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ESS / Innovation sociale - Les contrats à impact social font leur rentrée

Prudemment lancés en France en 2016, les contrats à impact social avancent doucement, ralentis par la structure même du dispositif engageant de nombreux partenaires selon des modalités bien précises. Alors que de nouvelles signatures sont attendues pour septembre, une conférence du Forum Convergences a permis de faire le point sur ce dispositif destiné à financer l'innovation sociale.     

Deux ans après son lancement en France par Martine Pinville, alors secrétaire d'Etat en charge de l'économie sociale et solidaire (voir notre article du 17 mars 2016), qu'est devenu le contrat à impact social ? Le 4 septembre lors du Forum mondial Convergences, une conférence a permis de faire le point sur ce nouvel outil de financement de l'innovation sociale qui repose sur un partenariat entre cinq acteurs. Un "porteur de projet", souvent issu de l'ESS, "un ou des investisseurs qui vont financer cette expérimentation et qui se feront rembourser en fonction des résultats", un "payeur in fine" – l'Etat, une collectivité locale, une fondation… -, un "évaluateur indépendant" et un "structurateur", a énuméré en préambule Benoît Gajdos, directeur général du cabinet CO Conseil et modérateur de la rencontre. L'objectif est donc d'attirer des investisseurs privés vers des projets sociaux.
Selon Benoît Gajdos, un seul contrat à impact social (CIS) "a été signé et a démarré" ; porté par l'Adie, le projet vise à développer le micro-crédit en milieu rural (voir l'encadré à notre article du 30 mars 2018). Cinq autres contrats devraient être signés courant septembre, autour des projets des associations Wimoov, la Cravate solidaire, Article 1, Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) et de la fondation Apprentis d'Auteuil. D'autres enfin seraient "en cours d'élaboration". N'est pas cité le CIS relatif au développement de commerces franchisés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, alors qu'il avait été a priori signé en même temps que celui de l'Adie dès 2016 (voir notre article du 28 novembre 2016).

Expérimenter l'accueil de familles précaires en "relais familial" pour éviter des placements 

Les élections présidentielles et leurs suites expliqueraient une partie du retard pris par la plupart des projets, l'Etat étant impliqué en tant que "payeur in fine" dans plusieurs CIS et ayant a minima un rôle de garant et de soutien dans le cadre de l'appel à projets encadrant l'expérimentation du dispositif.
Côté collectivités, plusieurs départements sont engagés dans l'élaboration de CIS dans le domaine de la protection de l'enfance. Le département de Loire-Atlantique s'apprêterait à signer avec les Apprentis d'Auteuil un contrat permettant d'expérimenter l'accueil de familles fragilisées par la précarité en "relais familial", dans une logique de prévention des placements. Les départements de Gironde et du Nord pourraient prochainement embrayer sur le même sujet. Et, toujours dans le Nord, un autre CIS est à l'étude avec la Sauvegarde du Nord pour développer un accompagnement intensif et pluridisciplinaire de familles en difficulté (sur ce projet, lancé par Christophe Itier, alors directeur général de l'association et aujourd'hui Haut-commissaire à l'ESS et à l'innovation sociale, voir l'encadré à notre article du 17 mars 2016).
Pour mener à bien de tels projets, les départements seraient confrontés à de multiples difficultés : vote d'un budget pluriannuel et incertain - le remboursement du prêteur ne s'effectuant qu'au terme de l'expérimentation, si les objectifs ont été atteints, et avec une rémunération variable selon ces résultats -, conciliation avec des outils de planification avec les partenaires associatifs tels que les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), acculturation de la collectivité à une approche centrée sur l'investissement social et les "coûts évités", réticences plus ou moins fortes des professionnels à inscrire leurs pratiques dans un cadre partenarial et financier inédit…

