier les sites à traiter et les zones à risques, avant un plan de désherbage alternatif au désherbage chimique et un plan de gestion différenciée. L'exploration de techniques alternatives est aussi abordée.
L'exemple charentais
Parmi les collectivités ayant su anticiper l'échéance de 2017, citons le cas de la petite commune charentaise de L'Isle-d'Espagnac. Elle s'est lancée, au départ un peu abruptement, il y a cinq ans dans une démarche de réduction de l'utilisation des pesticides sur les espaces qu'elle entretient. Une démarche que la remise en mars dernier du label national "Terre saine, communes sans pesticides" (niveau 4 papillons) est venue couronner. "Tout a commencé par une délibération des élus. Elle est arrivée trop tôt, en 2011, nous n'étions pas assez préparés. Il a fallu attendre deux ans pour former nos agents à une gestion différenciée des espaces communaux avec l'appui de la Fredon Poitou-Charentes, qui est experte en la matière", resitue sa maire, Marie-Hélène Pierre.
La gestion différenciée y a permis d'orienter l'entretien des espaces en fonction des nouvelles attentes de la commune. Une cartographie des zones jusque-là entretenues chimiquement a été dressée. "Il a fallu modifier des habitudes d'entretien prises sur trente ans. Cela ne se fait pas d'un jour à l'autre mais en trois ou quatre ans, un tel changement est réalisable. Une fois lancé, l'essentiel est de maintenir le cap et de ne pas revenir en arrière, même en période électorale", motive l'élue. "Nous ne pouvions pas nous permettre de compenser l'arrêt des phytos par l'embauche de nouvelles personnes ou des dépenses nouvelles. Il a donc fallu repenser notre travail intelligemment", ajoute Sylvain Brégeon, directeur des services techniques de la ville.
Economiser pour mieux dépenser
Résultat, l'achat de moins de phytos a permis de dégager une économie annuelle de 8.000 à 10.000 euros. Des gains ont aussi été faits sur les achats de plantes, en passant des annuelles ou bisannuelles à des vivaces. Pas suffisant pour s'équiper mais avec une aide de l'agence de l'eau, la ville est parvenue à acheter du matériel mécanique faisant office d'alternative. Car pas question d'un retour à la binette ! "Mais en gagnant du temps dans l'entretien de certains espaces, on peut le consacrer à d'autres où l'arrêt des phytos nécessite un traitement plus poussé et mobilisateur", explique Daniel Garry, responsable des espaces verts à la tête d'une équipe de dix agents. Trois fois par an, toute l'équipe est mobilisée pour débroussailler les rues, là où deux agents pulvérisant autrefois suffisaient. "Pour compenser, nous avons gagné du temps dans l'entretien, plus chronophage auparavant, d'une autre zone, celle des trois terrains de football. Les passages de phytosanitaires y ont été aussi supprimés. Son entretien écologique donne de bons résultats." Autre source de fierté locale : le cimetière, ce point noir des communes qui veulent bannir les pesticides, y est géré écologiquement. L'enherbement des surfaces gravillonnées y prend bien. Entre les tombes, espace fastidieux à entretenir, poussent de petites prairies fleuries.
Expliquer sans relâche
Il n'empêche : ce complet virage dans la politique d'entretien a suscité son lot de plaintes et récriminations. "Il faut expliquer et réexpliquer sans relâche aux habitants, et veiller à ce qu'ils ne désherbent pas eux-mêmes chimiquement le trottoir." L'élue préconise de faire confiance aux retours du terrain. Les jardiniers ne manquent pas d'astuces pour entretenir mieux et bien. Quant aux services manquant d'un appui technique, ils peuvent en bénéficier via le dispositif de charte régionale d'accompagnement et le site www.ecophytozna-pro.fr qui recense des guides, retours d'expérience et solutions.