Le Sénat adopte sa loi de programmation énergie-climat

Dénonçant l’inertie des précédents gouvernements, le Sénat vient d’adopter, en première lecture, "sa" loi de programmation quinquennale fixant la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique (dite LPEC), comme le dispose le code de l’énergie. Un texte qui renforce notamment la place du nucléaire, et qui contient par ailleurs plusieurs dispositions visant à "accroître la participation des collectivités territoriales à la transition énergétique". Reste que son devenir demeure très incertain, la gauche de l’hémicycle dénonçant notamment son absence d’ambition sur les énergies renouvelables.

Le Sénat a adopté ce 16 octobre, par 220 voix pour (LR, UC, RDPI, LIOT) et 103 contre (SER, CRCE-K, Écol.), une proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, déposée en avril dernier par le sénateur Daniel Gremillet (LR, Vosges) et plusieurs de ses collègues. Ils entendent ainsi remédier à la défaillance du (des ?) précédent gouvernement, "qui n’a présenté aucun texte législatif" déterminant les objectifs et fixant les priorités d'action de la politique énergétique nationale, comme le dispose pourtant l’article L. 100-1 A du code de l’énergie. Aux termes de la loi Énergie-climat de 2019, un tel texte devait être adopté avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans. 

Un premier pas, sans garantie que la course se poursuive

Reste qu’une issue positive pour ce texte n’est nullement assurée. Lors de la discussion générale, la ministre déléguée à l’énergie, Olga Givernet, a certes assuré vouloir "aboutir à un texte sur lequel nous pouvons tous nous retrouver". Il n’est toutefois pas certain que l’Assemblée suivra les orientations retenues – en particulier la relance de la filière nucléaire –, si elle devait se saisir du texte. La piste d’une programmation adoptée par décret, voie qu’avait retenue le gouvernement Attal mais qu’il n’a finalement jamais ouverte, pourrait ainsi être explorée. La ministre a d’ailleurs indiqué qu’une concertation serait "très vite lancée" sur la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). De son côté, Yannick Jadot (Écol.) a réclamé une "vraie loi de programmation de l’énergie, ce qui veut dire des études d’impact et un avis du Conseil d’État". Il a déploré par ailleurs "l’absence d’ambition sur les énergies renouvelables", dénonçant même "un texte illégal du point de vue européen" en ce domaine. Sachant qu’en la matière, comme dans d’autres, la France n’est guère en odeur de sainteté à Bruxelles. 

L’interventionnisme de l’État renforcé

En l’état, le texte renforce en premier lieu l’intervention de l’État dans le secteur de l’énergie. Ainsi, en sus de ses anciennes missions, il devra veiller, "en cohérence avec les collectivités et leurs groupements", à garantir : aux foyers, notamment ruraux, ne disposant pas d’une solution de raccordement adaptée à un réseau de chaleur, de gaz ou d’électricité, l’accès à l’énergie sans coût excessif au regard de leurs ressources ; le maintien du principe de péréquation tarifaire ; l’existence de prix stables et abordables de l’électricité reflétant les coûts complets du système de production électrique ; le maintien des tarifs réglementés de vente d’électricité et d’un prix repère de vente de gaz naturel ; la détention par l’État de la totalité des parts du capital d’EDF et d’une partie du capital d’Engie ; la propriété publique des réseaux de distribution et de transport d’électricité ainsi que du réseau de distribution de gaz ; la sécurité d’approvisionnement en électricité et en gaz ainsi que la recherche d’exportations dans le premier secteur, et d’une diversification des importations dans le second. 

Il devra encore veiller à renforcer l’effort de recherche et d’innovation en faveur de l’énergie nucléaire et de l’hydrogène bas-carbone, les sénateurs citant plusieurs projets tels que les réacteurs électronucléaires de 3e et 4e génération, les petits réacteurs modulaires, les projets Iter et Cigéo ou encore les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) sur l’hydrogène. Il devra de même encourager les opérations d’autoconsommation individuelle ou collective.

