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Agriculture - Les conversions à l'agriculture biologique subissent un coup de frein

Après plusieurs années d'essor, les demandes de conversion en agriculture biologique ont subi un coup d'arrêt. Cette pause s'explique par une baisse des écarts de prix entre bio et non bio, mais aussi par le manque d'organisation de la filière. Si des collectivités tentent d'impulser le mouvement pour aider les agriculteurs bio à mieux s'organiser, le poids du bio dans la restauration collective ne décolle pas.

Après plusieurs années fastes, les demandes de conversion en agriculture biologique ont récemment subi un coup d'arrêt. C'est ce que font remonter les 200 conseillers agriculture biologique de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) qui relativise cependant cette baisse. "On a une petite chute des demandes de conversion mais on a déjà connu des paliers", explique à Localtis Etienne Gangneron, membre du conseil d'administration de l'APCA, président de l'Agence Bio et aussi agriculteur bio à Vasselay, dans le Cher, depuis 1998.
Une première tendance à la baisse avait ainsi été observée autour de 2005-2006, après de fortes augmentations au début des années 2000. Même chose après une période de forte demande de conversion autour des années 2007 et 2009, avec 10 conversions quotidiennes en 2009, et 15 en 2010. En 2011, la dynamique se poursuit mais sur un rythme d'environ 5 conversions par jour et "nous sommes maintenant dans le creux de la vague", estime Etienne Gangneron.
Actuellement, 1,2 million d'hectares sont consacrés au bio, soit environ 3,7% de la surface agricole utile, avec 23.135 exploitations en agriculture bio. Loin encore des objectifs du Grenelle de l'environnement qui étaient de passer à 6% en 2012 et 20% en 2020... Mais les rythmes sont toutefois différents en fonction des filières. Ainsi dans la viticulture, le niveau de surface agricole bio se situe entre 7 à 8% de la surface totale, soit près du double par rapport aux chiffres nationaux.
Au niveau de la répartition géographique, l'équilibre n'est pas de mise. Seules cinq régions concentrent la moitié des surfaces en bio. Les trois premières régions qui, à elles trois, rassemblent le tiers des surfaces, sont Midi-Pyrénées, Pays de la Loire et Languedoc-Roussillon. Provence-Alpes-Côte d'Azur se classe 5e en volume, mais c'est chez elle que la part du bio par rapport à l'agriculture conventionnelle est la plus importante. Elle représente 12,5%, et même 15% pour la viticulture.
D'après l'Agence Bio, plusieurs facteurs expliquent la diminution actuelle des demandes de conversion. Le prix des produits en fait partie. Le prix de l'agriculture classique ou conventionnelle est assez haut, du coup "il n'est pas très engageant pour les agriculteurs d'aller dans le bio, car cela demande beaucoup d'investissements et un engagement fort, la production étant moins importante dans le bio dans les premières années", détaille Etienne Gangneron.

40% des factures de produits prises en charge

Le comparatif des prix, en bio et en agriculture classique, semble un paramètre indéniable pour décider les agriculteurs à passer au bio. Mais ce n'est pas le seul. L'aspect politique est aussi capital. "La demande publique est un signe très important qui peut permettre de rassurer les agriculteurs, signale ainsi Etienne Gangneron, il faut que les collectivités se mettent plus en ordre de marche !" D'après le président de l'Agence Bio, on parle beaucoup d'expériences en matière de bio dans les collectivités, mais "il s'agit le plus souvent de micro-expériences, qui ne représentent le plus souvent que 2 à 3 hectares à chaque fois. Il faut passer au delà de l'expérience, à une dimension plus importante".
Parmi les outils dont disposent les collectivités, il y a le soutien à l'agriculture biologique, volet conversion (SAB-C). Le dispositif fait partie des nouvelles aides de la politique agricole commune (PAC) couplées du premier pilier. Cette aide est accordée pour cinq ans, avec des montants variant selon le type de production et l'âge des cultures (entre 50 et 900 euros par hectare). D'autres aides sont également proposées par les régions comme les aides pour les producteurs déjà en bio (aide soutien à l'agriculture biologique-SAB, ou à son maintien, SAB-M), les aides à l'installation, ou encore le crédit d'impôt Bio.
Mais au delà de ces aides, certaines régions, conscientes de la nécessité d'impulser une dynamique sur le plan politique, sont allées plus loin. C'est le cas de l'Ile-de-France notamment. La région a ainsi constitué un groupement des agriculteurs biologiques (GAB IDF) rassemblant les producteurs franciliens certifiés bio ou en conversion. Ce groupement accompagne les agriculteurs bio ou ceux qui souhaitent s'installer ou passer en bio. "Mais on a aussi souhaité susciter l'intérêt pour le bio en passant par les jeunes", explique Henriette Zoughebi, vice-présidente du conseil régional d'Ile-de-France, en charge des lycées. Ainsi le conseil régional prend en charge 40% des factures pour l'achat de produits bio, et 60% pour le pain bio, ce qui représente, sur 34 lycées aidés, une subvention totale de l'ordre de 360.000 euros. "Notre idée est d'étendre la démarche sur la base du souhait des établissements et en fonction de l'évolution de l'agriculture bio elle-même", détaille la responsable d'Ile-de-France, pointant du doigt les difficultés qu'a la filière pour répondre aux besoins exprimés par les territoires. "Pour le moment, on peut identifier un certain nombre de produits bio disponibles en grande quantité, comme des pommes et des poires, notamment dans les Yvelines et en Seine-et-Marne, ou le pain bio, mais ce n'est pas valable pour tous les produits", explique-t-elle. Du coup, les établissements proposent une partie seulement du repas en bio, ce qui "rend la communication plus difficile autour du bio dans les cantines", assure Etienne Gangneron.

