TIC - Le Sénat amende et adopte le projet de loi pour une République numérique
Après cinq jours de débat et l'examen de près de 700 amendements déposés sur le texte issu des travaux de la commission des lois, les sénateurs ont adopté en première lecture le 3 mai le projet de loi pour une République numérique. Le texte, soutenu par tous les groupes politiques à l'exception des communistes qui se sont abstenus, a été approuvé par 322 voix contre une, avec 23 abstentions. La procédure accélérée (une lecture par chambre) ayant été retenue, les parlementaires doivent désormais trouver un accord en commission mixte paritaire. En attendant, retour sur certains choix opérés par la Chambre haute.
Gratuité de l'échange des données entre administrations : ce sera sans les collectivités
La transmission des documents administratifs (1) entre administrations votée par les députés a été globalement confirmée par les sénateurs, à quelques nuances près. Pour ne pas décourager l'innovation, en ont ainsi été exclus les codes-sources des personnes publiques ou privées "chargées d'une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence" (article 1er bis).
Si certains sénateurs ont souhaité étendre le principe de gratuité de l'échange de données entre administrations, la proposition n'a pas été retenue, une telle extension ayant été jugée par Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique, "extrêmement complexe et sans doute très coûteuse" pour les collectivités. En outre, d'après les conclusions de la mission d'Antoine Fouilleron (voir notre article du 21 décembre 2015), les administrations publiques locales ne seraient actuellement que "rarement vendeuses de données".
Ouverture des données de l'énergie
La publication par les administrations – hors collectivités de moins de 3.500 habitants - de leurs documents, des bases de données "mises à jour de façon régulière" et des données présentant un "intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental" est également maintenue (article 4). Quant à la publication des algorithmes utilisés, elle s'imposerait toujours aux administrations, à l'exception des petites structures – les députés avaient fixé le seuil de 50 agents ou salariés, les sénateurs renvoient la fixation de ce seuil à un décret ultérieur.
Sur la nature des données ouvertes par les administrations ou leurs opérateurs, les sénateurs ont ajouté les données de l'énergie (électricité, gaz) et les données foncières de l'administration fiscale (articles 12 bis et ter).
Si le Sénat a repris l'idée de la nécessité pour les administrations d'encourager l'utilisation des logiciels libres dans le cadre de leurs propres systèmes d'information (SI), c'est avec prudence puisqu'il insiste dans le même temps sur l'importance pour les administrations de "préserver la maîtrise, la pérennité et l'indépendance" de leurs SI (article 9 ter).
Un document-cadre pour orienter les stratégies de développement des usages et services numériques
Le titre III dédié à l'accès au numérique s'ouvre sur la gouvernance locale de l'aménagement numérique, l'article 35 visant à intégrer une "stratégie de développement des usages et services numériques" aux schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN). Ce nouveau volet doit "[prendre] en compte les stratégies des collectivités et leurs groupements" déjà établies en la matière, a précisé le Sénat, tout en supprimant du texte de l'Assemblée la mention à la concertation publique et la possibilité pour les conseils départementaux ou régionaux de déléguer la réalisation du SDTAN à un pôle métropolitain. Pour favoriser un développement équilibré de ces usages et services sur l'ensemble du territoire, les sénateurs proposent en outre de prévoir un document-cadre d'"orientations nationales".
Quant à la possibilité pour un syndicat mixte d'en rejoindre un autre qui comprendrait au moins une région ou un département (article 36), elle serait étendue jusqu'au 31 décembre 2021 – soit deux ans de plus que dans le texte des députés.
Couverture des zones peu denses : les opérateurs ne respectant pas leurs engagements pourront être sanctionnés
Sur l'ensemble des dispositions relatives à la couverture numérique, Axelle Lemaire a salué, dans un communiqué du 3 mai, la confirmation par les sénateurs des "mesures d’accélération et de simplification du déploiement des nouveaux réseaux, comme la création d’un droit à la fibre opposable, facilitant le raccordement au réseau THD des immeubles en copropriété, le suramortissement des investissements consacrés au déploiement des réseaux numériques, et l’éligibilité au fonds de compensation de la TVA des investissements de collectivités rurales dans les équipements de téléphonie mobile".
Le principe d'opposabilité est en outre introduit par l'article 37 FB qui place l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) en position de recueillir les engagements des opérateurs quant à la "couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communication électronique", de veiller au respect de ces engagements et de procéder si besoin à des sanctions.
Déploiement du THD : "donner un peu de temps" aux collectivités
Certains points ont toutefois été l'objet de désaccords entre la secrétaire d'Etat au numérique et les sénateurs. Contre l'avis d'Axelle Lemaire qui a insisté sur la nécessité de ne pas "déstabiliser [la] logique de contractualisation" en cours, l'article 37 FC a été ajouté pour permettre à la puissance publique de constater "l'insuffisance de l'initiative privée pour déployer un réseau à THD en fibre optique" dans une zone considérée, lorsqu'une convention entre l'opérateur, l'Etat et les collectivités n'y aurait pas été signée au 31 décembre 2016.
Autre exemple de litige : la politique de péréquation tarifaire pouvant être appliquée aux opérateurs ne déployant pas de lignes THD dans une zone considérée (article 37 E), que les sénateurs ont maintenue tout en introduisant une modulation "dans le temps" des obligations de déploiement "en fonction des coûts". "Cela aboutira à un relâchement des calendriers de déploiement", a déploré Axelle Lemaire. Du fait des contraintes techniques du raccordement, il importe de "donner un peu de temps" aux collectivités "et de ne pas les obliger à réaliser la complétude là où elle n'est pas souhaitée", a plaidé Patrick Chaize (Ain, LR), rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire.
(1) Selon l'article L300-2 du Code des relations entre le public et l'administration dans son format actuel, "constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions".