Les missions locales n'en ont pas fini avec les décrocheurs du système scolaire
Dans le cadre de la réforme du lycée professionnel, les missions locales sont appelées à intervenir au plus tôt pour éviter toute sortie du système scolaire sans solution. Le suivi des jeunes qui abandonnent leurs études après le bac constitue un autre défi à relever.
Bien qu'en baisse depuis des années, le décrochage scolaire demeure un défi important pour les politiques publiques. En 2021, encore 1,4 million de jeunes de 15 à 29 ans - soit 12,8% de cette classe d’âge - n’étaient ni en emploi, ni en études, ni en formation d’après l’Insee. Si l’Éducation nationale poursuit ses efforts de prévention, ce phénomène qui persiste fait des missions locales des acteurs clés dans l’accompagnement des jeunes quittant le système scolaire. Ses causes ont fait l’objet d’un colloque à l’Assemblée nationale le 11 octobre dernier, associant la Fondation AlphaOmega - qui finance des acteurs de l’éducation - et l’Union nationale des missions locales (UNML).
Un phénomène multifactoriel
"Il n’y a pas un, mais des décrochages", précise d’emblée Elisabeth Elkrief, directrice générale d’AlphaOmega. On le sait, le décrochage scolaire s’explique par des facteurs socioéconomiques, liés au niveau scolaire mais aussi aux opportunités présentes dans les territoires. Cela étant, les résultats d’une enquête menée auprès de 2.100 jeunes de 16 à 18 ans en rupture de parcours, suivis en mission locale et à l’Afpa (Agence pour la formation professionnelle des adultes), complexifie encore l’analyse. 70% des jeunes interrogés déclarent qu’ils avaient des résultats bons ou moyens à l’école ; 30% "se sentaient mal avec leurs parents" ; et 63% des filles se disent soulagées d’avoir quitté l’école, comme 46% des garçons.
Des statistiques qui impliquent de traiter le problème de l’orientation subie, mais aussi de réfléchir au poids du contexte familial ou au stress en milieu scolaire, lié parfois à du harcèlement. Les adolescents présentent aussi une vulnérabilité spécifique à leur âge pour des raisons biologiques. "En général, le bien-être scolaire est faible”, précise le professeur de psychologie Grégoire Borst, directeur du laboratoire de psychologie du développement de l’éducation de l’enfant, rattaché au CNRS et à Paris Cité. "On a de plus en plus de jeunes en décrochage pour des raisons de santé mentale, ce qui est nouveau. Cela touche toutes les catégories", signale néanmoins Sandrine Puppini, cheffe de mission obligation de formation de la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco).
Parcours "ambition emploi"
Dans ce contexte, quel est le rôle des missions locales ? "Travailler davantage la prévention et continuer à chercher des solutions, répond le délégué général de l’Union nationale des missions locales, Ahmed El Khadiri". Si l’accompagnement à la parentalité ne relève pas de ces structures, celles-ci connaissent bien le public des décrocheurs et ont donc intérêt à entretenir un dialogue avec l’Éducation nationale.
Alors que la réforme du lycée professionnel se met en place en cette rentrée 2023, les missions locales sont amenées à se rapprocher de ces établissements scolaires qui sont à l’origine d’une bonne partie des décrochages. A travers le dispositif "Ambition emploi", leur rôle sera d’intervenir plus rapidement. Les académies de Nice et de Reims ont expérimenté avec les missions locales ce dispositif qui sera prêt en début d’année prochaine, précise l’UNML à Localtis. Pour ces jeunes, l’intérêt de la démarche est de conserver le cadre collectif du lycée ainsi que le statut scolaire tout en préparant son insertion dans un emploi ou une formation.
Chaque jeune diplômé ou non, sans solution à la rentrée, devra être reçu dans son établissement d’origine pour un entretien associant un conseiller de la mission locale. Doit s’engager ensuite un parcours personnalisé de quatre mois, "organisé pour tout ou partie dans un établissement scolaire ou une structure concourant à la formation et l'insertion des jeunes", comme l’explique l’arrêté du 18 juillet 2023.
Réorienter les jeunes
En dehors de cette réforme, la mission locale de Lille a déjà développé un projet similaire depuis l’an dernier afin de favoriser le retour à l’école. C’est dans les locaux de lycées professionnels que des jeunes décrocheurs ayant signé un contrat d’engagement jeune mineur sont encadrés par la mission locale, en tandem avec des enseignants. Sorties, cours de philosophie, rencontres avec des entreprises ou des centres de formation sont au programme. 40 jeunes sont concernés en cette rentrée 2023. Les premiers retours d’expérience témoignent d’une difficulté à faire revenir les jeunes dans le système scolaire. "Malgré tous nos efforts, quand on quitte le système scolaire, y retourner est particulièrement difficile pour tout un tas de raisons", souligne Martin David-Brochen, président de la Mission locale.
Permettre aux jeunes de mûrir leur projet professionnel constitue donc un enjeu clé d’autant que nombre d’entre eux n’en ont aucun à la sortie de l’école. Dans ce contexte, les missions locales disposent de bonnes cartes à jouer. "A la mission locale, on y vient quand on le souhaite et on construit le parcours sans obligation", rappelle Marilène Dheygers, directrice de la mission locale L'Aigle Mortagne. Néanmoins, le directeur général adjoint de la mission locale de Paris, Philippe Brousse, invite à ne pas "induire des formes d’orientation du choix" sans le vouloir. "Une opportunité n’est pas un choix", signale-t-il. Une orientation mûrement réfléchie par un jeune peut aussi être mise en danger par la contrainte du temps et l’exigence d’efficacité qui surplombe l’activité des missions locales.
Trou dans le raquette pour le décrochage post-bac
Le colloque a été enfin l’occasion de rappeler que 97.000 jeunes de la génération 2017, suivie par le Céreq, ont échoué dans l’enseignement supérieur. Or "les missions locales n’accueillent qu’un cinquième de ceux qui devraient être accueillis post bac", souligne Elisabeth Elkrief. Les décrochages à l’issue d’un cursus en BTS ou à l’université se soldent pourtant, assez souvent, par du chômage.
Un trou dans la raquette dont l’UNML a bien conscience et qui pourrait être amplifié par Parcoursup. "Un sujet majeur beaucoup moins identifié. On reçoit des décrocheurs du supérieur mais de manière beaucoup moins organisée", reconnaît auprès de Localtis Ahmed El Khadiri. Néanmoins, certains acteurs locaux commencent à coopérer. Des conventions entre missions locales et universités ont ainsi été conclues à Clermont-Ferrand ou à Lille dans la même logique que l’obligation de formation pour les 16-18 ans.