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Réforme de la fiscalité locale : la concertation s'ouvre, les départements sur le qui-vive

Le Premier ministre a réuni ce 17 mai à Matignon l'instance nationale de dialogue de la Conférence nationale des territoires. Objectif : ouvrir la concertation avec les élus locaux sur les propositions que la mission Richard-Bur lui a remises la semaine dernière. Alors que les représentants du bloc local se disent globalement favorables à un transfert de la part départementale de la taxe sur le foncier bâti, les départements ont exprimé leur "opposition ferme et définitive" à ce scénario. Ils ont en outre redit leur refus d'une "nationalisation" des DMTO.

Les propositions de la mission Richard-Bur sur la fiscalité locale ne manquent pas de créer un hiatus entre les élus des communes et intercommunalités d'un côté et les élus des départements de l'autre. L'enjeu porte sur le devenir des 13,8 milliards d'euros de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
La mission présidée par le sénateur de la majorité et l'ancien directeur général des collectivités locales met en avant deux scénarios. Dans l'un, elle prévoit de transférer au bloc communal dans son ensemble, voire aux seules communes, le dernier grand impôt local sur lequel les départements disposent d'un pouvoir de taux. Dans l'autre, elle préconise l'affectation au bloc communal de la fraction d'un impôt national, la TVA ayant sa préférence.
A l'unanimité, les associations de maires et de présidents de communautés avaient affirmé ces derniers jours leur nette préférence pour le premier scénario envisagé par la mission (voir notre article relatif à leurs positions), excluant même catégoriquement le second.
Devant le Premier ministre et les nombreux ministres qui l'entouraient ce 17 mai à l'hôtel Matignon, les représentants de ces associations ont répété que ce schéma leur convenait, comme l'a expliqué Jean-Luc Rigaut, président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) à l'issue de la réunion. Intervenant à l'occasion d'une table-ronde organisée par l'Agence France locale sur la réforme de la fiscalité locale, il a ajouté qu'il souhaitait voir le bloc local dans son ensemble se voir attribuer la part départementale de foncier bâti. Il reviendrait aux communes et à leurs groupements de "s'entendre dans la répartition interne" de cet impôt, a-t-il dit. En expliquant aussi qu'"il ne faut pas casser les dynamiques de solidarités de territoires qui se sont créées".

"Les départements se sentent agressés"

L'octroi au bloc communal d'une fraction de TVA nécessaire au complément de la part de foncier bâti départementale ne susciterait pas un grand enthousiasme de la part des associations du bloc communal. Bercy devrait calculer la fraction revenant à chaque commune, avec parfois "dix chiffres après la virgule". Beaucoup sont d'accord pour dire que […] cela n'a pas de sens", a déclaré le président du Grand Annecy.
La TVA, qui repose sur la consommation, ne va pas renforcer "le lien fiscal entre l'action publique locale et la fiscalité locale", a pointé de son côté Olivier Landel, délégué général de France urbaine. "Demain, si les deux sont décorrélés, quel sera l'intérêt de mouiller la chemise pour faire venir une entreprise ou des habitants ?", a-t-il déclaré. En précisant que lors de la réunion avec le gouvernement, "beaucoup" d'intervenants "ont insisté" sur ce point, parmi lesquels le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb.
Plutôt que "l'usine à gaz" de la TVA, "on préférerait, a dit Jean-Luc Rigaut, avoir le retour direct d'un impôt accroché à des réalités locales". Tout comme leurs collègues de France urbaine, certains élus de l'ADCF plaident pour l'attribution au bloc communal - en complément du transfert de la TFPB départementale - du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aujourd'hui affecté aux départements.
Lorsqu'est évoqué le transfert de leur part de taxe sur le foncier bâti, "les départements hurlent en disant que ce n'est pas possible", a relaté Jean-Luc Rigaut. Alors s'il est de surcroît question de leur retirer le bénéfice de la CVAE, "les départements se sentent agressés de tous les côtés", a-t-il poursuivi. En estimant pour sa part qu'"à un moment donné, il faut assumer la modernisation de l'organisation de la France des bassins de vie, qui n'est plus la France des départements de l'époque". "A un moment, il faudra que les choses se fassent et le gouvernement l'a entendu", a-t-il conclu.

