Economie sociale et solidaire - ESS : le local fait mieux que le national ?
"Le changement d'échelle (de l'économie sociale et solidaire) n'est pas encore fait mais on progresse." C'est le message qu'a porté Hugues Sibille, président de l'Avise, le portail du développement de l'ESS, à l'occasion d'une conférence sur les entrepreneurs sociaux organisée le 5 février 2015 dans le cadre du Salon des entrepreneurs. "La loi de juillet 2014 relative à cette économie a permis de faire reconnaître le secteur. Elle a créé un cadre et rend les choses plus faciles, assure Hugues Sibille. Mais il n'y a pas suffisamment d'animation au niveau national." Preuve en est le nombre très réduit de décrets parus suite à la loi : cinq (*) sur une quarantaine. Le dernier en date, paru le 31 janvier, fixe le seuil au-delà duquel l'adoption d'un schéma d'achats socialement responsables est obligatoire au sein de la commande publique. Le plus surprenant est que, selon le tableau de mise en oeuvre de la loi mis en ligne sur le site de Bercy, 20 autres décrets auraient dû être publiés avant la fin janvier ! La loi elle-même fixait un délai de six mois maximum après sa parution.
Le président de l'Avise regrette ainsi que l'économie sociale et solidaire soit davantage prise au sérieux au niveau local qu'au niveau national. Si la plupart des régions ont intégré l'économie sociale et solidaire dans leurs schémas régionaux de développement économique et accompagnent les entrepreneurs sociaux par diverses aides, spécifiques ou non, "au national, on continue à considérer cela comme quelque chose de sympathique". "Il faut que les décideurs politiques, les économistes, les organisations syndicales prennent l'ESS au sérieux", demande Hugues Sibille, mettant en avant le potentiel de cette économie. Actuellement, elle représente 2,3 millions de salariés, 10% du PIB. Avec les départs à la retraite, 600.000 postes pourraient être créés d'ici 2020 dans ce secteur. "Ce sont des milliers d'emplois qui sont en jeu, et il y a de l'ambition, les entrepreneurs sociaux inventent autre chose."
Ethiquable : de 80.000 euros de chiffre d'affaires en 2003 à 16 millions d'euros en 2014
Parmi les exemples présentés lors de la conférence : Ethiquable, une société coopérative et participative (Scop) installée dans le Gers, qui travaille en direct avec les coopératives de producteurs de manière durable pour vendre des produits équitables et biologiques. Créée en 2003, la société est vite montée en puissance, passant d'un chiffre d'affaires de 80.000 euros à 16 millions d'euros aujourd'hui. Elle a actuellement un impact direct sur 35.000 producteurs. Et contrairement à bon nombre d'acteurs sur le marché, rachetés par de grands groupes de distribution, Ethiquable a réussi à rester indépendante, avec 4.000 points de vente environ qui distribuent ses produits et entre un et deux millions de consommateurs réguliers. Elle se développe actuellement en Europe. "Nous sommes leader en grande distribution dans un marché fortement concurrentiel", détaille Rémi Roux, l'un des trois fondateurs d'Ethiquable, gérant de la Scop, qui se félicite d'avoir permis une reconnaissance du commerce équitable nord-nord. La loi relative à l'économie sociale et solidaire donne ainsi une définition de ce type de commerce, largement inspirée de l'exemple d'Ethiquable, alors qu'était reconnu jusqu'à présent uniquement le commerce équitable nord-sud.
Autre exemple : Equiphoria, un institut d'hippothérapie et d'équithérapie pour les personnes en situation de handicap, créé en 2012 en Lozère sous forme de coopérative (11 salariés et 10 chevaux). La société propose des séances thérapeutiques à partir de l'équitation pour des personnes en situation de handicap mental ou physique. Pour démarrer, Equiphoria a bénéficié du statut de jeune entreprise innovante. "Le travail de l'incubateur Languedoc-Roussillon Incubation a été très important. Ils nous ont posé des questions énervantes, cela nous poussait à nous remettre en question", a expliqué Hélène Viruega, fondatrice d'Equiphoria, lors de la conférence. Financé entre autres par la région Languedoc-Roussillon, l'incubateur a amené la société à réaliser un business plan et à construire son modèle économique. Dotée d'un laboratoire de recherche, la coopérative tente maintenant de faire reconnaître ses travaux à travers des études. Objectif : permettre aux personnes accompagnées de bénéficier d'un remboursement des prestations par la sécurité sociale.
"Les volumes d'emplois sont très importants"
"Nous créons de plus en plus d'emplois dans ce secteur, de grands fleurons se développent, comme le groupe SOS, qui compte 12.000 salariés. Les volumes d'emplois sont très importants", assure Hugues Sibille, qui signale toutefois qu'il est difficile d'avoir un chiffre global en matière de créations d'entreprises et d'emplois, les statuts des acteurs concernés étant très différents (associations, coopératives, mutuelles…).
Les financements spécifiquement orientés vers ce secteur commencent aussi à voir le jour. Le fonds d'investissement dans l'innovation sociale (Fiso), dont la création avait été annoncée par le gouvernement en mai 2013, va être mis en oeuvre de manière expérimentale dans huit régions (Franche-Comté, Centre, Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et Lorraine). Le premier comité de pilotage a eu lieu le 8 décembre 2014. Doté de 40 millions d'euros (20 millions pour l'expérimentation), financés à parts égales par l'Etat et les régions, il interviendra sous forme d'avances remboursables. Les prêts bancaires se mettent aussi en place et "le fonds 'Impact coopératif' sera lancé en avril", détaille Hugues Sibille. Ce fonds de fonds dédié aux entreprises de l'ESS et entreprises recherchant un impact social, permettra de financer des projets à hauteur de 3 à 5 millions d'euros, ce qui n'existe pas à l'heure actuelle. Un troisième appel à projets sur l'ESS, dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) a enfin été lancé fin janvier. Orienté sur le tourisme social, la transition énergétique et écologique, la revitalisation des territoires ruraux et l'économie du partage, il est ouvert jusqu'au 15 juin. Les premiers appels à projets ont mobilisé 19,7 millions d'euros sur les 72 millions d'euros engagés.
Emilie Zapalski
(*) Décret relatif aux déchets d'équipements électriques et électroniques et aux équipements électriques et électroniques usagés, décret relatif à l'information des salariés en cas de cession de leur entreprise, décret relatif au dispositif d'amorçage applicable aux sociétés coopératives de production, décret relatif aux fonds de dotation, décret fixant le seuil au-delà duquel un schéma d'achats socialement responsables est obligatoire.
Les coopératives d'activités et d'emplois, pour commencer son activité sans risque
A l'occasion de cette conférence sur les entrepreneurs sociaux, Hugues Sibille est revenu sur les avantages de la coopérative d'activités et d'emploi (CAE). Cette coopérative rassemble des professionnels de métiers différents qui souhaitent développer leur propre activité tout en évoluant dans un cadre collectif et en bénéficiant d'un statut de salarié. Ces CAE proposent ainsi aux porteurs de projets un cadre juridique existant, avec un numéro de TVA et de registre de commerce, un statut d'entrepreneur salarié en CDI, la protection sociale, la gestion administrative (facturation, comptabilité, salaires) et un accompagnement sur mesure. "La CAE s'occupe de tout ce qui est administratif, cela permet de tester son produit ou service tout en étant accompagné et en bénéficiant du statut de salarié", a résumé le président de l'Avise.
E.Z.