Le Sénat adopte la proposition de loi pour lutter contre les fraudes aux aides publiques

Une commission mixte paritaire doit se réunir début mai pour tenter d'établir un texte de compromis sur la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, que le Sénat vient d’adopter à son tour, avec modifications, ce 2 avril. Plusieurs mesures ont été prises dans le champ de la rénovation énergétique, particulièrement au sujet des montages frauduleux, pour accroître les contrôles, obliger à la transparence concernant les prestations des sous-traitants ou renforcer l'interdiction du démarchage abusif.

La proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques a été adoptée, avec modifications, au Sénat ce 2 avril. L’Assemblée nationale avait voté à l’unanimité ce texte porté par le député EPR Thomas Cazenave, ancien ministre des Comptes publics, le 27 janvier. Une commission mixte paritaire (CMP) devrait se réunir début mai pour tenter d'établir un texte de compromis selon la procédure accélérée. Ces derniers mois ont été révélés de nouveaux schémas de fraude organisée mis en place par des réseaux structurés pour détourner des aides publiques, notamment dans les domaines de la rénovation énergétique ou du soutien à l’emploi. Concernant "MaPrimeRénov"’, Tracfin a ainsi traité pour 400 millions d’euros d’alertes en 2023. C’est aussi le cas des certificats d’économies d’énergie (CEE) compte tenu des schémas particulièrement "fraudogènes" qui accompagnent leur fonctionnement. 

Parmi les mesures proposées, plusieurs visent à fluidifier les échanges d’informations entre services engagés dans la lutte contre la fraude aux aides publiques et à renforcer les moyens d’enquête de Tracfin et de l’inspection générale des finances, grâce à l'extension de leur droit de communication. Il en va ainsi de l'article 2, qui prévoit notamment une clause générale permettant à l'ensemble des administrations d'échanger librement des informations en cas de suspicion de fraude, et plus spécifiquement aux agents préfectoraux de recevoir des informations des organismes de protection sociale, en matière de fraude à l’identité et documentaire.

Le Sénat a souhaité conforter le pouvoir de suspension des administrations du versement des aides publiques introduit par le texte en cas de suspicion de fraudes en rendant renouvelable le délai de suspension de trois mois (art. 1er). Il a adopté conforme l'article 1er bis qui relève, quant à lui, les taux de pénalités applicables aux sommes à restituer par les fraudeurs (de 80 à 100%). Un article 1er ter (introduit en séance) prévoit l’exclusion des indus de RSA obtenus de manière frauduleuse de toute remise, rééchelonnement ou effacement. Deux autres articles additionnels (ajoutés par amendements du gouvernement) musclent les contrôles dans les domaines sociaux, dont la formation professionnelle. L’un d’eux (art.10) ouvre à différentes administrations la possibilité de saisine de la Caisse des Dépôts pour la suspension conservatoire des paiements au titre du compte personnel formation (CPF)

Le Sénat (art.3) a par ailleurs étendu au-delà des seuls artisans, à toutes les entreprises tenues de s’immatriculer, sauf les agriculteurs, la sanction (de 7.500 euros) pour défaut d’immatriculation au registre national des entreprises (RNE), autre disposition du texte.

On notera également la reprise de la proposition de loi du Sénateur Pierre-Jean Verzelen, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 14 novembre 2024, visant à interdire le démarchage téléphonique sans consentement du consommateur, dans tous les secteurs, (et ce à partir du 1er janvier 2026) mais aussi, pour la rénovation énergétique et l’adaptation des logements au vieillissement ou au handicap, le démarchage  électronique (SMS, courriels et réseaux sociaux). 

Fraudes à la rénovation énergétique 

Pour protéger le consommateur face aux comportements frauduleux d'entreprises, le texte (art.3) renforce l'information contractuelle du consommateur concernant la sous-traitance et la détention de labels conditionnant l'accès à des aides publiques, comme le label Reconnu garant de l'environnement (RGE), qui est indispensable pour bénéficier de MaPrimeRénov'. Un dispositif de suspension à titre conservatoire du label RGE ou de l'agrément "Mon Accompagnateur Rénov" aux mains de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est prévu pour une durée de six mois renouvelable une fois. Le Sénat y a ajouté un délai de carence interdisant à l’entreprise frauduleuse dont le label a été retiré par l'organisme de qualification de recandidater à un label ou signe de qualité pour une durée allant jusqu'à cinq ans. De manière plus générale, il a renforcé les pouvoirs d'enquête de la DGCCRF, ainsi que les suites à donner à ses contrôles, notamment en matière de publicité des sanctions.  Afin de mieux prévenir et lutter contre les usurpations des numéros de certifications des diagnostiqueurs, le Sénat a également renforcé l’articulation entre l’annuaire des diagnostiqueurs et l’observatoire DPE-Audits. Il a par ailleurs accru les échanges d’informations entre la DGCCRF, l’Ademe, l’Anah et les organismes de qualification ainsi que le ministère de la Justice. Et ajouté au volet prévention, la possibilité pour la DGCCRF d’enjoindre les professionnels à suivre une formation relative au droit de la consommation pour les manquements les moins graves. 