Fixer quelques principes "intangibles", dont l'absence de sélection des publics

La mise en œuvre d'un CIS ne serait d'ailleurs possible qu'au prix d'une évolution des pratiques de la part de l'ensemble des organisations partenaires. En a témoigné Maha Keramane, responsable entrepreneuriat social et microfinance Europe à la Délégation à la responsabilité sociale et environnementale de BNP Paribas. Pour intégrer un tel concept dans les métiers de la banque, il faut convaincre le comité des risques de remplacer le "diptyque risque / rentabilité" par un "triptyque risque / rentabilité – moindre - / impact - plus important". Dans ce cadre nouveau pour la sphère financière, ce sont les indicateurs de mesure d'impact qui permettent de "border" le projet puisqu'ils conditionnent in fine le remboursement.
Comment éviter, dans ces conditions, des indicateurs qui conduisent le porteur de projet à trier ses bénéficiaires et à exclure les plus fragiles pour atteindre les objectifs fixés ? En étant sûr de ses valeurs, répond Vincent Godebout, délégué général de SNC. Le CIS vise notamment à permettre à des chômeurs accompagnés par les bénévoles de SNC de réaliser une validation des acquis de l'expérience (VAE). L'association a nommé un administrateur "garant des valeurs de SNC" et fixé "quelques intangibles", dont l'absence de sélection des publics.

"Cela fait deux ans qu'on est en train de ramer"...

Parmi les bénéfices du CIS cités par les associations ce 4 septembre : l'acculturation réciproque entre des associations et des acteurs financiers ainsi que l'amélioration des outils de suivi du projet. La principale difficulté : un montage "extrêmement chronophage", selon Vincent Godebout. Pour la petite association La Cravate solidaire qui a même dû rogner sur le temps dédié à l'opérationnel, le CIS est un véritable pari.
"Cela fait deux ans qu'on est en train de ramer, de dépenser une énergie considérable pour mettre en place ces CIS... Si demain ça devient un instrument normalisé, le pari est gagné", a conclu Jean-Marie Destrée, délégué général adjoint de la Fondation Caritas. Pour cela, l'outil doit selon lui devenir "infiniment plus simple, moins complexe, moins lié à des enjeux politiques". Mais est-ce vraiment possible ? Pas sûr, si l'on en croit Maha Keramane : "on est sur 6 CIS, ça reste du sur-mesure, on pourra peut-être standardiser une partie mais chaque projet est très spécifique". "En dessous de 1 ou 2 millions d'euros, ça n'a pas de sens de monter un CIS", a ajouté Benoît Gajdos, alors que les premiers projets étaient sur des montants davantage de l'ordre de 500.000 euros. Les projets susceptibles d'être financés par un CIS à l'avenir devront donc réunir les bons critères... Sans compter la nécessité de trouver un accord sur les indicateurs. Selon Maha Keramane, il faut pour avancer "être pragmatique" et renoncer à "l'indicateur parfait" au profit de la recherche du "plus petit dénominateur commun" entre les parties prenantes. 

L'après CIS, un transfert de moyens vers les modalités de prévention qui auront fait leur preuve ? 

Les conditions semblent donc loin d'être réunies pour multiplier les contrats à impact social en France. Dans le monde, leur nombre est d'ailleurs à ce jour limité à une soixantaine, selon l'Impact invest lab dont la Caisse des Dépôts est l'un des membres fondateurs. Le destin du CIS serait de rester "un outil dans une palette" selon Maha Keramane, un outil peu adapté à des secteurs médico-sociaux tels que la prise en charge de la dépendance. L'outil a vocation à continuer à financer la R&D nécessaire à l'innovation, estime Jean-Marie Destrée. Et que fait-on d'une expérimentation réussie ? A l'issue du CIS, l'association SNC espère que "les pouvoirs publics se ré-emparent du projet". Quand l'expérimentation du projet itinérant de la Cravate solidaire "aura fait ses preuves" en Seine-Saint-Denis et dans le Val d'Oise, Michael Cienka, responsable du développement de l'association, entend proposer aux départements de subventionner le dispositif.
"Une des faiblesses jusqu'à présent, c'est la préparation de la suite", admet Benoît Gajdos. "Il ne s'agit à aucun moment de substituer ce dispositif à la solidarité nationale" mais de "soutenir l'intervention sociale en ajoutant de nouveaux moyens pour développer de nouveaux dispositifs de prévention", avait souligné Martine Pinville en 2016. Moyens supplémentaires ou transferts en faveur de la prévention ? Le plan Pauvreté qui sera présenté la semaine prochaine par le président de la République pourrait donner quelques réponses.