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Le Sénat ne trouve rien de bon dans la gestion de la crise sanitaire et propose des réformes

Le rapport de 500 pages de la commission d'enquête du Sénat sur les "leçons" à tirer de l'épidémie de covid-19 est plus que sévère sur la gestion de la crise par l'Etat et met en lumière la façon dont cette crise a bousculé le système de santé. L'action des collectivités n'est en revanche pas mise en cause. Parmi les nombreuses préconisations des sénateurs : la création d'un "délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires", un "pouvoir réel de décision" pour les collectivités, une révision du rôle et du fonctionnement des ARS, la constitution de stocks de masques, le renforcement des outils de gestion des risques en établissements médicosociaux...

Après l'Assemblée nationale, le Sénat a remis à son tour son rapport le 10 décembre 2020 sur la gestion de la crise sanitaire, fait au nom de la commission d'enquête chargée de "l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion". Intitulé "Santé publique : pour un nouveau départ - Leçons de l'épidémie de covid-19", celui-ci est donc centré exclusivement sur le volet sanitaire de la crise. Il s'appuie sur un travail considérable – dont 47 auditions et 133 personnes entendues durant 102 heures –, dont témoignent les 500 pages du rapport et près de 1.100 pages de comptes rendus d'auditions. Si les propositions ouvrent des perspectives intéressantes, la partie constat du rapport laisse un peu sur sa faim.

Un réquisitoire sans nuances

Présenté par Catherine Deroche, sénatrice (LR) de Maine-et-Loire, Bernard Jomier, sénateur (PS) de Paris et Sylvie Vermeillet, sénatrice (Union centriste) du Jura – les deux premiers élus étant également médecins –, le rapport s'apparente à un réquisitoire sans nuances, dans lequel absolument rien ne trouve grâce aux yeux de la commission d'enquête. Même s'il faut tenir compte de l'effet réducteur de l'exercice, l'enchaînement des chapitres de la première partie du rapport donne une idée du ton général : A – Une mobilisation précoce mais isolée du ministère de la Santé, à l'heure de l'apparition des premiers clusters ; B – Une préparation inadaptée du système public de soins au risque épidémique ; C – Un défaut de vigilance à l'égard des plus vulnérables, qui a conduit à un lourd bilan humain ; D – Le Grand Est, avant-garde sacrifiée face au "rouleau compresseur épidémique"...

Autre exemple parmi d'autres : l'efficacité du confinement pour stopper la montée en flèche de l'épidémie est passé sous silence. Le terme apparaît dans le rapport quasi exclusivement pour mettre en avant ses effets négatifs, notamment sur les reports de soins et de prévention pour les autres pathologies, ou souligner la préparation jugée insuffisante de la phase de déconfinement.

Tout le reste du rapport est dans la même tonalité : atermoiements des pouvoirs publics dans la gestion des équipements de protection individuelle, riposte essentiellement hospitalière et stratégies de soins sans coordination, hôpital mis tardivement en ordre de bataille et confronté à ses rigidités, secteur médicosocial victime de son délaissement, stratégie fuyante sur les tests, échec du traçage à grande échelle et espoirs déçus de "StopCovid" (aujourd'hui "TousAntiCovid"), stratégie d'isolement non assumée et réduite à l'invocation, gouvernance dépassée par la crise, organisation des services déconcentrés de l'État réactive mais mal adaptée à la gestion de crise... Seules rescapées de ce désastre sans appel vu par le Sénat : la constitution d'une filière française de production de masques, qualifiée d'"initiative bienvenue, qui reste à approfondir", et "des efforts de recherche exceptionnels, mais fragilisés par un manque de coordination".  

La France, seul pays européen touché par la pandémie ?

Le rapport de la commission contient toutefois de nombreuses informations intéressantes et propose des chronologies qui remettent les événements en perspective. Il met aussi le doigt sur de vraies carences ou difficultés, notamment sur la politique de gestion des masques et des équipements de protection dans les années qui ont précédé la crise et au début de celle-ci, ou encore sur la rigidité indéniable de certaines règles ou procédures qui ont freiné les initiatives pour répondre à l'urgence de la crise. Mais le caractère systématique des critiques, au point de sembler obsessionnel, finit par ôter de la force à l'exercice.