En revanche, a été supprimée la disposition visant à ce que l’État veille à procéder à un élargissement progressif de la part carbone, assise sur le contenu en carbone fossile, dans les taxes intérieures de consommation sur les énergies.

Les objectifs pour répondre à l’urgence écologique et climatique revus

Le texte revoit également en partie les objectifs de la politique énergétique pour répondre à l’urgence écologique et climatique. En premier lieu, l’objectif n’est plus de "réduire" les émissions de gaz à effet de serre (GES) de "40%" entre 1990 et 2030, mais de "tendre vers une réduction" de ces émissions "de 50%" et ce, "en excluant les émissions et absorptions associées à l’usage des terres et à la foresterie". Est ajouté en outre l’objectif "de favoriser l’absorption des émissions de GES par les puits de gaz à effet de serre".

L’objectif de réduction de la consommation énergétique finale par rapport à 2012 est lui rehaussé de 20% à 30% en 2030 et celui de réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 40 à 45%. Sont en outre introduits de nouveaux objectifs pour le nucléaire. Ainsi, le texte fixe désormais pour objectif de "maintenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 60% à l’horizon 2030 et un mix de production d’électricité majoritairement nucléaire à l’horizon 2050". Il fixe par ailleurs pour objectif "de décarboner le mix électrique à plus de 90% ainsi que le mix énergétique à plus de 50% à l’horizon 2030". 

Sur amendement du gouvernement, l’ambition initiale en matière de nucléaire est toutefois revue à la baisse. Tel qu’adopté, le texte dispose que la politique énergétique a pour but de "tendre vers" – et non plus "de construire" – 27 gigawatts de nouvelles capacités installées de production d’électricité nucléaire d’ici 2050, sans préciser via quels outils, "afin d’éviter les paris risqués", pointe le gouvernement – le texte initial évoquait au moins 14 réacteurs européens pressurisés (EPR 2) et 15 petits réacteurs modulaires (SMR). Le texte dispose également que "la construction d’au moins 10 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées, dont 6 réacteurs électronucléaires de grande puissance, est engagée d’ici 2026", de même que "la construction supplémentaire d’au moins 13 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées, dont 8 réacteurs électronucléaires de grande puissance et un petit réacteur modulaire, est engagée d’ici 2030".

La part des énergies renouvelables est elle aussi revue, le texte fixant désormais pour objectif de "porter la part des énergies décarbonées à 58% au moins de la consommation finale brute d’énergie en 2030" – ce que prévoyait d’ailleurs le plan national intégré énergie-climat transmis par la France à la Commission européenne en juin dernier (voir notre article du 12 septembre). En 2030, les énergies renouvelables devront désormais représenter 45% (38% précédemment) de la consommation finale de chaleur et 15% (10% précédemment) du gaz injecté dans les réseaux (et non plus "de la consommation de gaz"). Leur part dans la consommation finale de carburant reste inchangée (15%), et celle dans la production d’électricité (40%) est supprimée. Le texte précise en revanche dorénavant qu’à "l’horizon 2030, la production d’électricité décarbonée doit atteindre au moins 560 térawattheures (TWh) au périmètre de la métropole continentale, dont au moins 200 TWh d’origine renouvelable et 360 TWh d’origine nucléaire, la production nationale de chaleur renouvelable et de récupération au moins 297 TWh, celle de biocarburants environ 48 TWh et celle de biogaz environ 50 TWh dont au moins 44 TWh injectés dans les réseaux".

