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Conférence environnementale - Les grands chantiers de la "transition écologique"

Intervenant en clôture de la Conférence environnementale le 15 septembre, Jean-Marc Ayrault a annoncé la publication prochaine d'une "feuille de route pour la transition écologique". En complément des annonces faites par François Hollande la veille, le Premier ministre a dévoilé d'autres mesures en matière d'énergie, de biodiversité, de prévention des risques sanitaires environnementaux, de fiscalité écologique et de gouvernance.

"La crise profonde que nous traversons n'est pas seulement une crise financière et économique, c'est aussi une crise environnementale : les ressources naturelles s'épuisent, la biodiversité recule, la qualité de l'eau et de l'air se dégrade (…)", a insisté Jean-Marc Ayrault le 15 septembre, en prononçant le discours de clôture de la Conférence environnementale. Pour lui, "l'écologie n'est pas un frein ou une contrainte" mais "un puissant levier de croissance, de compétitivité de nos entreprises et d'amélioration de notre bien-être collectif". Le Premier ministre intervenait à l'issue des tables rondes auxquelles ont participé 14 ministres et 300 élus ainsi que de nombreux représentants d'ONG, des syndicats et du patronat. Après avoir salué les travaux "denses et riches" de ces deux jours de conférence, Jean-Marc Ayrault a rappelé l'ambition qui en découle : "Nous nous engageons à dessiner ensemble le chemin de la transition écologique, sans tabou, sans nier les contradictions de la société et les difficultés à surmonter (…)." "Nous voulons ancrer la question écologique dans la durée", a insisté le chef du gouvernement, soulignant que la Conférence environnementale se réunira à nouveau "chaque année". "Le gouvernement rendra compte devant vous des progrès accomplis", a-t-il assuré.

Une "société de la sobriété"

"Une feuille de route pour la transition écologique, fruit de vos travaux, sera publiée la semaine prochaine", a annoncé Jean-Marc Ayrault. Il a ajouté qu'il réunira un séminaire gouvernemental et adressera ensuite à chaque ministre des "lettres de cadrage développement durable". "Chaque politique publique doit en effet prendre en compte l'exigence environnementale", a-t-il martelé.
"Notre premier grand chantier (…), c'est la transition énergétique qui repose sur un modèle de développement sobre et efficace", a soutenu le Premier ministre. Evoquant la fin du "tout nucléaire pour la production d'électricité" et du "tout pétrole pour les transports", il a prôné un modèle de "société de la sobriété". Et d'annoncer, à l'approche du débat sur l'énergie prévu cet automne, son soutien à la proposition de loi de François Brottes sur la tarification progressive de l'électricité et du gaz. "Je fixe aujourd'hui un nouvel objectif à nos chercheurs et à nos industriels : dans dix ans, nous devrons disposer de véhicules consommant 2 litres d'essence pour 100 km. Soit un niveau près de quatre fois plus faible que la consommation du parc automobile actuel", a déclaré Jean-Marc Ayrault. Le levier fiscal sera aussi utilisé. Dans le prochain projet de budget pour 2013, le gouvernement proposera de rehausser la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) portant sur les polluants atmosphériques. Jean-Marc Ayrault a aussi réaffirmé la position de François Hollande sur les gaz de schiste – "Il n'y aura aucun permis d'accordé" - et confirmé que la centrale de Fessenheim fermera fin 2016. "Une personnalité chargée d'engager la concertation sur la reconversion du site" sera nommée "dans les semaines qui viennent".
On reproche souvent aux dispositifs d'aide à la rénovation thermique d'être trop dispersés. Un message que semble avoir entendu le Premier ministre, qui propose la création d'"un guichet unique de la rénovation, chargé de conseiller les ménages qui sont intéressés par cette perspective" (voir notre article ci-contre). Le financement des projets s'appuiera sur le tiers financement (prise en charge par un investisseur d'une partie ou de la totalité des travaux en contrepartie de quoi il se rémunère sur les futures économies d'énergie). Le produit des enchères carbones ou celui des certificats d'économies d'énergie devrait alimenter ce mécanisme.
Pour renforcer la filière des énergies renouvelables, le Premier ministre a relevé la nécessité d'un "cadre réglementaire stable". Côté photovoltaïque, un appel d'offres sera passé d'ici à la fin de l'année pour "favoriser de grandes installations visant à promouvoir des technologies innovantes ainsi que le développement local". Les fermes au sol ne sont pas la priorité : "Il faudra privilégier les grands espaces de toits pour éviter la consommation d'espaces agricoles." Quant aux réseaux de chaleur, à la biomasse et la géothermie, ils "seront soutenus en prenant appui sur les initiatives locales déjà existantes ou en développement".
Côté éolien, il a annoncé son soutien à la filière, la création d'un tarif d'achat adapté à la configuration des réseaux électriques d'outre-mer et une simplification des procédures de planification, dont les élus et professionnels dénoncent régulièrement la lourdeur. Elle passera par une suppression de l'obligation d'appartenir à une zone de développement de l'éolien (ZDE) pour bénéficier du tarif d'achat. "Ce qui va redonner de l'oxygène à l'éolien français", a applaudi le réseau de professionnels France Energie Eolienne, qui regrette cependant qu'aucune annonce n'ait été faite sur la publication d'un nouvel arrêté tarifaire. Enfin, deux nouveaux appels d'offres seront lancés pour des parcs éoliens en pleine mer au large du Tréport (Seine-Maritime, 1.000 MW) et de Noirmoutier (Vendée, 2.500 MW). "C'est un investissement très important mais aussi un atout pour le développement d'une filière industrielle française", a déclaré Jean-Marc Ayrault.