Plus largement, le rapport met en évidence la façon dont la crise a bousculé un système de santé, jamais confronté jusqu'alors à un événement de cette ampleur et de cette durée. Le rapport admet cependant qu'"aucun pays européen d'ailleurs ne l'était vraiment". Pour autant, les deux seuls pays auditionnés par la commission d'enquête – en la personne de l'ambassadeur de France et de l'ambassadeur du pays en question en France – sont la Corée du Sud et Taïwan. La commission d'enquête ne s'est pas penchée sur les pays voisins de la France et aucun conseiller social, présent dans les ambassades de France dans ces États, n'a été interrogé. La plupart des comparaisons avec les principaux pays européens figurant dans le rapport sont donc issues des auditions, de façon pointilliste et le plus souvent sans qu'on connaisse les sources.

Quitus pour les collectivités, qui devraient être davantage associés aux décisions

Tout entier centré sur la critique de l'État central et du gouvernement, le rapport se montre relativement bienveillant à l'égard des ARS, pourtant particulièrement malmenées lors de la sortie du premier confinement, notamment par le Sénat (voir nos articles ci-dessous du 28 mai 2020). Cela, même si la gestion par les ARS est jugée toujours "trop éloignée du terrain", une critique qui vise surtout la taille de certaines régions comme celle du Grand Est, particulièrement touchée par la première vague de la pandémie.

Enfin, et sans surprise, le rapport de la commission d'enquête ne voit rien à redire dans le rôle des collectivités territoriales, qui "sont des partenaires indispensables à enfin reconnaître comme tels". Tout en reconnaissant qu'"une stratégie centralisée au niveau de l'État offre certains avantages", le rapport pointe l'"insuffisante association des collectivités aux décisions de l'État" et souligne "le besoin d'une meilleure reconnaissance des collectivités territoriales, déclinée à chaque échelon territorial pertinent". 

Gouvernance : pour un délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires

Si le bilan exhaustif – avec le volet économique – et objectif de la crise sanitaire reste encore à faire et ne le sera sans doute pas avant la fin de la pandémie, le rapport de la commission d'enquête du Sénat formule néanmoins des préconisations intéressantes. Il propose ainsi un schéma de gouvernance de la préparation aux urgences sanitaires, dont la principale novation est la création d'une fonction de délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus). A la différence de l'ancien Eprus (établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) – supprimé en tant qu'organisme spécifique lors de la création de Santé publique France et qui occupait jusqu'alors une position un peu isolée –, le Diprus serait placé auprès du Premier ministre. Sa mission consisterait à coordonner "une réflexion et une vigilance interministérielles permanentes sur l'état de préparation du pays aux crises sanitaires et d'en rendre compte tous les ans au Parlement, sous la forme d'un rapport annuel sur l'état de préparation du pays aux crises sanitaires".

Secondé par une instance nationale d'expertise scientifique, le Diprus serait également chargé de coordonner l'élaboration d'un plan de mobilisation face à un risque pandémique, comprenant un schéma de gouvernance de crise, une boîte à outils de mesures sanitaires et non sanitaires et un volet capacitaire et logistique. Ce plan national serait utilement complété par l'élaboration d'un plan pandémie au niveau européen et l'organisation, à intervalles réguliers, d'un exercice pandémie à l'échelle européenne.

Gouvernance de terrain et agences sanitaires

Les proposition sont plus floues au niveau de la gouvernance de terrain. Si le rôle central du préfet de département en situation de crise est acquis, les ARS conserveraient leurs missions actuelles, mais avec une meilleure représentation des élus en leur sein et un renforcement du rôle des délégations départementales. Pour sa part, le plan pandémie évoqué plus haut serait décliné dans chaque département, sous la responsabilité du délégué départemental de l'ARS, "y compris au sein des plans communaux de sauvegarde" (PCS).

La commission d'enquête propose également de "garantir un pouvoir de décision réel aux collectivités territoriales, en particulier au conseil régional, dans la détermination de l'offre de soins régionale", ce qui peut sembler quelque peu contradictoire avec les critiques formulées par ailleurs sur des agences régionales de santé trop éloignées du terrain. 