S'engager dans la durée

En Auvergne, le bio pâtit surtout d'un manque d'organisation de la filière. Les surfaces agricoles bio représentent seulement 3,1% des surfaces agricoles, ce qui classe la région au douzième rang, alors "qu'on a tout pour être premier", regrette René Souchon, le président du conseil régional d'Auvergne. La région a constitué un pôle de conversion Bio en 2008 permettant une meilleure coordination entre les acteurs du domaine. Mais même avec ce nouvel outil, difficile pour les représentants du bio de s'entendre… "J'ai dû taper du poing sur la table et siffler la fin de la récréation, explique René Souchon, nous avons travaillé sur la mise en place d'un site internet, pour donner des informations au grand public et aux agriculteurs, et la région va mettre à la disposition des organisations interprofessionnelles de l'agriculture biologique un ingénieur pendant six mois. Elles ont six mois pour se mettre en ordre de marche, après quoi si ça marche, le poste sera à l'interprofession !"
Outre une meilleure organisation de la filière, les régions ont aussi besoin que les producteurs puissent s'engager dans la durée et sur un certain volume pour subvenir aux besoins des cantines scolaires. "On a bien compris le message concernant la régularité de la production souhaitée par les collectivités, et le souhait de grosses quantités, assure Etienne Gangneron, nous avons la volonté de progresser dans le temps, il faut vraiment que la filière du bio passe à une étape de professionnalisation. Il y a beaucoup trop d'expériences artisanales à notre goût, il faut changer de braquet !"
La région Auvergne tente aussi, comme l'Ile-de-France, d'impulser la demande et de motiver l'offre : elle subventionne à hauteur de un euro tout repas bio. 34.000 repas ont ainsi été subventionnés en 2012. Elle propose aussi un plan de formation pour les cuisiniers bio des cantines.

"Il y a des limites à la concurrence !"

Mais même avec la volonté politique, les collectivités sont parfois bloquées dans leur élan par les contraintes issues de la commande publique. Il faut parfois ruser, favoriser le mieux disant plutôt que le moins disant afin de donner une chance aux producteurs locaux. "Il y a des limites à la concurrence, estime René Souchon, en faisant allusion aux règles européennes, il faut obtenir de l'Europe qu'elle assouplisse ses règles pour permettre aux producteurs de servir les marchés locaux." "C'est compliqué le Code des marchés publics, les règles, tout cela permet difficilement de favoriser une production locale, poursuit-il, il faut les contourner, et cela demande beaucoup de travail pour rester dans la légalité tout en sortant des carcans."
Tous mettent beaucoup d'espoir dans le programme national bio Ambitions 2017 que le gouvernement doit présenter en juin 2013, destiné à développer l'agriculture biologique. Les travaux autour de ce plan, initié par Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, ont commencé à la rentrée 2012, et doivent s'achever au printemps 2013. Son objectif : doubler les surfaces cultivées en agriculture biologique dans les cinq ans à venir. L'Agence Bio attend notamment des engagements en matière de recherche publique dans le bio, mais aussi en matière de restauration publique (la loi d'avenir agricole comportera aussi des dispositions dans ce domaine). "Dans le Grenelle de l'environnement, il y avait l'engagement d'atteindre 20% d'achats alimentaires bio en restauration collective en 2012. On en est à 2% seulement en 2012 ! Cela a été un fiasco total. On espère qu'il y aura un engagement fort de la part de l'Etat dans ce domaine." Le responsable de l'APCA souhaite aussi que les règles en matière de commande publique et d'appel d'offres puissent être revues. Plus spécifiquement, il espère que les financements qui parviennent à l'Agence Bio (1,4 million d'euros de la part du ministère de l'Agriculture, et 100.000 euros de la part du ministère du Développement durable), seront reconduits. D'ici là, les agriculteurs veulent tenter d'améliorer leur offre et leur organisation. "On va profiter de cette période plus difficile pour se serrer les coudes et mieux s'organiser", assure ainsi Etienne Gangneron.