Des ressources fiscales... et des dépenses sociales

La délégation de l'Assemblée des départements de France (ADF) conduite par Dominique Bussereau, président de l'association, a effectivement réaffirmé ce jeudi à Matignon son "opposition ferme et définitive au transfert de la taxe sur le foncier bâti aux communes", transfert qui "ferait perdre toute autonomie fiscale aux exécutifs départementaux".
La crispation est d'autant plus forte que le rapport Richard-Bur propose dans le même temps une "nationalisation" des DMTO. Une ressource de 10 milliards d'euros  dont la mission pointe l'évolution imprévisible et la répartition très inégale selon les départements. "Il apparaîtrait préférable de remplacer [cet impôt] dans les recettes des départements par une part d’impôt national et d’en transférer le produit à l’État", peut-on lire dans le rapport.
"Les collectivités territoriales doivent pouvoir disposer d’un panier de ressources diversifiées afin que chaque échelon local puisse exercer l’ensemble de ses compétences de manière efficace et pérenne", plaidait l'ADF à la veille de la remise du rapport.
François Sauvadet, président de la Côte-d'Or, présent à Matignon aux côtés de Dominique Bussereau, tout en reconnaissant une "volonté de dialogue" de la part du gouvernement, a en outre redit les inquiétudes des départements quant à leur "capacité financière à assumer leur missions avec le plafonnement des budgets" dans le cadre de la contractualisation sur les dépenses des grandes collectivités.
Pour les départements, ces scénarios fiscaux interviennent on le sait dans le contexte déjà difficile des négociations avec l'Etat sur le financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) et de la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA). Or sur les AIS, le bureau de l'ADF, réuni la veille au grand complet pour examiner les dernières propositions du gouvernement, avait tranché : "Le compte n'y est toujours pas" (voir encadré ci-dessous).

Un projet de loi au début de 2019 ?

"Plusieurs intervenants" ont aussi posé "la question du lien entre la réforme fiscale et la révision constitutionnelle ou des lois organiques qui définissent l'autonomie fiscale et l'autonomie financière", a rapporté Olivier Landel. Ils ont souhaité "une réflexion sur le sujet", a-t-il précisé.
Parmi les élus locaux, on sait que l'inquiétude est parfois grande face à l'érosion qu'a subie l'autonomie fiscale au cours des vingt dernières années. Selon eux, la possibilité de faire varier le taux des impôts locaux permet aux collectivités de réagir rapidement à l'évolution de leurs charges. Même dynamiques, des impôts nationaux n'offriraient pas la même souplesse. Participant à la table-ronde, Dominique Bur, coprésident de la mission sur la fiscalité locale, s'est voulu rassurant sur cette question : "Il y a une évolution vers un partage d'impôts nationaux qui existe dans beaucoup d'autres pays très démocratiques". Il a ajouté que "c'est une tendance de fond historique."
A la différence des transferts d'impôts nationaux, la nécessité de réviser les valeurs locatives des 43 millions de locaux d'habitation a suscité "un consensus absolu" entre le gouvernement et les élus locaux, a assuré l'ancien préfet. Lequel s'est montré très réservé sur l'utilisation des valeurs vénales, une piste qui a parfois été suggérée, mais dont la mise en œuvre serait "assez dangereuse" en raison de l'instabilité fiscale qu'elle favoriserait.
S'agissant du calendrier de la réforme fiscale, Dominique Bur a rappelé la proposition de la mission en faveur d'une concertation au cours de l'année 2018, devant déboucher sur un projet de loi au cours du premier semestre 2019. "Ce matin, le Premier ministre était assez sur cette ligne", a-t-il confié.
Parmi les autres dossiers au menu de cette réunion de l’instance de dialogue figurait celui de l'économie circulaire, qui a fait l’objet de débats, les associations d’élus locaux souhaitant notamment que la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) soit plus incitative.
Une nouvelle réunion de l'instance de dialogue aura lieu le 22 juin avec cette fois au cœur de l'ordre du jour les chantiers et enjeux liés à la fonction publique territoriale. La prochaine conférence nationale des territoires est quant à elle programmée pour le 11 juillet et devrait être pour une bonne part centrée sur les sujets européens, avec la présence annoncée du président de la Commission européenne.

Oui pour les MNA, non pour les AIS
Le bureau de l’ADF s’est réuni le 16 mai afin de se prononcer, par un vote à bulletin secret, sur les dernières propositions en date du Premier ministre relatives aux mineurs non accompagnés (MNA) et aux allocations individuelles de solidarité (AIS).
Concernant les MNA, les choses ont progressé. Tandis qu’ en mars dernier, on était encore loin d’un accord, l’ADF a fini par accepter la proposition du gouvernement. Celle-ci consiste en "une aide concentrée sur la phase d’accueil et d’évaluation, avec 500 euros par jeune à évaluer plus 90 euros par jour pour l’hébergement pendant 14 jours puis 20 euros du 15e au 23e jour". Et les départements sont prêts à accepter une "atténuation" du "dispositif Cazeneuve" prévoyant un remboursement aux départements de 30% du coût de la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) au-delà de 13.000 mineurs (sur les derniers chiffres relatifs aux MNA, lire notre article de ce jour). Les présidents de département peuvent en outre se satisfaire du fait que les dépenses liées aux MNA seront exclues des dépenses de fonctionnement prises en compte dans le cadre de la contractualisation Etat/collectivités.
S’agissant des AIS en revanche, "le compte n’y est toujours pas" a tranché le bureau de l’ADF : "La proposition du gouvernement prévoit 250 millions de dotations supplémentaires de l’Etat contre 350 millions de redistribution de ressources entre les départements. Le créancier paie plus que le débiteur, c’est singulier ! Il faut au minimum parvenir à un juste équilibre entre les efforts financiers consentis par l’Etat et ceux demandés aux départements", explique l’association dans son communiqué.
C.M.

 

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