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Fiscalité - Suppression de la TP en 2010 : les élus sur le qui-vive

La confirmation par le chef de l'Etat de sa décision de supprimer la taxe professionnelle dès 2010 suscite maintes réactions de la part de collectivités évidemment inquiètes faute de précisions quant aux ressources qui viendront remplacer cet impôt économique.

"Je vous l'annonce : on supprimera la taxe professionnelle en 2010 parce que je veux que l'on garde des usines en France", a déclaré le chef de l'Etat jeudi 5 février lors de son intervention radio-télévisée, précisant que la mesure serait générale. "On ne peut pas dire : on va supprimer pour l'industrie automobile mais pas pour l'industrie sidérurgique ou pas pour l'industrie textile", a expliqué le président, qui chiffre le coût de cette suppression à "huit milliards" d'euros. "Je vais engager un ensemble de discussions avec des associations d'élus locaux. Il y a des possibilités autour de la taxe carbone notamment. Nous verrons", a-t-il déclaré, interrogé sur les compensations possibles pour les collectivités. Et Nicolas Sarkozy de poursuivre : "On ne peut plus avoir tout notre système de fiscalisation basé sur la production si on veut garder des emplois en France. Je ne peux pas dire aux actionnaires pour le coup : ne délocalisez plus, relocalisez, et en même temps leur laisser des charges et des contraintes qui font qu'ils ne s'en sortiront plus."
La perspective d'une suppression de la taxe professionnelle n'est pas vraiment nouvelle. Elle a été évoquée à maintes reprises depuis le début du mandat présidentiel. En juin 2007 déjà, au Salon du Bourget, le chef de l'Etat lance l'idée, en expliquant qu'il faut "encourager le travail, la production et l'investissement". C'est le coup d'envoi de déclarations ministérielles régulières, parfois ensuite contredites. Il est notamment dit qu'une réforme serait présentée en Conseil des ministres avant la fin 2008. En septembre, lors de son discours de Toulon, Nicolas Sarkozy parle bien, au moment où la crise financière commence à gronder, d'une "disparition à terme de la taxe professionnelle" et de sa substitution par une nouvelle ressource qui ait "moins d'effets nocifs sur l'économie". Cependant le calendrier reste encore flou. Un mois plus tard, à Annecy, il annonce l'exonération immédiate et totale des nouveaux investissements des entreprises jusqu'au 31 décembre 2009 (une mesure qui sera inscrite dans la loi de finances rectificative pour 2008). Tout en précisant que cette mesure provisoire n'est bien qu'une étape : "Au 1er janvier 2010, j'aurai eu le rapport du groupe Balladur, on en aura discuté avec les parlementaires. Il sera temps de trancher définitivement la question du nombre d'échelons territoriaux et de la pérennité ou pas de la taxe professionnelle." Il ajoute, aussi : "Nous prendrons le temps qu'il faut pour préparer cette réforme et faire en sorte que les collectivités locales y trouvent leur compte."

 

Comment investir sans connaître ses recettes ?

Certes, aujourd'hui, des "discussions" avec les élus locaux sont bien toujours évoquées. Mais avec un résultat décidé d'avance... et avant même, finalement, que le comité Balladur pour la réforme des collectivités n'ait remis ses conclusions, attendues pour fin février ou début mars. Alors même, aussi, que les collectivités locales sont invitées à contribuer activement à la relance de l'investissement public. Ce dont s'étonne par exemple Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées, qui voit dans l'annonce de jeudi un "risque très sérieux de compromettre un certain nombre d'investissements dès 2009, à un moment où l'économie française a besoin d'être relancée" : "Comment les collectivités pourront-elles décider de lancer un certain nombre de projets si elles ignorent ce que seront leurs recettes dès l'année prochaine ? Si ces recettes compenseront le manque à gagner de la TP ? Et surtout si elles seront évolutives ? Bien des élus vont y réfléchir à deux fois avant de s'engager sur des opérations pour lesquelles ils devront emprunter." Michel Destot, le président de l'Association des maires de grandes villes, ne dire guère autre chose lorsqu'il explique que "pour assumer pleinement [leur] responsabilité [de premier investisseur public] et les engagements financiers de long terme correspondants, les collectivités ont besoin de garanties et de visibilité quant à la pérennité de leurs ressources, deux conditions qui viennent d'être rompues".
Dès vendredi matin, toutes les associations d'élus locaux ont souhaité réagir aux propos de Nicolas Sarkozy. Avec, peu ou prou, les mêmes arguments de fond, au-delà du regret d'une annonce "unilatérale" non concertée en amont. Dont la nécessité de "maintenir un lien fiscal étroit entre entreprises et collectivités" : "L'impôt économique local doit constituer le juste retour des efforts qu'elles accomplissent pour accueillir des entreprises et leur offrir des services", relève par exemple l'Assemblée des communautés de France, sachant que 94% des recettes fiscales directes des communautés proviennent aujourd'hui de la TP. Il est également indispensable "que les ressources fiscales des collectivités ne reposent pas uniquement sur les ménages", ajoute l'Association des régions de France. "Il s'agit d'un mauvais coup fait aux régions, à leur capacité d'investir, d'innover, qui augure bien mal des résultats de la réflexion sur la réforme des collectivités territoriales", poursuit l'association présidée par Alain Rousset.

