Fiscalité - Les maires font bloc autour de l'impôt économique local
A la tribune, les présidents ou représentants de neuf associations de maires et présidents d'intercommunalités, réunis à l'initiative de l'Association des maires de grandes villes (AMGVF) : Association des maires de France (AMF), villes moyennes (FMVM), petites villes (APVF), maires ruraux, maires d'Ile-de-France (Amif), Ville & Banlieue, Assemblée des communautés de France (ADCF), communautés urbaines (Acuf). L'unanimité qui avait pris forme dès le lendemain de l'annonce par Nicolas Sarkozy, le 5 février, de la suppression de la taxe professionnelle dès 2010 ne s'est donc pas démentie. Car tel était bien le sujet, mardi 24 février à Paris, de cette prise de parole commune à l'attention de la presse : la taxe professionnelle. Avec pour message principal : non à une suppression pure et simple sans ressource pérenne de remplacement, oui à une réforme "garantissant le lien entre les entreprises et les territoires".
Tous les élus présents ont insisté sur l'absolue nécessité de maintenir ce "lien" fiscal. Parce qu'une entreprise, "c'est porteur de nuisances" (Jacques Pélissard, AMF), sans ce lien, les collectivités et, surtout, leurs administrés ne seraient sans doute guère nombreux à vouloir accueillir ou conserver sur leur territoire "l'industrie lourde, telle que la chimie" (Gérard Collomb, Acuf). L'impôt local sur les entreprises est bien "le retour logique des services rendus par la collectivité, une façon d'organiser l'attractivité et la compétition entre les territoires" (Bruno Bourg-Broc, FMVM). "L'impôt économique doit être territorialisé. Dans certaines communes membres d'EPCI à taxe professionnelle unique, on assiste déjà à des stratégies d'évitement. Alors imaginez la même chose à l'échelle nationale pour une usine classée Seveso..." (Jean-Pierre Balligand, APVF).
Ne pas "déplacer le problème"
Autres grands impératifs mis en avant par les associations d'élus pour définir un impôt de substitution à la TP, tels que les a résumés Jacques Pélissard : "maintenir une dose d'autonomie fiscale dans la fixation du taux, offrir un montant comparable, engager une réforme de fond en veillant à ce qu'elle aille de pair avec la réforme des niveaux territoriaux". Et "préserver l'équilibre entre impôts ménages et activité économique", comme l'a entre autres relevé Charles-Eric Lemaignen pour l'ADCF, Jean-Pierre Balligand rappelant lui aussi qu'il faut "garder la proportion actuelle entre 55% des impôts locaux payés par les ménages et 45% par les entreprises" et que le futur impôt devra être "dynamique", contrairement à "la situation de rente à laquelle aboutit un système de dotations".
Clairement, la taxe carbone évoquée par le chef de l'Etat ne répond pas à ces critères. Son montant est insuffisant, elle est par définition non-pérenne (sa finalité même est de disparaître un jour...) et elle pèserait considérablement sur les ménages, tel que l'a d'emblée rappelé Michel Destot. De plus, "on déplacerait le problème, en pénalisant les industries lourdes, celles-là même que la France a déjà du mal à conserver", a ajouté Gérard Collomb. Autre "fausse bonne piste", selon Charles-Eric Lemaignen : l'idée qu'un impôt foncier bâti pourrait à lui seul remplacer la TP. Car "cela impliquerait des taux insupportables". L'impôt foncier devrait donc forcément, estime-t-il, être complété par "un impôt économique nouveau" à construire sur la base des préconisations du rapport Fouquet - autrement dit un impôt dont l'assiette s'appuierait en grande partie sur la valeur ajoutée. En sachant toutefois que "56% de la taxe professionnelle payée aujourd'hui est déjà assises sur la valeur ajoutée".
La première condition d'une réforme serait donc finalement, au-delà de l'attente de "dialogue et concertation" (les maires sont apparemment encore "sous le choc" d'avoir pris connaissance du projet présidentiel au détour d'une interview télévisée...), de "mener des études sérieuses" pour analyser qui seront "les gagnants et les perdants", comme le souligne Gérard Collomb.
Un "cadeau empoisonné" pour les entreprises
Car des perdants, il y en aura forcément. Soit les ménages... soit une partie des entreprises, si l'on reste bien sur la proportion actuelle des 45% de fiscalité économique. "Il n'est pas sûr que les entreprises aient bien réalisé ce qu'un changement de fiscalité pourrait impliquer pour elles", ajoute le maire de Lyon. Et des perdants, il y en aura forcément aussi du côté des collectivités locales, en fonction de la typologie des entreprises présentes sur leur territoire. Jean-Pierre Balligand l'a évoqué pour les petites villes, tandis que Dominique Bailly, représentant l'Amif, faisait état du cas de sa propre commune, Vaujours (Seine-Saint-Denis), dont l'avenir fiscal est presque entièrement suspendu à celui de son usine Placoplâtre.
Cette diversité de situations est d'ailleurs naturellement source de certaines nuances dans le chorus des élus locaux. Ainsi, pour Claude Dilain, président de Ville et Banlieue, il est naturellement plus difficile de parler d'attractivité économique : "La TP actuelle est l'un des facteurs des inégalités entre territoires où s'implantent les entreprises et territoires périphériques où les populations vont habiter. Nous sommes donc clairement pour une réforme." Quant à Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux, il sera le seul à placer au tout premier plan de ses attentes le nécessaire renforcement de la péréquation.
Nuance, encore, entre Jacques Pélissard assurant que "la TP dans sa formule actuelle est condamnée" et Jean-Claude Boulard de l'AMGVF déclarant que "la TP n'est pas morte". Le maire du Mans s'en est expliqué. D'une part, l'annonce de Nicolas Sarkozy ne porte en réalité que sur "un bout" de la TP. D'autre part, les élus peuvent parfaitement se battre pour "défendre l'assiette de la TP sur les activités non-délocalisables, telles que le BTP ou la grande distribution". Quant aux autres secteurs... Jean-Claude Boulard n'est pas persuadé que la TP soit une réelle cause de délocalisations, relevant par exemple que sur une voiture coûtant 14.000 euros, la TP ne représente que 250 euros. Selon lui donc, la TP serait finalement "un impôt intelligent" et sa suppression "un cadeau empoisonné".
Malgré tout, les associations d'élus ont suffisamment de points d'accord pour avoir adressé un courrier commun au Premier ministre, demandant à la rencontrer "le plus vite possible" et à engager le "dialogue" - y compris, indique Michel Destot, en vue de "déboucher sur un texte législatif".
Claire Mallet