Les déconversions bio : épiphénomène ou tendance de fond ?
Les "déconversions" ont tendance à légèrement augmenter, en réaction à la baisse marquée de la consommation de produits bio. Les acteurs du secteur tentent d'analyser le phénomène et de trouver les leviers pour l'éviter. Les objectifs fixés à la restauration collective par la loi Egalim sont vus comme un moyen d'absorber les productions excédentaires.
Des agriculteurs en bio qui jettent l'éponge ? Les chiffres de l'Agence Bio montrent qu'entre janvier et août 2022, 2.174 producteurs ont décidé de repasser en conventionnel. Sur un an, l'augmentation est de 42%. Certes, l'érosion reste faible par rapport au nombre d'exploitations. Sur près de 60.000 fermes certifiées bio, les déconversions représenteraient 4 à 5% de ces exploitations. Mais ce chiffre est en légère augmentation. Il se situait autour de 3 à 4% auparavant. "Cela prend en compte les départs à la retraite" (non remplacés en bio), tempère la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab), pour qui il ne s'agit toutefois pas d'un "épiphénomène". "Nous sommes très vigilants". D'autant que les chiffres des conversions, après une longue période de progression, connaissent un net ralentissement. Toujours selon l'Agence Bio, entre le 1er janvier et fin août 2022, 4.071 conversions ont été enregistrées, contre 6.411 en 2021 sur la même période, soit une baisse de 37%.
Début décembre, lors des Assises de l'agriculture et de l'alimentation biologiques à Paris, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a tiré le signal d'alarme. "Mon obsession dans le moment qu'on traverse est d'éviter qu'un certain nombre de gens, ce qui est le cas reconnaissons-le, envisagent la déconversion", a-t-il déclaré. "La déconversion c'est l'assurance que ce sont des gens qu'on ne reverra pas dans la filière bio. Mon sujet pour l'instant c'est de stabiliser."
Le phénomène toucherait davantage certains secteurs comme le porc (6%), l'apiculture (5%) et les œufs (4,5%). D'après le syndicat national des labels avicoles de France, près d'un million de poules bio ont été "déconverties" depuis 2021. En valeur absolue, c'est dans les grandes cultures que les déconversions sont les plus nombreuses (361 arrêts en 2021).
"Pour le moment, il est prématuré de tirer des conclusions et de connaître les tenants et aboutissants du sujet, essaie de relativiser la Coopération agricole, nous faisons des études complémentaires".
La consommation du bio en baisse de 3 à 4% sur un an
Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. Tout d'abord la baisse de la consommation en bio dans le contexte inflationniste actuel. D'après la Fnab, entre janvier et septembre 2022, les achats de produits bio sont en recul de 6,3%. Un recul constaté pour la deuxième année consécutive, plus marqué chez les magasins spécialisés (Biocoop, la Vie claire) qui accusent une baisse de 16%, que dans les grandes surfaces classiques (-5,3%). C'est bien une inversion de tendance. La part du bio dans la consommation était passée de 2,1% en 2014 à 5,1% en 2020. On est donc repassé sous les 5%…
"On a eu cette vague de conversions bio car la consommation était plutôt en forte hausse jusqu'en 2019, explique Loïc Guines, président de la chambre d'agriculture d'Ille-et-Vilaine, 2021 a bousculé les ordres, avec la crise sanitaire, et a perturbé le consommateur ; comme il n'y a plus cette consommation à deux chiffres, il y a une surproduction qui est plus ou moins facile à digérer par l'ensemble de la production". L'inflation est un frein supplémentaire : les produits bio étant en moyenne 30% plus chers que les produits équivalents conventionnels. "Le prix des produits conventionnels ont incité certains agriculteurs à faire machine arrière", assure la Fnab.
Les grands opérateurs encouragent les producteurs bio à se déconvertir
La crise de la consommation des produits bio pousse même de grands groupes de l'agro-industrie, comme Lactalis, Cavac ou Bodin Volailles, à encourager les producteurs bio à se déconvertir.
Enfin, l'incertitude consécutive à l'achèvement de la programmation de la Politique agricole commune (PAC) - avec ses aides à la conversion et au maintien - en attendant le passage à la suivante, au 1er janvier 2023, a pu conduire certains agriculteurs à revoir leur modèle. D'autant que l'aide au maintien disparaît. Initialement, la France voulait par ailleurs rendre éligibles aux nouveaux "écorégimes" les productions certifiées en Haute valeur environnementale (HVE), bien moins contraignante que le label bio. Face aux protestations de la Commission européenne, elle a dû revoir sa copie. Un bonus de 30 euros par hectare est finalement prévu pour le bio par rapport à la certification HVE (voir notre article du 31 août 2022).
En comparant les cartes, il s'avère paradoxalement que ce sont dans les régions les plus accueillantes pour les exploitants bio (voir notre article du 13 décembre 2022) que les déconversions sont les plus nombreuses : Nouvelle-Aquitaine (4,8%), Pays de la Loire (4,3%), Occitanie (4,12%) et Centre-Val de Loire (4%), auxquelles s'ajoute la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (4,52%). Les autres semblent moins exposées (3,30% pour la Normandie par exemple).
"Il faut inciter les collectivités à respecter la loi Egalim"
Pour les acteurs de la filière, il faut que les pouvoirs publics se remobilisent. "Il faut inciter les collectivités à respecter la loi Egalim, insiste Loïc Guines, la loi imposant un pourcentage de bio dans la restauration collective*, car elles incitent les agriculteurs à aller vers le bio, mais derrière elles ne mettent pas en application ces règles, alors que la différence de prix n'est pas énorme sur le repas ; aujourd'hui l'énergie qui coûte cher, c'est un peu l'excuse pour ne pas faire". Les chambres d'agriculture demandent aussi à ce que l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires intègre la réflexion sur le bio, en mettant autour de la table les banques, la grande distribution, les collectivités et que l'Etat organise un plan de communication sur les bienfaits du bio.
Pour la Fnab, la restauration collective permettrait en effet d'absorber l'excédent de produits bio actuels. "Jusqu'à maintenant, les règles des marchés publics dans ce domaine étaient trop rigides, aujourd'hui elles ont été assouplies, on est dans une période clé, or les collectivités tentent de rogner leur budget alimentaire pour garder un prix accessible aux familles les plus modestes. Il faut un engagement politique fort sur ces sujets". Quant aux projets alimentaires territoriaux (PAT) qui peuvent favoriser le développement du bio, la Fnab estime que ce sont des bonnes initiatives, mais "ils ne seront pas opérationnels avant trois ans, c'est trop lent !".
Certaines régions s'emparent du problème. Les Pays de la Loire, où 12% des terres agricoles sont exploitées en agriculture bio, ont décidé de maintenir en décembre 2022 l'augmentation du plafond de l'aide au maintien à l'agriculture biologique (MAB) de 7.500 à 10.000 euros, décidée en 2022.
Alors que le pays s'est fixé un objectif de 18% de surface agricole utile en bio en 2018, contre 10% à l'heure actuelle, il y a urgence. Lors des Assises de la bio, Marc Fesneau a fait quelques annonces, comme le versement en 2023 de 5 millions d'euros supplémentaires au Fonds Avenir Bio, géré par l'Agence Bio, pour aider les producteurs à investir et valoriser leurs productions. Le fonds sera doté au total de 13 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 2 millions d'euros de reliquat du plan de relance. Une participation de l'Etat de 750.000 euros à l'Agence Bio a été également annoncée pour le déploiement d'une nouvelle campagne de communication. Des ressources qui serviront notamment à réaliser des études pour comprendre la crise actuelle et les motifs de la diminution de la demande en bio. Les regards se tournent aussi vers le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles annoncé pour le début de l'été. L'enjeu : relever le défi du renouvellement des générations et des transitions en agriculture.
* La Loi Egalim impose 50% de produits durables et de qualité, dont 20% de produits issus de l'agriculture biologique au 1er janvier 2022 en matière de restauration collective et 60% de produits durables et de qualité pour les viandes et poissons au 1er janvier 2024 (loi Climat et Résilience) avec un taux porté à 100% pour la restauration collective de l'Etat.