Encadrement de la sous-traitance

Les articles 3 ter et 3 quater, qui prévoient des mesures d'encadrement de la sous-traitance sur le marché des travaux de rénovation ont suscité beaucoup de débats. À compter du 1er janvier 2026, pour pouvoir bénéficier de certaines aides à la rénovation énergétique telles que "MaPrimeRénov’" ou l’éco-prêt à taux zéro dit "éco-PTZ" et des certificats d’économies d’énergie, le recours à la sous-traitance devra être limité à deux rangs pour les travaux dans un logement individuel, et trois rangs pour les travaux d’ampleur en logement collectif. L'article 3 quater, vise, quant à lui, à étendre cette limitation aux travaux ouvrant droit à MaPrimeAdapt’. "Certes, le vote du Sénat contribue à limiter la sous-traitance à deux rangs pour les travaux réalisés en maison individuelle. Mais il permet d’atteindre jusqu’à trois rangs de sous-traitance pour ceux réalisés dans les logements collectifs [suite à un amendement du gouvernement], laissant perdurer des mécanismes de sous-traitance en cascade néfastes pour une juste répartition de la valeur avec les entreprises qui effectueront in fine les travaux", a réagi la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). La filière déplore surtout "la possibilité ouverte aux sociétés commerciales d'obtenir un label leur permettant de faire réaliser ces travaux alors qu’elles n’ont aucune compétence en la matière et que, parallèlement, la qualification RGE est rigoureusement exigée des entreprises du bâtiment qui les effectuent". 

Le même article 3 ter, prévoit une obligation de qualification RGE pour les entreprises facturantes, de façon à limiter l'émergence sur le marché de la rénovation énergétique de sociétés opportunistes, qui sous-traitent des marchés à des entreprises RGE tout en ne disposant elles-mêmes d'aucune qualification. Le Sénat a toutefois décalé la date d'entrée en vigueur de cette disposition au 1er janvier 2027 afin de laisser au gouvernement le temps de définir des critères de certification ad hoc par voie réglementaire. 

Fraude aux CEE

Dans le même sens, l’article 4 permet de renforcer la lutte contre la fraude aux CEE. En particulier, il permet : de conditionner l’inscription au registre national à l’accord du ministre chargé de l’énergie ; de suspendre l’instruction d’un dossier de demande de CEE en cas de suspicion de fraude ; de sanctionner un demandeur de CEE dès le dépôt du dossier et avant la délivrance des certificats. "La fraude aux CEE atteindrait 280 millions d'euros en 2023 : 100 millions d'euros en amont et 80 millions d'euros en aval, auxquels s'ajouteraient 100 millions d'euros de cas non détectés. Quant aux sanctions, vingt sont publiées chaque année au Journal officiel ; elles ont conduit à des annulations, pour 20 millions d'euros, et à des amendes, pour 9 millions d'euros. On mesure tout le chemin qu'il reste à parcourir pour passer du contrôle à la sanction !", a relevé le rapporteur, Olivier Rietmann (LR). Le Sénat s’est donc employé à consolider davantage les contrôles et les sanctions appliqués aux CEE, le cas échéant via des contrôles visuels à distance (CVAD) - article 5. À cet égard, le délai de conservation des photos et des vidéos dans le cadre du contrôle par horodatage et géolocalisation en matière de CEE est désormais fixé à six ans, contre cinq ans initialement.

Les CEE pourront être pondérés en fonction, non seulement du reste à charge minimal, mais aussi du temps de retour sur investissement. De plus, le texte ajusté au Sénat renforce les sanctions prévues, en faisant référence au volume de l'opération plutôt qu'au volume du manquement, dans l'ensemble des sanctions recherchées et en appliquant ces sanctions aux nouvelles obligations d'attestation et de vérification. Autre point, il permet que les personnes éligibles, dont les collectivités territoriales et leurs groupements, puissent continuer à accéder au registre national des CEE, comme les personnes obligées, notamment les fournisseurs d’énergie. Enfin, il prévoit qu'un décret définisse la fonction de mandataire aux côtés de celle de délégataire, et la notion d'incomplétude pouvant donner lieu à des sanctions. 

Le Sénat a également introduit un article 6 visant à faciliter l'échange d'informations entre la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et la DGCCRF, à la demande de ces organismes. Et ajouté un article 8 tendant à faciliter le contrôle à distance des fraudes aux compteurs communicants par Enedis et GRDF.

 

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