Départements - Les négociations financières entre l'ADF et l'exécutif achoppent
Mercredi 20 juin, l'Assemblée des départements de France (ADF) faisait savoir que "77% des présidents de département" réunis ce jour-là pour le bureau puis l'assemblée générale de l'association s'étaient dits opposés à la signature avec l'Etat des contrats sur la maîtrise des dépenses de fonctionnement. "On verra le 1er juillet ce qu'il en sera précisément... mais cela donne une indication. La majorité des départements ne signeront pas", déclarait Dominique Bussereau en fin de journée lors d'un point presse. Dans son propre département, la Charente-Maritime, l'assemblée départementale a voté contre toute signature. Même chose dans les départements des deux présidents présents mercredi à ses côtés, François Sauvadet (Côte-d'Or), président du groupe droite, centre et indépendants (DCI) de l'ADF, et André Viola (Aude), président des départements de gauche.
Les élus départementaux se trouvaient ainsi à peu près sur la même longueur d'ondes que ceux de Régions de France qui, le même jour, avaient eux aussi réuni la presse pour exprimer toutes leurs réserves sur la contractualisation proposée par le gouvernement (lire notre article du 20 juin).
L'ordre du jour de l'ADF mercredi était centré sur les grandes questions financières du moment pour les départements : la contractualisation, donc, mais aussi et toujours "les débats et négociations" sur les mineurs non accompagnés (MNA) et sur les allocations individuelles de solidarité (AIS), la solidarité financière entre départements, la réforme de la fiscalité locale. En sachant que tout cela est évidemment plus ou moins lié…
A preuve, petit coup de théâtre pour les présidents de département en ouvrant Les Echos le lendemain matin, ce jeudi 21 juin : selon le quotidien économique, Matignon, en réaction à la réticence affichée des élus vis-à-vis des contrats, aurait finalement fait marche arrière sur l'un des compromis récemment trouvés pour concourir au financement des AIS. "L'ADF a dit non aux contrats, dont acte, il n'y aura pas de hausse des droits de mutation", devait déclarer Matignon aux Echos. Le journal Le Monde rapportait le même son de cloche : "Compte tenu de la position prise par les départements, cette porte s’est refermée".
Environ 400 millions d'euros à mutualiser
Dominique Bussereau avait rappelé mercredi les termes du dossier, comme il l'avait fait récemment dans une interview accordée à Localtis. Dans le cadre des négociations avec l'Etat sur le financement des AIS, l'ADF avait demandé au gouvernement de "pouvoir faire bouger" le plafond des DMTO pour le faire passer de 4,5% à 4,9%. Le compromis proposé par Edouard Philippe : d'accord pour 4,7%.
L'idée de l'ADF : grâce à cette manne fiscale, "mettre en place une péréquation entre départements, dont nous proposerions nous-mêmes les modalités à l'Etat". La disposition se traduirait par un article dans la prochaine loi de finances. "Cette somme supplémentaire serait orientée vers les départements ruraux les plus en difficulté ainsi que certains grands départements urbains" comme le Nord ou la Seine-Saint-Denis, a détaillé Dominique Bussereau mercredi, jugeant ce projet "assez historique". Si tous les départements appliquaient un taux de 4,7%, le produit pourrait avoisiner les 490 millions d'euros. "On espère pouvoir dégager environ 400 millions", indiquait Dominique Bussereau.
Le gouvernement avait pour sa part proposé d'apporter une nouvelle contribution annuelle de 200 millions d'euros au financement des AIS, auxquels s'ajouteraient les 50 millions de crédits d'insertion du Fapi (fonds d'appui aux politiques d'insertion). L'ADF jugeait ces 250 millions clairement en dessous des besoins et avait jusqu'ici refusé un accord. Mais avait, de guerre lasse, fini par "prendre acte" de la proposition. "Nous avons décidé de pallier à cette réponse insuffisante par une péréquation entre nous", résumait mercredi André Viola. Les deux-tiers des départements en avaient accepté le principe mercredi. Y compris "les départements qui savent qu'ils seront contributeurs sont prêts à jouer le jeu de la solidarité", relevait-il.
L'ADF prévoyait un mois de travaux pour affiner le dispositif. Le nombre de départements jugés "en difficulté" et donc bénéficiaires de cette mutualisation aurait été de l'ordre de 45 ou 50 (environ la moitié, ruraux, surtout affectés par un problème de ressources ; l'autre moitié souffrant avant tout de dépenses sociales supérieures à la moyenne).