Dans le même esprit que sur la gouvernance, la commission d'enquête propose de clarifier la répartition des responsabilités entre le ministère de la Santé et les agences sanitaires. Parmi les mesures préconisées à ce titre, on retiendra notamment le retour à un financement intégral de Santé publique France par le budget de l'État (ce qui permettrait au Parlement d'en débattre de façon éclairée), l'élaboration par Santé publique France d'un "schéma d'organisation interne de crise susceptible d'être déployé, le cas échéant de façon graduée, dès l'identification d'un risque ou d'un rebond épidémique", ou encore le renforcement de l'autonomie du conseil d'administration de l'organisme dans la réalisation des commandes nécessaires pour atteindre les cibles fixées par la programmation pluriannuelle des stocks stratégiques (ce qui passera toutefois forcément par le budget décidé par l'État). . 

Stocks stratégiques et continuité des soins

Sur les stocks stratégiques, qui ont cruellement fait défaut au début de la pandémie, le rapport recommande la constitution de "stocks de crise" de masques chirurgicaux et FFP2, mais aussi la mise en place de moyens permettant de les contrôler efficacement et d'en suivre le niveau. Ces stocks compléteraient ceux à détenir, sous le contrôle des ARS, par les établissements de santé et médicosociaux (comme cela était prévu et aurait dû être fait lors du délaissement du stock national). De la même façon, les professionnels de santé libéraux seraient tenus de constituer des stocks de masques chirurgicaux et de contrôler leur qualité, ce point devenant alors l'un des critères de la rémunération sur objectifs de santé publique. Enfin, la commission d'enquête recommande d'encourager chaque ménage à acquérir une boîte de 50 masques chirurgicaux. De son côté, l'État renforcerait son soutien à la filière française de masques en tissu, afin d'en assure la pérennité. 

Sur la continuité des soins hors pandémie – fortement perturbée par la mobilisation des équipes, des lits et des moyens sur la lutte contre le Covid-19, sans qu'on ait encore une vision très précise des conséquences – le rapport préconise, afin d'éviter déprogrammations, de "structurer des filières de prise en charge à l'échelle régionale ou inter-régionale afin de garantir la continuité des soins notamment dans des pathologies lourdes". Par ailleurs, des plans personnalisés d'accompagnement devraient être mis en place pour les malades du cancer et ceux atteints d'autres pathologies chroniques nécessitant une continuité des traitements.

Des mesures fortes pour le secteur médicosocial

Sur le volet médicosocial, la commission d'enquête préconise de sécuriser la prise en charge des personnes vulnérables en établissement. Plusieurs mesures sont suggérées à ce titre, comme le rétablissement de la vaccination obligatoire du personnel en établissement. Une mesure qui ne sera pas simple à mettre en œuvre, sachant qu'une récente étude de la Fehap (établissements privés à but non lucratif) montre que 76% des personnels affirment ne pas vouloir se faire vacciner contre le Covid-19.

Parmi les autres recommandations, on retiendra également le renforcement des outils de gestion des risques en établissements médicosociaux, l'élargissement du plan bleu – conçu pour le risque canicule – à la préparation à toute situation sanitaire exceptionnelle, la systématisation de l'élaboration des plans de continuité de l'activité (PCA), ou encore l'intégration plus systématique des Ehpad et des autres ESMS aux exercices annuels organisés sur la gestion des risques. De même, il conviendrait d'accroître la couverture des Ehpad par des médecins coordonnateurs et de donner à ces derniers "un rôle plus affirmé de chef d'orchestre des prises en charge externes", mais aussi d'accélérer le déploiement des infirmières de nuit afin de renforcer la surveillance nocturne des résidents.

Enfin, le rapport formule plusieurs propositions pour mieux coordonner la recherche clinique, clarifier la stratégie thérapeutique et garantir l'adéquation des capacités et des priorités de la politique de dépistage aux besoins de la crise. Ceci passerait, entre autres, par la mise en capacité d'activer, en phase épidémique, des plateformes territoriales de tests associant l'ensemble des acteurs (laboratoires de biologie publics et privés, laboratoires de recherche ou vétérinaires), en mutualisant les capacités d'analyse à l'échelon régional, ou encore par la création d'une instance nationale d'expertise scientifique unique, chargée de conseiller les pouvoirs publics dans la gestion des crises et de mobiliser et coordonner les sources d'expertise existantes. 

 

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