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Développement durable - Les coûts du changement climatique passés au crible

Le groupe de travail interministériel sur l'évaluation des impacts du changement climatique, du coût des dommages et des mesures d'adaptation vient de publier un rapport sur la deuxième phase de ses travaux. Eau, énergie, infrastructures, tourisme, agriculture, forêts... : il évalue les coûts du changement climatique dans dix domaines et propose de premières pistes d'adaptation.

Piloté par l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc) et la Direction générale de l'énergie et du climat, le rapport du groupe de travail interministériel vise à quantifier le coût des impacts du changement climatique et des mesures d'adaptation associées dans dix secteurs clefs (santé, énergie, urbanisme, infrastructures de transport, biodiversité, tourisme, risques naturels et assurances, agriculture, forêt, ressource en eau et territoires). Il fait suite à une première phase de travaux achevée en juin 2008 sur "la caractérisation qualitative des impacts du changement climatique par secteur et la définition d'un cadre méthodologique commun". Ces travaux pourront alimenter le futur Plan national d'adaptation au changement climatique prévu par la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement (Grenelle 1) et attendu à l'horizon 2011.
Dans le domaine de l'eau, le rapport du groupe de travail prévoit "un déficit de deux milliards de mètres cubes par an pour la satisfaction des besoins actuels de l'industrie, de l'agriculture (irrigation) et de l'alimentation en eau potable" à l'horizon 2050, en considérant une stabilité de la demande. Les zones les plus touchées seraient celles souffrant déjà aujourd'hui d'un déficit structurel comme le Grand Sud-Ouest. "Tous les secteurs seraient affectés par cette évolution qui se traduirait par une multiplication des conflits d'usage, une dégradation de la qualité des eaux et par la perturbation des écosystèmes aquatiques ou dépendants de la ressource en eau", souligne le rapport. Il faudra dès lors mettre en place "des systèmes agricoles plus robustes et moins exigeants en ressource en eau", des ouvrages de régulation, des systèmes alternatifs (dessalement, réutilisation des eaux usées, etc.) et promouvoir les économies d'eau, recommandent les experts.

 

Risques naturels accrus

L'agriculture sera l'un des secteurs les plus touchés par le changement climatique. Le rapport estime que "la multiplication des événements de type canicule de 2003 pourrait représenter en 2100 un coût allant jusqu'à plus de 300 millions d'euros par an pour une culture comme le blé en l'absence de mesures d'adaptation". La viticulture serait également affectée, avec "des effets potentiellement négatifs sur la qualité et la typicité des vins". Le rapport conseille dès aujourd'hui de "diversifier les systèmes de culture permettant de combiner esquive, évitement et tolérance". Pour le secteur forestier, l'augmentation des températures et du taux de CO2 dans l'atmosphère devrait entraîner une hausse de la productivité, en clair des volumes de bois. Mais ces gains "pourraient être du même ordre de grandeur que les pertes possibles par dépérissement, incendie, sécheresse, etc.".
Les risques naturels sont évidemment appelés à croître. Le rapport estime qu'à urbanisation constante, "les dommages moyens annuels aux logements générés par le risque de retrait–gonflement des sols argileux pourraient dépasser un milliard d'euros par an en 2100 (contre environ 200 millions d'euros par an aujourd'hui) à l'échelle de la France, comme conséquence de l'augmentation de la fréquence des canicules". Ce coût pourrait être multiplié par 4 ou 5 si l'urbanisation dans les zones à risques se poursuit au rythme actuel. Le recul de la côte par érosion ou submersion marine due à la remontée du niveau de la mer pourrait coûter "plusieurs dizaines de milliards d'euros à l'échelle du siècle pour la seule région Languedoc-Roussillon", notent les experts. Le coût des dommages liés aux inondations par débordement de cours d'eau "pourrait également augmenter sur certains bassins, avec des incertitudes qui demeurent". Le rapport insiste donc sur la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans les documents d'aménagement et de planification.
La demande d'énergie sera elle aussi affectée, avec une baisse de la consommation en hiver mais une hausse en été en raison des besoins en climatisation pour les logements et les véhicules. Il faudra donc gérer "des pics de demande en période chaude", d'autant plus "qu'en termes de production d'électricité il faut s'attendre, en raison des contraintes liées à la ressource en eau, à une baisse de productible de l'ordre de 15% des centrales hydroélectriques pour lesquelles l'eau constitue la matière première et à des pertes de rendement des infrastructures de production et de transport de l'énergie en période chaude", souligne le rapport. Il préconise donc de réduire la demande d'énergie par un cadre bâti et un urbanisme adaptés.
Pour la santé, "la plupart des changements auraient des conséquences néfastes" même si "certaines implication pourraient s'avérer bénéfiques comme la baisse de la mortalité due au froid durant les hivers plus doux". Le rapport rappelle le coût des décès prématurés causés par la canicule de 2003 (un peu plus de 500 millions d'euros) et celui de la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychologiques après les inondations du Gard (234.000 euros pour 953 personnes la première année).

 

Le tourisme fortement touché

Les experts mettent en avant une "dégradation du confort climatique en été" qui aurait aussi "un impact significatif sur le chiffre d'affaires estival" à l'horizon 2100. Tout le territoire à l'exception du Nord Ouest et de certains départements des Alpes connaîtrait une baisse d'attractivité touristique. La saison hivernale dans les Alpes sera affectée : si 143 domaines skiables bénéficient actuellement d'un enneigement fiable, ils ne seront plus que 123 en cas de réchauffement de 1°C, 96 si le thermomètre monte de 2°C et 55 en cas de hausse de 4°C.
Le changement climatique pourrait aussi nécessiter une adaptation des infrastructures routières. Le risque de submersion marine consécutif à une remontée d'ensemble du niveau de la mer d'un mètre représenterait " un coût patrimonial pour le réseau routier national métropolitain (hors autoroutes concédées et autres voiries ) de 2 milliards d'euros". Et ce montant ne tient pas compte d'un effet "réseau" : même si la submersion d'un tronçon de route peut entraîner l'indisponibilité de toute une section, seule la valeur patrimoniale du tronçon submergé a été calculée.
En termes de biodiversité, les conséquences du changement climatique sont déjà observables. La modification de la température et de la pluviométrie, à laquelle s'ajoute l'acidification des eaux en milieu marin, affectent directement la biodiversité. Mais les experts insistent aussi sur le rôle d'effets indirects à moyen terme qui pourraient être au moins aussi importants - la reconstruction des infrastructures littorales sur les espaces naturels en arrière des côtes, par exemple. "Il est donc essentiel d'analyser systématiquement les effets croisés des impacts du changement climatique d'une part et des adaptations spontanées ou planifiées d'autre part afin de prévenir les conséquences négatives pour la biodiversité", soulignent-ils. Plus globalement, il faut aussi s'attendre d'ici la fin du siècle à des pertes économiques significatives liées à la diminution voire la disparition de services de production (forêts de hêtres du Sud et de l'Ouest par exemple) et de régulation (stockage du carbone, prévention des crues et des inondations, régulation de l'érosion).

 

Anne Lenormand