Une loi-cadre biodiversité en 2013

Autre grand chantier mis en avant par le Premier ministre : la biodiversité. "La France occupe le cinquième rang mondial pour le nombre d'espèces menacées", a-t-il rappelé. "Pour faire face aux menaces, nous ne partons pas de rien. La stratégie nationale pour la biodiversité est reconnue par tous les acteurs comme un élément fondamental. Elle sera déclinée dans tous les ministères", a-t-il indiqué. L'Agence nationale pour la biodiversité, dont François Hollande a annoncé la création dans son discours du 14 septembre, verra le jour en 2013. "Les ministres Delphine Batho et Stéphane Le Foll mèneront les travaux nécessaires pour fixer son périmètre et ses moyens", a précisé Jean-Marc Ayrault. "La loi-cadre biodiversité qui sera également présentée en 2013 reprendra toutes ses décisions et ses orientations ainsi que celles qui naîtront du débat que vous allez poursuivre. Ce texte comportera un volet sur le paysage", a-t-il poursuivi. De plus, "le Conseil national de la mer et du littoral, dont la création avait été annoncée mais qui n'avait jamais été réuni, sera installé enfin dans les prochaines semaines". Autre annonce : celle de la création du parc marin de Picardie Côte d'Opale. "Je demande également que la procédure de classement en parc naturel du Marais poitevin soit poursuivie", a encore avancé le Premier ministre. "Pour répondre aux enjeux de continuité écologique, de la consommation de l'espace et de l'étalement urbain", il a par ailleurs assuré que les textes relatifs aux trames vertes et bleues seront publiés "début 2013". "Le gouvernement souhaite mettre un frein au niveau national à l'artificialisation nette des espaces agricoles et naturels." Pour cela, "un calendrier précis sera fixé" dans le cadre de la loi sur le logement, l'urbanisme et la ville préparée par Cécile Duflot. Sur le volet agricole, "le gouvernement entend maintenir le moratoire sur la mise en culture de semences OGM autorisées au niveau communautaire", a assuré le Premier ministre. Il a en outre annoncé "un nouveau plan en faveur du développement de l'agriculture biologique" et "l'interdiction de l'épandage aérien de produits phytosanitaires, sauf en l'absence de solutions alternatives". "L'effort de réduction de l'utilisation de ces produits sera poursuivi", a-t-il ajouté. Par ailleurs, "le gouvernement a décidé de demander à nos partenaires européens et au niveau international une pause dans le développement des biocarburants de première génération", a poursuivi Jean-Marc Ayrault. "Au plan national, nous avons décidé de plafonner le taux d'incorporation à 7% et d'atteindre les objectifs communautaires avec des biocarburants de seconde génération. Les agréments seront renouvelés jusqu'au 31 décembre 2015 et le soutien public sera mis en extinction à cette date."
Côté prévention des risques sanitaires et environnementaux, "trois priorités sont d'ores et déjà identifiées", a souligné Jean-Marc Ayrault. "La première est de soutenir l'effort de recherche (…), condition indispensable pour traiter avec efficacité et discernement les effets sur la santé des différentes pollutions". "L'indépendance des experts sera plus sûrement garantie et certaines définitions seront approfondies comme celle des perturbateurs endocriniens par exemple", a-t-il assuré. Deuxième priorité : "protéger les publics les plus sensibles à ces risques sanitaires". Jean-Marc Ayrault a affirmé que "le gouvernement soutient la proposition de loi de Gérard Bapt pour l'interdiction du bisphénol A". Ce texte du député PS de Haute-Garonne visant à prohiber cette substance dans les emballages alimentaires a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en octobre 2011 mais n'a pas pu être examiné par le Sénat avant les élections législatives de 2012. "La troisième priorité est de diminuer les inégalités environnementales", a poursuivi Jean-Marc Ayrault. "Le plan national Santé-Environnement actuellement en vigueur arrive à échéance fin 2013. Il fera l'objet d'une évaluation dont nous tiendrons compte pour construire un nouveau plan". Par ailleurs, "nous renforcerons le volet environnemental du plan Cancer", a-t-il affirmé.

