Les casernes de gendarmerie face à un sous-investissement chronique
Le manque d'investissement chronique dans le parc immobilier de la gendarmerie a conduit à la création d'une "dette grise" de 2,2 milliards d'euros, alerte un rapport sénatorial qui s'inquiète de l'état de vétusté des casernes. Cette situation a conduit la gendarmerie à se tourner de plus en plus vers la location de locaux aux collectivités et bailleurs sociaux. Ce sera le cas notamment pour les 238 brigades promises par Emmanuel Macron mais dont le modèle de financement n'est pour l'heure pas équilibré pour les collectivités. Le rapport formule sept propositions pour répondre à ces urgences.
Les gendarmes sont logés dans 649 casernes domaniales (appartenant à l'État) et 3.075 casernes louées, soit à des collectivités soit à des bailleurs sociaux. Celles-ci représentant aujourd'hui la moitié de la surface occupée par les gendarmes, le plus souvent dans les zones rurales ou périurbaines. Ce logement des gendarmes et de leurs familles en caserne constitue "la clé de voûte de la permanence de la posture opérationnelle de la gendarmerie nationale", souligne le sénateur Bruno Belin (Vienne, LR), dans un rapport récemment mis en ligne, pour le compte de la commission des finances. Mais le manque d'investissement chronique dans le parc domanial a conduit la gendarmerie à se tourner de plus en plus vers la location. Phénomène qui s'est accéléré à partir de 2014. Ainsi en 2023, 64% des 923 millions d'euros du budget de la gendarmerie consacrée au parc immobilier étaient engloutis par les loyers, indique le sénateur. Entre 2019 et 2023, le coût annuel des loyers est passé de 497 à 590 millions d'euros. L'investissement, lui, ne représente que 39% des dépenses hors loyers. Avec ce cercle vicieux : la part grandissante des loyers prive la gendarmerie de marge de manoeuvre pour investir. Alors que les besoins d'investissement s'élèvent entre 300 et 400 millions d'euros par an, l'enveloppe dédiée aux travaux est inférieure à 50% de ces montants depuis dix ans. Ainsi s'est constituée au fil des ans une "dette grise" évaluée par le sénateur à 2,2 milliards d'euros.
Des règles qui ne sont plus adaptées aux coûts réels
Symbole de cette tendance : toutes les 238 brigades promises par Emmanuel Macron passent par le modèle de la location, avec la construction de 135 nouvelles casernes. Pendant une première phase qui s'étale de 2024 à 2029, les brigades seront installées dans des logement "pris à bail" (par exemple dans des logements privés individuels). Ensuite, à partir de 2030, elles seront transférées dans les nouveaux logements, moyennant un loyer versé à la collectivité ou au bailleur qui aura pris en charge la construction des locaux (ce qui vaut aussi pour les locaux techniques, les garages, etc.). Ainsi, en 2030, la gendarmerie estime que le coût des locations correspondant à ces nouvelles brigades sera de 31 millions d'euros par an supplémentaires, dont 24 millions (77%) pour l'accueil des gendarmes et de leurs familles. Seulement, pour que l'opération fonctionne, il faut qu'elle reste financièrement intéressante pour la collectivité ou l'organisme HLM qui ont le plus souvent recours aux partenariats public-privé. Or, en l'état, "les règles de détermination des conditions financières de réalisation de ces investissements ne sont plus adaptées aux coûts réels qu'ils induisent" pour les collectivités et bailleurs, prévient le sénateur. En effet, ces loyers sont tributaires de "coûts-plafonds" dont la direction générale de la gendarmerie nationale estime qu'ils sont inférieurs de 30% à 50% aux coûts réels supportés par le maître d'ouvrage.
Dresser une liste des "points noirs immobiliers"
Le problème n'est pas nouveau puisqu'un groupe de travail avait été constitué en 2019 pour revoir ce coût-plafond. Ce qui n'a toujours pas été fait. "Cette situation ne peut pas durer", reconnaissait le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en 2021. Ces derniers mois, la presse locale s'est abondamment fait l'écho de ces difficultés rencontrées par les mairies. Pour le sénateur, il devient urgent de réviser ces règles "pour garantir la viabilité des projets d'extension du parc locatif de la gendarmerie".
Le sénateur formule six autres propositions pour sortir du cercle vicieux du sous-investissement. Il encourage des "financements innovants", comme le recours aux marchés de partenariat pour financer une nouvelle génération de projets immobiliers structurants. Ce qui permettrait de débloquer les opérations immobilières du plateau de Satory (Yvelines) où 1.000 logements sont attendus et à Dijon (Côte-d'Or) dont la caserne doit être rénovée en même temps que la construction d'une école de gendarmerie. Le sénateur recommande par ailleurs de dresser chaque année une liste de "points noirs immobiliers" à traiter d'urgence.