"Episode fâcheux et condamnable"
"L'ADF apprend, par la presse, avec tristesse et consternation, la décision de Matignon de ne pas donner suite aux propositions faites aux départements concernant les allocations individuelles de solidarité", a très vite réagi Dominique Bussereau jeudi dans un communiqué relayé par de nombreux élus. "Ce revirement va mettre en grave difficulté de nombreux départements qui seront privés des ressources de l'Etat et de la péréquation inter-départementale financée par une augmentation très modérée des DMTO". "La relation de confiance entre l'Etat et les collectivités sort très abîmée de cet épisode fâcheux et condamnable", poursuit le président de l'ADF.
"Bien que le Premier ministre ne tienne pas ce langage, on nous indique que ce revirement serait une mesure de rétorsion à l'égard des départements puisqu'une majorité d'entre eux ne veut pas signer les pactes financiers", note-t-il. Et ce, insiste Dominique Bussereau, alors même que le 20 juin, la majorité des élus avaient "dit oui" aux propositions du gouvernement tant sur les AIS que sur les MNA. Ils avaient certes dit "non au principe des pactes financiers" mais il restait clair que "chaque département est libre de signer ou pas". Et l'ADF d'annoncer vouloir "se concerter avec Régions de France et l'Association des maires de France sur l'avenir des relations entre les collectivités locales et l'Etat". Dans un premier temps, son président prévoit de réunir un bureau extraordinaire dès ce mardi 26 juin. Le groupe DCI parle pour sa part carrément, dans un tweet, d'une "agression qui, si elle était confirmée, serait un scandale politique majeur".
Jusqu'à ce jour, l'ADF avait bien l'intention de participer à la réunion de l'instance de dialogue désormais prévue le 4 juillet puis à la Conférence nationale des territoires. La donne pourrait-elle changer ?
Contractualisation : une "impasse intenable"
Reste à savoir comment les choses se concluront en matière de contractualisation d'ici au 30 juin. Pour certains, les choses sont claires. "Le plafonnement de nos dépenses de fonctionnement à une hausse de 1,2% par an est intenable", tranchait mercredi François Sauvadet, parlant d'une "impasse", d'un dispositif qui "n'a rien d'un contrat". Selon lui, cela "impactera inévitablement l'investissement" ainsi que la "solidarité territoriale", à savoir principalement l'aide aux communes. Le président de la Côte d'Or dit avoir entendu beaucoup de ses homologues témoigner de "marges de discussions très faibles avec les préfets". "Peut-être que dans les jours qui viennent, certains préfets se réveilleront...", ajoute Dominique Bussereau.
André Viola met en outre en avant certains refus de principe : l'idée même d'une "approbation préalable du préfet avant de voter un budget" ne serait "pas acceptable". Et ce, alors même qu'en réalité, "dans de nombreux départements, la hausse de leurs dépenses sera en-deçà des 1,2%".
Autre sujet qui coince, on le sait : celui de la réforme de la fiscalité locale rendue nécessaire par la suppression de la taxe d'habitation. Les présidents de département continuent de refuser en bloc les propositions de la mission Richard-Bur sur un transfert aux communes de la part départementale de foncier bâti et sur une "nationalisation" des DMTO.
Ils l'ont redit mercredi en adoptant une motion à l'unanimité. Et ce, même si les choses semblent avoir un peu bougé depuis la dernière réunion de l'instance nationale de dialogue. Ce jour-là déjà, le 17 mai, Alain Richard aurait reconnu que le transfert de foncier bâti et sa répartition entre les communes serait "techniquement impossible". Et depuis, le groupe de travail sur la réforme de la fiscalité locale du Comité des finances locales (CFL), qui avait été le premier à proposer ce transfert, aurait sensiblement revu sa copie. Les choses se confirmeront le 3 juillet lors de la plénière du CFL.
Au sein de l'ADF en tout cas, quelles que soient les couleurs politiques, on reste plus que ferme là-dessus. "Nous avons été impliqués par ricochet, c'est le problème du gouvernement, pas des départements", tranche André Viola. "Ce n'est pas à nous de savoir comment l'exécutif rebouchera les trous qu'il a lui-même creusés", appuie Dominique Bussereau.