Par ailleurs, le texte :
- revoit les objectifs des consommations totales d’hydrogène et d’hydrogène industriel à l’horizon 2030 ; sont désormais visés 33% d’hydrogène renouvelable dans la consommation d’hydrogène industriel et 77% d’hydrogène renouvelable ou bas‑carbone dans la consommation totale d’hydrogène ;
- fixe l’objectif d’atteindre des capacités de production d’au moins 6,5 gigawatts d’hydrogène décarboné produit par électrolyse d’ici 2030 et 10 gigawatts d’ici 2035 ;
- introduit un objectif chiffré de production d’énergie hydraulique, à hauteur de 29 gigawatts de capacités installées d’ici 2035, dont 6,7 gigawatts pour les stations de transfert d’énergie par pompage ;
- fait de même pour la production d’électricité d’origine photovoltaïque, avec l’objectif d’une capacité installée d’au moins 50 gigawatts d’ici 2030 ;
- ou encore pour le captage et le stockage du dioxyde de carbone, avec pour but d’atteindre un recours annuel à ces technologies d’au moins 4 mégatonnes d’ici 2030 et 15 mégatonnes d’ici 2050, "afin de stocker les émissions de dioxyde de carbone des usages pour lesquels il n’existe pas de technologie ou d’alternative permettant de réduire ces émissions ou dans des situations transitoires" ;

Il fixe encore pour objectifs "d’explorer le potentiel de production d’électricité issue d’installations utilisant l’énergie cinétique des courants marins ou fluviaux", de "poursuivre le développement des capacités de production d’électricité à partir d’installations terrestres utilisant l’énergie mécanique du vent, en favorisant à la fois le développement de nouvelles installations ainsi que le renouvellement des installations existantes" et de "veiller à la préservation de la ressource en eau". En revanche, l’objectif de favoriser le pilotage de la production électrique (au moins 6,5 gigawatts de capacités installées d’effacements en 2026) est supprimé.

Côté rénovation thermique du parc immobilier, le texte introduit l’objectif de "tendre", d’ici 2030, "vers 900.000 rénovations d’ampleur par an, dont 200.000 rénovations globales, soutenues" par MaPrimeRénov’. Il vise par ailleurs des niveaux annuels d’économies d’énergie compris entre 1.250 et 2.500 TWh cumulés actualisés de 2026 à 2030 et de 2031 à 2035, soutenues par les certificats d’économie d’énergie. 

Accroître la participation des collectivités territoriales à la transition énergétique

Outre cette actualisation de la programmation énergétique nationale, le texte entend par ailleurs "poursuivre une simplification idoine des normes applicables aux projets d’énergie et d’hydrogène, nucléaires comme renouvelables", intitulé de son titre II. Dans ce dernier, un chapitre vise notamment à "accroître la participation des collectivités territoriales à la transition énergétique".

Le texte facilite ainsi leurs investissements dans les sociétés de production d’énergies renouvelables : d’une part, en élargissant le cadre prévu pour l’électricité et le gaz renouvelables aux projets d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone ; d’autre part, en permettant aux communes et à leurs groupements de participer conjointement au capital d’une même société.

Il ouvre en outre la possibilité d’étendre la contribution au partage territorial de la valeur, créée par la loi Aper de 2023, aux projets de parcs éoliens en mer (sont éligibles les communes ou l’EPCI d’où les installations sont visibles) ainsi qu’aux projets d'hydrogène renouvelable ou bas-carbone soutenus par appels d'offres.

Par ailleurs, il permet à une collectivité de déléguer à l'autorité organisatrice d'un réseau public de distribution d'électricité la réalisation des actions prévues aux articles L.2224-32 et L.2224-34 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

Parmi les autres dispositions adoptées, relevons que le texte:
- applique le "bilan carbone" aux projets de projets de production d’hydroélectricité dont la puissance installée est supérieure à 150 kWh et qui bénéficient d’une obligation d’achat, et simplifie, s’agissant des concessions hydroélectriques, la délivrance d’autorisation d’augmentation de puissance et de dérogation aux débits réservés ;
- instaure, "pour remédier au contentieux européen pesant sur les concessions hydroélectriques", une expérimentation autorisant leur passage du régime des concessions vers celui des autorisations, par accord entre l'État et le concessionnaire, et en laissant inchangés la fiscalité locale et le dialogue environnemental applicables à ces concessions ;
- étend l’exemption dont bénéficie le solaire photovoltaïque en matière d’artificialisation des sols à l’énergie solaire thermique ;
- transpose les dispositions de la directive RED III relatives à la durée maximale d’instruction des projets d’énergie renouvelable (et de leur rééquipement).

 

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