Des démonstrateurs du développement durable

En matière de gouvernance environnementale, le Conseil national du développement durable et du Grenelle de l'environnement va se transformer en Conseil de la transition écologique. "Ce n'est pas qu'une formule car il se verra confier des missions pérennes et étendues, pas seulement pour le suivi des politiques mises en œuvre mais aussi l'élaboration de l'agenda des conférences environnementales, il intégrera une dimension européenne et internationale", a annoncé le Premier ministre. "Renforcé dans ses missions, mieux articulé avec le Cese ou encore la Conférence nationale de l'industrie, ce nouveau Conseil de la transition écologique s'ouvrira à la représentation nationale – en accueillant un nouveau collège de parlementaires – et se déclinera dans les territoires, sous l'égide des collectivités territoriales", a-t-il précisé. Selon lui, au-delà des questions institutionnelles, "deux exigences s'imposent pour les années à venir : la participation effective des citoyens aux décisions publiques et la simplification de notre droit de l'environnement. Ce droit fixe un niveau d'exigence élevé mais il est complexe car il résulte d'empilements successifs. Nous devons le simplifier sans l'appauvrir ni le dénaturer. C'est ainsi qu'il gagnera en lisibilité et garantira davantage de sécurité juridique". "A l'exemple de la Suède dont les réussites sont analysées et commentées dans toute l'Europe, la France doit disposer de démonstrateurs de développement durable, a estimé le Premier ministre. Ces démonstrateurs sont des écoquartiers, voire des écovillages ou des écovilles qui atteignent une taille critique suffisante et qui permettent de valoriser un savoir-faire et des technologies innovantes en matière de développement durable. L'objectif est d'y traiter toutes les problématiques énergétiques pour parvenir à une consommation zéro." Enfin, à l'attention des associations oeuvrant pour la protection de l'environnement, Jean-Marc Ayrault a annoncé que "le ministère de l'Ecologie augmentera ses subventions de 10% à l'ensemble du monde associatif dès l'année prochaine". Il les a aussi appelées "à prendre toute leur part de responsabilité dans la mise en oeuvre des emplois d'avenir".

Anne Lenormand avec Morgan Boëdec / Victoires Editions

Réactions mitigées des ONG

Les ONG ayant participé à la Conférence environnementale en ont tiré des conclusions mitigées, même si toutes ont salué le cap fixé par le chef de l'Etat vers une société plus écologique. "Nous sommes partagés : il y a beaucoup de bonnes choses du côté social et en faveur des énergies renouvelables, mais au-delà nous ne sommes pas convaincus par la transition écologique dont le Premier ministre et François Hollande parlent", a déclaré Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. "Pour nous, on parlera de transition lorsqu'on sortira du nucléaire, lorsqu'une transition comparable à celle amorcée chez nos voisins sera lancée", a poursuivi le responsable de Greenpeace, en allusion à l'abandon du nucléaire par les Suisses et les Allemands. "On n'a toujours pas compris l'urgence à agir et l'état de dégradation de la planète", a-t-il ajouté. "Il y a une sorte d'euphorie" après ces deux jours de conférence "mais il va falloir redescendre sur terre", a-t-il estimé.
Bruno Genty, président de la fédération France Nature Environnement (FNE), a jugé "la coupe à moitié pleine". "Un cap a été tracé par le chef de l'Etat, mais on attendait plus sur les moyens de la part du Premier ministre", a-t-il souligné. "On a des soucis sur les moyens pour atteindre les objectifs de la transition écologique", a-t-il ajouté. Il a toutefois estimé que "la volonté d'inscrire le dialogue environnemental dans le long terme est très intéressante, notamment avec une participation des citoyens".
Serge Orru, directeur général de WWF, s'est montré plus optimiste, qualifiant de "très important" le fait que le Premier ministre ait "engagé son gouvernement" dans la réalisation des objectifs définis par François Hollande, qui "a fixé un cap". Selon lui, "le débat sur la transition énergétique sera un grand débat et l'année prochaine il y aura des comptes à rendre" lors de la prochaine Conférence environnementale, appelée à être un exercice annuel. Serge Orru a toutefois mis un bémol au sujet des questions de santé liées à l'environnement, qui ont fait l'objet d'une table ronde lors de la conférence mais qui n'ont pas donné lieu à des annonces. "Sur la santé, cela montre qu'on a encore un énorme travail, qu'il y a encore des dénégations, du négationnisme sur le sujet, c'est décevant", a-t-il déclaré. "Il faut faire bouger les choses et nous allons nous y employer", a-t-il ajouté.
Le Rassemblement pour la planète, un réseau d'une cinquantaine d'ONG, a estimé qu'il y avait "des avancées" mais "une vraie régression sur santé et environnement", le principe d'une loi sur les perturbateurs endocriniens ayant été "ignoré". Il relève aussi "des incertitudes sur les questions agricoles" : "aucun objectif chiffré n'a été annoncé" sur l'agriculture biologique et l'objectif d'une réduction de 50% de l'usage des pesticides "n'est pas repris". AFP