À l'école, une éducation artistique et culturelle en pointillés

Bien que prescrite par le code l'éducation, l'éducation artistique et culturelle est loin d'être une réalité pour tous les élèves en France, selon un rapport de la Cour des comptes. Les classes de primaire, les territoires ruraux et les élèves socialement défavorisés bénéficient moins que les autres de cet enseignement.

L'éducation artistique et culturelle (EAC) est-elle une réalité pour tous les élèves de France ? C'est sur cette question que la Cour des comptes s'est penchée dans un rapport publié le 14 février 2025. Et la réponse figure, en creux mais limpide, dans la troisième de ses huit recommandations : "Dès la rentrée 2025, étendre à la totalité des classes des écoles, collèges et lycées, une organisation systématique de parcours d'éducation artistique et culturelle." 

Deux chiffres attestent de carences de l'éducation artistique et culturelle : seuls 57% des élèves ont bénéficié d'une action d'EAC lors de l'année scolaire 2023-2024. Et cette proportion tombe à 39% pour les écoliers. Cette première approche fait place à d'autres inégalités, territoriales et sociales. 

Des inégalités territoriales et sociales 

Sur les inégalités territoriales, la Cour note que "le déploiement par l'Éducation nationale de dispositifs nationaux et donc relativement homogènes ne suffit pas à couvrir tout le territoire". L'offre culturelle est ainsi "nettement plus limitée en milieu rural voire périurbain", elle dépend aussi "du volontarisme et des moyens des collectivités territoriales", particulièrement dans des "zones blanches" où les élèves n'ont guère accès à l'éducation artistique et culturelle.

Pour leur part, les inégalités sociales se traduisent surtout à l'entrée au lycée, où l'on observe un décrochage de quinze points du taux d'élèves bénéficiaires d'au moins une action en EAC dans l'année scolaire entre les voies générale et technologique (79%) et la voie professionnelle (64%), où se concentrent les élèves socialement défavorisés.

Une mosaïque d'interventions pas toujours lisible

Pourquoi de tels trous dans la raquette ? Par manque de volonté politique ? Selon la Cour des comptes, à partir de 2021-2022, l'EAC a été "érigée en politique prioritaire du gouvernement". Une politique récente qui n'aurait pas encore trouvé ses marques ? L'idée d'une éducation à l'art dès l'enseignement primaire remonte à 1968, rappelle la cour. Quant à l'inscription de l'EAC dans le code de l'éducation sous sa formule actuelle, "pour tous les élèves tout au long de leur scolarité", elle remonte à 2013. Faute de moyens alors ? En 2023, l'État a consacré 3,5 milliards d'euros à l'EAC, et les collectivités entre 520 et 650 millions d'euros, dont 420 à 490 millions pour le bloc communal, 70 à 110 millions pour les départements et 30 à 50 millions pour les régions. Et ces moyens sont en hausse de 8 à 10% sur deux ans selon les contributeurs.

Les raisons sont donc à chercher ailleurs. La complexité d'abord. Le déploiement de l'EAC repose sur une multiplicité d'acteurs. L'État est présent à travers les ministères de l'Éducation nationale et de la Culture, mais aussi via la protection judiciaire de la jeunesse, les caisses d'allocations familiales, etc. Les trois strates de collectivités figurent au générique. On trouve aussi des partenaires associatifs, dont ceux de l'éducation populaire, ainsi que des opérateurs culturels, liés à l'État, aux collectivités ou au secteur privé. La recherche tient également un rôle. Et bien entendu, les établissements scolaires se trouvent au centre de toutes les actions. 

Cette diversité des acteurs constitue un véritable frein à l'heure de réduire les inégalités territoriales. Comme le souligne la cour, pour "optimiser le déploiement territorial" de l'EAC, "il est essentiel que sa gouvernance assure une collaboration efficace entre l'État et les collectivités des trois niveaux". Or cette politique s'appuie sur divers contrats territoriaux qui forment "une mosaïque d'interventions, pas toujours lisible pour les établissements scolaires tant les acteurs sont nombreux".

Un parcours "plus ou moins facultatif"

Les inégalités territoriales de l'accès à l'EAC prennent encore racine dans la question du transport des élèves, "identifiée par la plupart des acteurs comme un obstacle important" et dont le coût est jugée "croissant". Ou parfois dans "l'insuffisante mobilisation des communes ou des intercommunalités pour investir la compétence culture". Ou encore dans "une association insuffisante des collectivités territoriales aux concertations nationales".

Mais la principale raison des carences de l'EAC à l'école relève avant tout... de l'école. En effet, l'EAC constitue actuellement un des quatre "parcours éducatifs" de l'enseignement scolaire, aux côtés de l'éducation à la santé, de l'éducation à la citoyenneté et de l'orientation. Leur point commun ? Ils sont "non disciplinaires", autrement dit, dépourvus d'un professeur responsable fixe, d'un programme obligatoire et d'un horaire spécifique. La cour rend alors son verdict, cinglant : dans les faits, ces parcours éducatifs sont "souvent perçus comme ayant un caractère plus ou moins facultatif" et, in fine, dépendent fortement des enseignants. Quand certains d'entre eux "intègrent naturellement l'ouverture artistique et culturelle à leur pratique professionnelle, et s'appuient sur un réseau de partenaires qu'ils se constituent au fil des ans, [...] d'autres n'envisagent pas de telles démarches, par manque de formation, d'intérêt, ou de temps".

Une formation continue pour les enseignants

La Cour des comptes vise donc juste quand elle recommande – avant même d'étendre à toutes les classes une organisation systématique du parcours d'EAC – de développer, dès la rentrée 2025, la formation continue des enseignants. Elle insiste aussi pour que soit mis en place en septembre prochain un suivi effectif des projets d'EAC pour toutes les classes des écoles maternelles et élémentaires qui, on l'a vu, enregistrent un retard sur les classes du second degré.

Parmi les autres recommandations, la cour demande la tenue annuelle d'une concertation nationale des ministères concernés avec les collectivités territoriales, mais aussi de comités territoriaux de pilotage de l'EAC dans chaque région, en privilégiant la "contractualisation opérationnelle" entre l'État et les collectivités. Enfin, elle demande de sécuriser réglementairement la procédure de référencement dans le cadre de la part collective du Pass culture et de la resserrer autour de dispositifs nationaux ou territoriaux incluant une procédure d'évaluation périodique obligatoire. 

Ce que la Cour des comptes ne dit pas en revanche, est la façon dont l'EAC, comme les autres "parcours éducatifs", pourront tenir intégralement dans des emplois du temps qui ne sont guère extensibles et dans lesquels les programmes des matières disciplinaires plus classiques, comme l'éducation physique et sportive, ont parfois du mal à trouver leur place.