Enfance / Famille - Les directeurs de la protection de l'enfance inquiets de la réforme territoriale

L'Association des directeurs de l'enfance et de la famille (Andef) - qui regroupe les responsables des services de protection de l'enfance des départements - a adressé une lettre ouverte à Laurence Rossignol, la secrétaire d'Etat chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. L'Andef y exprime ses vives inquiétudes sur les conséquences de la réforme territoriale. Mais la lettre, adoptée par le bureau de l'association le 3 octobre, témoigne aussi d'un malaise plus large.

"Rendre lisibles les enjeux de la protection de l'enfance"

Les signataires évoquent ainsi le fait que "l'aide sociale à l'enfance prend en compte des situations familiales que la société a du mal à regarder en face" et qui "n'envoient pas un message particulièrement rassurant pour le citoyen et pour le politique". "Il y aurait pourtant une obligation politique à faire connaître et rendre lisibles les enjeux de la protection de l'enfance pour notre pays", qui concerne plus de 250.000 mineurs. La lettre ouverte pointe aussi "le déchaînement médiatique auquel on assiste pour condamner l'ASE à coup de sensationnel [et qui] est insupportable".
Au-delà de ce malaise diffus mais bien réel, l'Andef soulève également d'autres motifs d'inquiétude. C'est bien sûr le cas du "flou total [qui] continue à entourer le devenir de la politique publique de protection de l'enfance alors qu'un débat devrait s'ouvrir de toute urgence pour que la réforme des collectivités territoriales n'engloutisse pas les progrès réalisés dans ce secteur depuis trente ans", autrement dit depuis la décentralisation. Les directeurs sont toutefois conscients que le système reste à la fois fragile et perfectible.

Concepts à la mode

Les inquiétudes portent notamment sur le devenir de la loi de 2007 réformant la protection de l'enfance, qui "porte un grand nombre d'éléments de progrès", mais "gagnerait à constituer une véritable doctrine, porteuse du sens et des valeurs voulus par le législateur, au-delà des dispositions techniques qu'elle développe". En d'autres termes, la protection de l'enfance manque d'un socle de référence partagé. Elle manque aussi d'un garant de sa mise en œuvre et du respect du principe d'équité pour le bénéfice des aides délivrées par l'aide sociale à l'enfance ou en matière de prévention.
Une remarque qui vise aussi certains excès des départements dans l'organisation et le management de l'action sociale. Le jugement est sévère puisque, selon la lettre ouverte, "la formule a remplacé l'action. L'évocation des concepts à la mode se substitue à l'analyse et aux exigences du travail social. On communique sur le sens, mais on s'attache peu au réel". Autre exemple : la promotion du développement social, facteur de progrès, mais sous réserve qu'elle ne serve pas de prétexte "pour globaliser à l'extrême la conception de l'action sociale".

Pas de "compromis mou"

Enfin, en termes d'organisation territoriale, aucune des différentes solutions envisagées ne trouve grâce aux yeux de l'Andef. Le rattachement aux métropoles et aux intercommunalités - qui au demeurant ne semblent guère en vouloir (voir notre article ci-contre du 8 octobre 2014) - "signifierait un éparpillement absolu d'une mission régalienne et la fin définitive de toute idée d'équité pour les familles". Le transfert de la compétence aux régions "grefferait artificiellement une mission sociale spécialisée à un bloc de compétences tourné tout entier vers le développement économique". Quant au retour de la compétence à des agences régionales d'Etat, il se traduirait par "le retour d'un dispositif de type Ddass, dont la conception de la protection des mineurs risquerait de séparer les services qui y concourent".
Seule certitude pour les directeurs départementaux, qui se disent prêts à apporter leur contribution sur le sujet : "La protection de l'enfance ne pourra s'arranger d'un compromis mou, par défaut, choisi pour ne pas faire de vagues. Elle n'y survivra pas !"

Laurence Rossignol lance "une très large concertation"

Destinataire de la lettre ouverte, Laurence Rossignol n'y a pas répondu directement à ce jour. La ministre s'est néanmoins rendue, le 9 octobre, aux Rencontres sur la réforme de la protection de l'enfance, organisées au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) par le club ASE du réseau Idéal. Elle y a annoncé "une très large concertation, réunissant les présidents de conseils généraux, les directeurs de l'enfance et de la famille, les professionnels, les magistrats, les parents, mais aussi les anciens mineurs issus de l'aide sociale à l'enfance".
Si elle se garde bien de se prononcer sur l'impact de la réforme territoriale en matière de protection de l'enfance, Laurence Rossignol attend de ces consultations une réflexion sur la doctrine, les pratiques et le pilotage des services de protection de l'enfance, ce qui répond aux demandes de l'Andef. Cette concertation devrait également permettre au gouvernement d'arrêter sa position sur la proposition de loi relative à la protection de l'enfance, récemment déposée par les sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini (voir notre article ci-contre du 25 septembre 2014).