Innovation - Les entrepreneurs sociaux veulent un "Etat pépinière"
"Passer d'un Etat-providence à un Etat pépinière." Ces mots d'André Dupon, président du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), résument bien l'état d'esprit de la rencontre "Territoires : nous sommes innovations" qui s'est tenue le 17 février à Paris. Organisée par les UP Conférences (Groupe SOS) et le Mouves, cette conférence inaugurait un cycle d'événements organisés dans différentes villes de France sur le thème de l'"innovation publique territoriale".
Derrière l'invitation à l'échange et au débat, les entrepreneurs sociaux et autres acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) présents ont manifesté leur souhait de voir davantage l'Etat et les collectivités locales se mettre au diapason de l'innovation. "L'innovation publique territoriale est attendue", a témoigné André Dupon, également président de la Sauvegarde du Nord et du Groupe Vitamine T, notamment parce que "les contraintes budgétaires sont terrifiantes". Pour le chef d'entreprise sociale, cela impose aux pouvoirs publics de "faire du sur-mesure".
Présente à cette rencontre, Marylise Lebranchu a affiché sa volonté d'avancer dans ce sens : "Il faut une action publique innovante, dynamique, il faut des fonctionnaires qui y croient." La ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique a récemment confié à Akim Oural, maire-adjoint de Lille, le soin de préparer un rapport sur le sujet. Un rapport qui devra être "médiatiquement lisible, politiquement acceptable et socialement juste". Et, si possible, "résoudre le problème des 3,7 milliards" de baisse des dotations aux collectivités locales, a ajouté la ministre avec un sourire.
"Relancer l'industrie de la chaussure en mettant tout le monde autour de la table"
En attendant, les orateurs de cette matinée étaient représentatifs d'une certaine diversité d'initiatives à vocation utile et mobilisant aussi bien des acteurs de l'ESS que des pouvoirs publics, des entreprises et des citoyens. A l'instar du Labo régional des partenariats en Alsace, animé par l'association Alsace Active, qui tend à créer des opportunités de collaboration entre chefs d'entreprise et dirigeants d'association.
La coopération entre acteurs publics, associatifs et privés peut en effet être payante. C'est ce qu'a voulu démontrer Sophie Keller, économiste co-auteur de "L'économie qu'on aime", en racontant l'histoire du groupe Archer à Romans-sur-Isère. Dans cette région sinistrée, un créateur d'entreprise a réussi, "en mettant tout le monde autour de la table", à "relancer l'industrie de la chaussure à Romans" – avec une gamme de chaussures de qualité, dont la fabrication mobilise "un éventail de styliste, modéliste et techniciens, tous anciens salariés des grandes marques romanaises" (selon le site du groupe Archer). Au total, et avec le développement de services divers, 1.200 emplois ont pu être recréés. "Partant du constat que c'est en coopérant et en mutualisant des compétences éparses que l'on peut relancer des activités sur des territoires sinistrés", Christophe Chevalier, fondateur du groupe Archer, "promeut les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE)", peut-on lire sur une fiche de présentation réalisée par le Mouves.
"Lever les blocages culturels" et "mettre de l'argent en ingénierie"
Alors, pour favoriser de telles réussites, que peuvent faire les pouvoirs publics locaux ? Othmane Khaoua, conseiller municipal délégué à l'ESS à Sceaux, propose de "créer, au sein des collectivités locales, un métier de manager de l'innovation", un professionnel capable de "faire émerger les besoins et de les présenter" aux entrepreneurs sociaux ou autres porteurs de solutions.
L'enjeu semble en effet bien celui-là : comment faire converger de façon harmonieuse et efficace les politiques publiques et les différentes initiatives - portées par toute une panoplie d'acteurs - qui sont menées en faveur de l'intérêt général ? Pour Hugues Sibille, il y a notamment une articulation à trouver entre "innovation sociale, innovation publique territoriale et innovation financière", qui appartiennent à "des univers souvent séparés". Le président de l'Avise (Agence de valorisation des initiatives socio-économiques) appelle donc à "lever les blocages culturels" et à "mettre de l'argent en ingénierie".
Pour "innover avec les territoires", d'abord "se mettre à leur portée"
En Meurthe-et-Moselle, ingénierie publique d'innovation rime avec action de proximité. "Si on veut innover avec les territoires, il faut se mettre à leur portée", estime Vincent Malnoury, directeur général adjoint du conseil général de Meurthe-et-Moselle chargé du développement et de l'éducation. Innover, c'est d'abord se mettre en position d'écouter – les personnes en difficulté, les acteurs de territoire. "Il faut qu'on arrête de plaquer des dispositifs car on oublie que les citoyens ont des ressources", poursuit Vincent Malnoury. Ainsi l'une des premières demandes des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), interrogés dans le cadre d'un conseil consultatif, a été de pouvoir bénéficier d'un appui leur permettant de s'engager dans des associations. "On est donc en train d'inventer un service civique adapté aux bénéficiaires du RSA", précise le directeur.
Pour "se mettre à la portée" des citoyens, des associations, des entreprises, le conseil général a mis en place différents lieux et instances d'échange, au niveau des territoires ou du département. Il a surtout cherché à structurer l'action publique – la sienne et celle de ses partenaires – en faveur du développement local, en fournissant un appui à la l'intercommunalité de projet et en territorialisant ses propres services. "Il faut que les collectivités locales fassent l'effort de se mettre au territoire pertinent pour les citoyens", conclut Vincent Malnoury.
Sur la capacité d'innovation des collectivités, Armel Le Coz, co-fondateur de Démocratie Ouverte, est confiant. Après avoir sillonné la France, entre octobre 2013 et mars 2014, pour aller rencontrer des candidats aux élections municipales, il assure que notre pays constitue "un véritable laboratoire d'innovation démocratique".
Caroline Megglé
L'Institut pour la ville durable devra "faire du réseau et accélérer ce qui se passe sur les territoires"
"Si on veut que le développement durable soit vraiment concret, c'est à l'échelle de la ville." "On doit donc avoir les collectivités locales au cœur de l'Institut pour la ville durable", pour Franck Faucheux, représentant le ministère du Développement durable au sein de la mission de préfiguration de l'Institut pour la ville durable (IVD).
Pendant les trois premiers mois de travaux de cette mission, "on a décliné ce qu'on avait dans les traités, dans nos lois" pour aboutir à "20 questions pour lesquelles on ne présuppose pas de réponses", a précisé Franck Faucheux. Le futur IVD doit avoir pour rôle de "repérer les bonnes pratiques, les diffuser, animer un club" - un club qui intégrerait quelque 700 collectivités locales, les directions des ministères, les agences d'urbanisme, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), etc. Avec aussi un autre objectif, celui d'"accélérer les processus d'autorisation". "Pour faire du réseau et accélérer ce qui se passe sur les territoires", cet "espace interministériel" permettant d'avoir "un seul interlocuteur" devra être porté par une structure "public-privé-populations" de petite taille, a poursuivi Franck Faucheux.
Ce portrait dressé à grands traits n'aura pas, semble-t-il, convaincu Marylise Lebranchu, qui attend de voir "quelle forme" prendra "cette agence". "L'idée, ce n'est pas de créer une machine, a réagi la ministre de la Décentralisation. Ce que vous décrivez, on a déjà fait."
C. Megglé