 

Bataille de chiffres

Fait suffisamment rare pour être relevé, les grandes associations d'élus (AMF, ADF, ARF, AMGVF, FMVM, APVF, ADCF, Acuf) ont même fait cause commune en publiant vendredi après-midi un communiqué prenant visiblement acte de la suppression de la TP mais posant leurs exigences quant à la "ressource de substitution" devant être mise en place. Cette ressource, rappellent-elles, devra respecter trois grands principes : autonomie fiscale, maintien du lien fiscal entre entreprises et territoires, cohérence d'ensemble des réformes territoriale et fiscale. Elles demandent que le gouvernement "ouvre immédiatement des négociations sur la base des propositions qu'elles ont élaborées conjointement depuis 2006, en faveur d'une réforme d'ensemble de la fiscalité locale, permettant aux collectivités territoriales de moins dépendre de l'Etat et de disposer de véritables marges de manoeuvre pour exercer leurs responsabilités".
Selon les associations, la TP représente, y compris les dégrèvements, 29 milliards d'euros. "Le montant de la taxe professionnelle perçue par l'ensemble des collectivités locales s'élève à près de 28 milliards, dont environ 10 milliards sont d'ores et déjà payés par l'Etat au titre des dégrèvements. En cas de suppression, il resterait 18 milliards d'euros à trouver, et non 8 milliards", détaille Philippe Laurent, maire de Sceaux et président de la commission des finances de l'Association des maires de France. Il estime que dégager "près de 20 milliards d'euros ne peut pas être le fait d'un impôt indirect comme une taxe carbone, évoquée par le chef de l'Etat", souhaitant pour sa part que "les grands impôts d'Etat - impôt sur le revenu, TVA, CSG... - soient désormais partagés entre l'Etat et les collectivités territoriales".
A Bercy, on refait les calculs et reste ferme sur le chiffre des 8 milliards. L'entourage de Christine Lagarde précisait vendredi que seule la part des équipements et des biens matériels sera supprimée, et non la partie foncière. Le total des ressources de la taxe professionnelle équivaut à 30 milliards d'euros, mais une partie (7 milliards) est financée par des "cotisations minimales à laquelle on ne touchera pas", a-t-il été indiqué à l'AFP. Sur la partie qui doit être supprimée (23 milliards), 22 milliards d'euros de recettes sont engrangées par les collectivités locales et 1 milliard par les organismes consulaires. "L'Etat prend déjà à sa charge 12 milliards d'euros au titre de dégrèvements", resterait donc 11 milliards d'euros. L'Etat attendant de la réforme une hausse "mécanique" de 3 milliards d'euros de l'impôt sur les sociétés (IS), "ce sont donc bien 8 milliards d'euros que l'Etat devra trouver pour compenser la suppression de la taxe professionnelle", souligne-t-on à Bercy.
Pourtant, selon président de la commission des finances du Sénat, Jean Arthuis, dire que la hausse de l'IS peut compenser en partie la suppression de la TP est un "faux argument" : "La logique de la démarche est d'éviter les délocalisations, donc de faire en sorte que les entreprises baissent leurs prix. Or si les prix baissent, les bénéfices donc l'IS ne progresseront pas", explique-t-il. Batailles de chiffres et débats d'experts ne font que commencer.

 

Une arme anti-délocalisation ?

Un autre débat est lui aussi évidemment relancé : celui sur l'attractivité de la France, à l'heure ou les plans sociaux se multiplient. Tout le monde ou presque convient que la TP est porteuse de certaines incohérences, grevant le prix de revient des biens et services produits en France par rapport aux biens et services importés. Mais on sait aussi que le choix des entreprises n'est pas dicté par la seule comparaison des niveaux d'imposition. La réindustrialisation du Creusot, par exemple, a été rendue possible par un volontarisme politique et par la présence d'un savoir-faire local hérité de l'ère Schneider. Lorsque l'on interroge les entreprises, celles-ci mettent en avant le "suivi de la demande", c'est-à-dire le besoin de se rapprocher du marché, la disponibilité des matières premières et l'environnement de l'entreprise : fiscalité, charges, savoir-faire, tissu économique, mais aussi infrastructures, services publics locaux... financés avec les impôts locaux. Selon l'Agence française pour les investissements internationaux (Afii), "les entreprises ne viennent pas seulement pour goûter au bonheur du 'French way of life', mais également parce que la France, terre d'innovation et de créativité, bénéficie d'atouts humains, géographiques et sectoriels de premier plan". C'est donc bien un ensemble de facteurs qui sont pris en compte. Loin des idées reçues, la France est d'ailleurs plutôt bien lotie : elle serait aujourd'hui la troisième destination mondiale pour les investissements directs étrangers, avec 22.000 filiales étrangères employant 2,8 millions de salariés. Parmi les derniers exemples en date : Microsoft qui va implanter un centre de recherche à Issy-les-Moulineaux ou Ikéa qui a choisi Fos-sur-Mer pour installer sa nouvelle plateforme logistique pour le sud de l'Europe. Et puis il y a aussi ces entreprises qui ont eu le mal du pays à l'instar du spécialiste des arts de la table Geneviève Lethu qui a récemment décidé de relocaliser une partie de sa production dans l'Hexagone.

 

Claire Mallet, avec T. Beurey et M. Tendil