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Réforme des collectivités - Le Sénat, rempart de la commune ?

Le Sénat a terminé à marche forcée l'examen du projet de loi de réforme des collectivités. Les principales évolutions voulues par le gouvernement ont été préservées : création des conseillers territoriaux, élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, achèvement de la carte intercommunale au 1er janvier 2014 et sa rationalisation concomitante. Les métropoles demeurent, mais ont été amoindries.

Les sénateurs ont adopté dans la nuit du 4 au 5 février le projet de loi de réforme des collectivités territoriales au terme d'un long débat qui a débuté le 19 janvier. Durant tout l'examen du projet de texte, le Sénat a joué pleinement son rôle en défendant le respect des communes et des libertés locales.
Ainsi s'agissant de la composition des conseils communautaires élus au suffrage universel direct, il a prévu qu'elle puisse encore être fixée par accord entre les communes, même si plusieurs critères, notamment démographiques, devront être respectés. Le gouvernement prévoyait, lui, l'attribution d'un nombre déterminé de sièges uniquement en fonction de la taille des communes, sans aucune marge de liberté pour celles-ci.
Concernant la création des métropoles, les sénateurs ont maintenu l'autonomie fiscale des communes, alors que le projet initial transférait leurs ressources à cette nouvelle catégorie d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Ils ont aussi reconduit la notion d'intérêt communautaire - qui devait disparaître - en vertu de laquelle les communes peuvent gérer les équipements de proximité de la métropole.
En ce qui concerne les projets de création de nouveaux EPCI, ou d'évolution des EPCI existants, la Haute Assemblée a substitué à la règle de la majorité simple celle de la majorité des deux tiers, qui lui a paru moins brutale, puisque les communes ou les EPCI auront moins de chance d'être absorbés contre leur gré.
Enfin, le gouvernement avait souhaité, pour plusieurs compétences aussi importantes que l'assainissement ou l'élimination des déchets ménagers, que les pouvoirs de police correspondants soient automatiquement transférés du maire au président de la communauté. Les sénateurs ont finalement décidé qu'un ou plusieurs maires pourraient s'opposer à ce transfert et que dans ce cas, il n'aurait pas lieu.

 

Les préfets : maîtres des évolutions intercommunales ?

Certes, le Sénat a donné son feu vert à un amendement de Dominique Braye concernant la possibilité d'une dotation globale de fonctionnement (DGF) territorialisée, c'est-à-dire unifiée à l'échelon de la communauté. Mais ce responsable de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) avait pris le soin de préciser que la création du nouvel outil fiscal se fera avec l'accord du conseil communautaire et de tous les conseils municipaux. Un garde-fou jugé donc parfaitement suffisant.
Autre constante de cette première lecture : le Sénat a fait en sorte que des territoires n'aient à pas à connaître une évolution contraire à la volonté exprimée par leurs élus. C'est l'esprit des amendements de Michel Charasse qui renforcent les conditions nécessaires à la fusion de départements et de régions. Ces fusions ne seront possibles qu'avec l'accord des collectivités concernées et de la population, alors que le texte du gouvernement rendait facultative, dans certains cas, la consultation des électeurs.
On notera aussi que les sénateurs ont eu le souci de prendre en compte la spécificité des communes de montagne en rendant nécessaire la consultation de leurs représentants élus au sein des intercommunalités concernées. Ou encore de faire en sorte que l'avis du comité technique paritaire soit recueilli chaque fois qu'aura lieu un transfert de compétence d'une commune à la communauté ou du département à la métropole.
Toutes ces évolutions ont fait dire à Jean-Pierre Sueur (PS) que "la recentralisation" – dont selon lui, comme selon les autres élus de gauche, ce texte est empreint – "a été un peu atténuée par le Sénat".
La majorité a toutefois laissé quasiment intactes les dispositions qui prévoient d'attribuer au préfet en 2012 et 2013 des pouvoirs exceptionnels, afin que ce même préfet procède à l'achèvement de la carte intercommunale et à sa rationalisation. Ainsi, le représentant de l'Etat pourra-t-il faire des propositions qui s'écartent du schéma départemental de coopération intercommunale, après avoir recueilli l'avis de la commission de coopération intercommunale.

 

Le département, "garant des solidarités sociales et territoriales"

Pour faire contre-poids au pouvoir exorbitant du préfet, les sénateurs ont, il est vrai, renforcé les pouvoirs de la commission départementale de la coopération intercommunale et ont prévu que celle-ci puisse s'autosaisir dès lors que 20% de ses membres l'ont décidé.
A l'issue de cette première lecture au Sénat, le gouvernement peut se réjouir d'avoir sauvegardé l'essentiel de son projet. Certes, les métropoles ont perdu de leur poids. D'autres dispositions ont évolué. On peut penser par exemple à la "carotte" financière qui devait accompagner la création des communes nouvelles, qui a disparu dès l'examen par la commission des lois. Mais la création à partir de 2014 des conseillers territoriaux a été approuvée. Pour l'exécutif, l'essentiel est peut-être là. En siégeant à la fois au département et à la région, ce nouvel élu permettra, assure toujours le gouvernement, une meilleure coordination de l'action des deux collectivités. L'opposition dénonce tantôt l'affaiblissement du département, tantôt celui de la région, parfois des deux.
Le principe selon lequel une loi portant clarification des compétences des collectivités doit intervenir dans les douze mois suivant la promulgation de la réforme des collectivités territoriales a lui aussi été validé. Et ce, malgré une rédaction jugée imprécise, voire maladroite, par la gauche comme par la droite - qui ne l'a reconnu qu'à demi-mot.
Le projet de loi énonce quelques autres grands principes. A commencer par la spécialisation des compétences des régions et des départements. Toutefois, ceux-ci disposeront encore d'un droit d'initiative qui sera applicable chaque fois que l'intérêt local le justifie. On relèvera qu'en séance, les sénateurs ont ajouté à cet endroit du texte que "le département continuera à être identifié comme le lieu des politiques publiques de proximité et sera confirmé dans son rôle de garant des solidarités sociales et territoriales".
On notera aussi que le dispositif légal des pays est supprimé, comme le voulait le gouvernement. Les sénateurs ont eu un long débat sur cette question, au cours duquel ils ont été très divisés. Ils ont finalement juste ajouté au projet de loi une disposition qui sécurise les contrats en cours conclus par les pays.
L'adoption en première lecture du projet de loi marque le terme "d'un intense travail de concertation mené depuis plus d'un an", a souligné dans un communiqué le secrétaire d'Etat aux collectivités territoriales. Sur les 122 amendements retenus, 33 émanent de l'opposition, a précisé Alain Marleix. Mais les amendements les plus importants ont émané de la commission des lois du Sénat et plusieurs d'entre eux - notamment ceux qui concernent les métropoles et la composition des conseils communautaires - ont été préparés avec certaines des associations nationales d'élus locaux.
L'Assemblée nationale ne débutera pour sa part l'examen du texte qu'après les élections régionales des 14 et 21 mars prochains.


Thomas Beurey / Projets publics