Transport ferroviaire - Les parlementaires européens testent la pertinence du Lyon-Turin
Placée en tête des chantiers favoris de la Commission européenne, la liaison du Lyon-Turin devient le projet prioritaire à abattre pour les Verts à Bruxelles, qui relaient des inquiétudes d'ordre économique et environnemental. "Quand on perce un tunnel dans les Alpes, combien est-ce que cela crée d'emplois ?", a demandé le député écologiste Michael Cramer, président de la commission Transport du Parlement européen, lors d'une audition mardi 4 novembre. "Lorsqu'un projet n'est plus rentable car les coûts ne cessent d'augmenter, a-t-il ajouté, est-ce que cela vaut encore le coup ?"
Sans remettre en cause la raison d'être du projet transalpin, une nouvelle étude vient nourrir l'argumentaire des contempteurs de la future liaison de fret et transport de voyageurs, inscrite dans les schémas européens de desserte depuis 1994.
Des études d'impact environnemental lacunaires
"Il ne fait aucun doute que la construction du tunnel de base comporte des risques environnementaux", écrit le consortium d'experts, issus de centres de recherche situés en Allemagne et en Suisse. La roche vouée à être creusée contient de l'amiante et de l'uranium. Si des analyses environnementales existent sur certains "aspects spécifiques", "nous n'avons pas pu identifier d'étude d'impact pour l'ensemble du projet", constatent-ils.
De part et d'autre de la frontière, les réactions sont contrastées. Côté italien, l'hostilité prospère à l'échelle locale depuis les années 1990. Elle s'incarne dans le célèbre slogan "No Tav" (non au TGV), les manifestations et les dépôts de bombes artisanales sur le chantier.
Jusqu'en 2006, collectivités et populations ont volontairement été tenues à l'écart du débat. En voulant recourir à une procédure accélérée qui limite l'évaluation environnementale et la concertation, la méthode italienne a freiné le projet et soudé les mécontents.
Un reproche qui ne pourrait être fait à la France. "Les autorités locales et régionales ont été impliquées tôt dans le développement du projet", souligne l'étude. Dans l'Hexagone, la contestation vient au contraire d'une autorité d'envergure nationale, la Cour des comptes, qui a ouvert une réelle brèche en 2012 en recommandant quasiment d'enterrer le projet, jugé non rentable.
Prévisions de trafic "optimistes"
La viabilité de cette liaison de 257 kilomètres est pointée du doigt, à mesure que le coût du projet est revu à la hausse, sous l'effet de l'inflation et de la prise en compte des accès au tunnel. L'investissement, chiffré à 26 milliards d'euros, aurait une rentabilité oscillant entre 4,7% et 5%, selon les auteurs. Mais beaucoup d'inconnues demeurent. Les prévisions de trafic de fret sont "optimistes" et la construction du "tunnel seul ne sera pas suffisante pour attirer la demande".
Les auteurs frappent au cœur du sujet : en l'absence d'incitation fiscale pour favoriser le ferroutage entre Lyon et Turin, au détriment des passages routiers bon marché par Vintimille, les chances d'échec sont grandes. Sans un tel effort, "l'investissement dans le Lyon-Turin devrait être questionné", prévient le rapport. L'abandon récent de l'écotaxe ne peut que rappeler l'immense difficulté de la France à s'engager dans une taxation accrue du transport routier et ainsi favoriser le report modal.
Pour éviter la débâcle, les auteurs préconisent une plus grande transparence sur les coûts réels et les retombées économiques du Lyon-Turin, désormais envisagé en deux phases : construire le tunnel de base (8,5 milliards d'euros), puis envisager le reste des travaux en fonction de la croissance de la demande de transport dans cette zone…
Une étude de "très bonne qualité"
"Quand un projet est surdimensionné, il y a un risque de dépasser les coûts. Les projets européens ont tendance à voir trop large. Chaque demande de grand projet doit être vérifiée", insiste l'un des auteurs, présent à l'audition parlementaire. En France, le commissariat général à l'investissement conduit des contre-expertises pour tout projet supérieur à 100 millions d'euros. Mais il a acquis ce droit en 2013, soit 6 ans après la signature de la déclaration d'utilité publique du Lyon-Turin. Ce qui ne lui permet plus d'y mettre son grain de sel. Certains parlementaires se chargent donc de poursuivre la fronde, en misant sur un désengagement de la Commission européenne. C'est le cas de la députée européenne Karima Delli (Verts/ALE), qui voit dans cette étude européenne un début de trame concourant à défaire le Lyon-Turin.
Les recommandations faites sont de "très bonne qualité", a reconnu le directeur en charge du réseau de mobilité à la Commission européenne Olivier Onidi. La direction générale des Transports assure pourtant que son soutien au Lyon-Turin reste intact. Outre l'enveloppe européenne de 11,9 milliards d'euros dans laquelle l'infrastructure transalpine pourrait émarger si Paris et Rome en font la demande, le plan à 300 milliards d'euros de Jean-Claude Juncker est également évoqué pour financer la liaison franco-italienne et autres "méga projets".