Contrat d'engagement "jeunes en rupture" : la difficile quête des publics
L'an dernier, le gouvernement a lancé une version plus souple du contrat d'engagement jeune destinée aux 16-25 ans "en rupture". En tandem avec les missions locales, des associations sont chargées du repérage de ces publics les plus en difficulté. Une mission qui peut, parfois, s’avérer complexe.
Reprendre contact avec les jeunes les plus éloignés des institutions est la raison qui a poussé le gouvernement à lancer l’an dernier une version assouplie du contrat d'engagement jeune (CEJ). Dans le cadre du CEJ "jeunes en rupture", les publics accompagnés ne sont pas tenus d'atteindre les quinze à vingt heures d'activités hebdomadaires en vue de leur insertion. Autre particularité du dispositif : leur repérage et accompagnement est réalisé par des porteurs de projets associatifs, fédérés avec des missions locales dans le cadre de consortiums.
Plus de 6.500 jeunes "repérés"
D’après un récent bilan dressé par le gouvernement, en août 2023, 6.561 jeunes ont été repérés et parmi eux, 1.461 ont signé un CEJ. La moitié des jeunes repérés est encore "en cours de remobilisation". Le gouvernement vise 20.000 bénéficiaires.
"Parmi ceux qui n’ont pas signé de contrat d’engagement jeune, certains ont abandonné leur parcours mais pour plus de 40% d’entre eux, ils ont été réorientés vers un autre dispositif de prise en charge ou ont trouvé une formation ou un emploi", précise le livret de bonnes pratiques du ministère du Travail, publié à l’issue d’un séminaire rassemblant les différents acteurs de ce dispositif, organisé en septembre.
Retard à l’allumage
Sur le terrain, les premiers pas des associations ne sont pas si simples. "Je pensais qu’on atteindrait plus facilement les jeunes", confie Guillaume Conraud, délégué d’Action Prévention Sport à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). L’association, qui a comme objectif de faire signer 100 CEJ "jeunes en rupture" d’ici octobre 2024, en a conclu 14 à la mi-juillet. "J’ai mis trois mois à faire signer mon premier CEJ", ajoute aussi Philippine Seropian, cheffe de service à l’association CFDJ-Espoir, qui travaille en tandem avec les missions locales de Paris, Deuil-la-Barre et la MIIJ en Seine-Saint-Denis. Elle compte aujourd’hui 19 contrats sur un objectif de 80.
Mi-juillet, le centre social Asphalte, qui intervient sur les communes de Valenton et Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), enregistrait 13 signatures. "Il faut aller chercher les jeunes dans les quartiers, les convaincre de commencer l’accompagnement, les amener à reprendre confiance en eux", souligne sa directrice, Founé Toure qui s’appuie sur ses animations "hors les murs" comme des "cafés-thés", sur le bouche-à-oreille et son réseau de contacts.
Les entrées dans le dispositif sont aussi ralenties par les exigences administratives. Pour recevoir l’allocation, il faut en effet être en situation régulière, disposer d’un compte en banque et fournir une déclaration d’impôts. Un obstacle quand les populations rencontrées sont sans-papier, sans domicile ou en rupture familiale. "Tant que certains problèmes ne sont pas réglés, la signature ne peut pas se faire", souligne Founé Toure.
Coordination avec les acteurs de terrain
La simple organisation de sessions sportives dans les quartiers n’attire pas toujours la cible attendue des 16-25 ans mais des profils plus jeunes, constate Guillaume Conraud. "Notre présence est indirecte", constate-t-il. Pour toucher les bons publics, "nous devons travailler avec les associations de prévention spécialisée, les référents de quartier", indique-t-il.
Il faut donc, parfois, trouver sa place dans des territoires où agissent déjà plusieurs acteurs. "On s’est rendu compte que les structures de protection judiciaire de la jeunesse orientaient déjà leurs jeunes vers les missions locales", rapporte Philippine Seropian, de l’association Espoir CFDJ, qui s’est positionnée sur un volet spécifique de l’appel à projets visant les jeunes sous main de justice. Parce qu’ils sont au contact de l’institution, ces profils malgré tout en difficulté échappent donc un temps au CEJ-JR qui cible officiellement "les inactifs par rapport au service public de l’emploi depuis cinq mois".
Pour amener de nouveaux profils, la cheffe de service s’est positionnée sur la communauté des gens du voyage. Elle propose aussi ce contrat à des jeunes exécutant une peine de travail d’intérêt général, déjà accueillis dans son association. "C’est intéressant car ils sont déjà repérés, et cela sécurise leur parcours”, estime-t-elle.
Des missions locales en appui
Les missions locales qui coopèrent avec les "lauréats" de l’appel à projets leur prêtent main forte. Constatant l’obstacle des difficultés administratives et afin de “lancer la machine“, la mission locale des Bords de Marne a décidé d’élargir la cible "à des jeunes suivis mais qu’on ne voit plus", précise Moncef Jendoubi, son directeur qui travaille avec APS.
"Les lauréats ne sont pas forcément formés à aller vers les jeunes qui sont en difficulté dans les quartiers", constate Smaïl Gaoua, coordinateur du dispositif à la mission intercommunale pour l’insertion des jeunes (MIIJ) qui intervient à Epinay-sur-Seine, Saint-Ouen, Villetaneuse, et à l’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Le responsable partage donc volontiers ses contacts de jeunes déjà identifiés et mobilise ses propres réseaux de proximité, afin d’accélérer la montée en charge du dispositif.