Compétitivité - Le secteur non-lucratif privé du crédit d'impôt
"C'est un coup bas contre l'économie sociale et solidaire." C'est ainsi que Jean-Marc Borello, le président du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) a accueilli la décision des députés de ne pas offrir aux organismes non lucratifs les mêmes avantages que ceux offerts aux sociétés lucratives à travers le nouveau crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice). Le député de la Meurthe-et-Moselle Christian Eckert (PS) proposait dans un amendement d'instaurer un crédit de taxe sur les salaires fixé à 6% pour les associations et autres organismes non lucratifs qui, ne relevant pas de l'impôt sur les sociétés, ne sont pas éligibles au Cice. Ce qui revenait à accorder "au secteur non-lucratif un avantage identique - ni plus, ni moins - à celui offert aux entreprises redevables de l'impôt sur les sociétés", précise le Mouves, qui rappelle que les entreprises sociales sont en concurrence directe avec les entreprises privés dans des secteurs aussi variés que "la santé (les hôpitaux), la dépendance (les maisons de retraite), la petite enfance (les crèches) ou encore la croissance verte (recyclage)".
Mais ce mécanisme a été retiré au profit d'un amendement du gouvernement au projet de loi de finances rectificative 2012 qui prévoit de tripler l'abattement de taxe sur les salaires mais en le plafonnant à 20.000 euros, pour se limiter aux plus petites structures. La raison est d'ordre budgétaire : le dispositif proposé par le député est estimé entre un et trois milliards d'euros, celui du gouvernement à 314 millions d'euros ! Selon le gouvernement, cette mesure permettra quand même d'alléger la taxe sur les salaires pour environ 40.000 employeurs associatifs et d'en exonérer totalement 20.000. "Pour une association de moins de 8 salariés (80% des associations ont moins de 9 salariés), cela représente un allègement de la masse salariale de 12%, soit le double du taux du crédit d'impôt compétitivité et emploi", justifie le gouvernement.
Mais l'Union de syndicats et de groupements d'employeurs représentatifs dans l'économie sociale (Usgeres) rappelle que le secteur comprend 170.000 structures et qu'un faible nombre sera concerné. "C'est une plaisanterie !", s'insurge pour sa part Jean-Marc Borello. Ce dernier estime que le bienfait financier sera "bien en deçà des effets du crédit d'impôt pour les sociétés à but lucratif" dont le taux sera fixé à 4% de la masse salariale brute pour les rémunérations inférieures ou égales à 2,5 Smic, en 2013, puis à 6% en 2014. "C'est un gadget ! Si le gouvernement veut compter sur le secteur de l'économie sociale et solidaire pour créer des emplois, il faut que le secteur puisse compter sur le gouvernement", affirme-t-il. Les acteurs de l'ESS espèrent que les sénateurs batailleront dans leur sens quand ils auront le texte entre les mains.
"Pourquoi les coopératives ne bénéficient-elles pas du Cice ?"
Les coopératives sont, elles, plus chanceuses. Elles vont en effet pouvoir bénéficier du Cice grâce à un amendement de Jean-Louis Dumont, député socialiste de la Meuse, adopté contre l'avis du gouvernement. "Pourquoi les coopératives, qui comptent des millions de salariés, ne bénéficient-elles pas du Cice alors qu'elles sont dans un champ concurrentiel et peuvent être astreintes à l'impôt sur les sociétés ? Si elles ne paient pas sur certaines activités l'impôt sur les sociétés, c'est parce que leur objet est de rendre des services économiques à leurs adhérents", a insisté Jean-Louis Dumont, lors des discussions du 4 décembre. Un point de vue partagé dans l'opposition. Pour Marc Le Fur, député UMP des Côtes d'Armor, sans cette mesure aurait été créée "dans l'agroalimentaire une distorsion de concurrence entre le privé pur et les coopératives, que personne (n'aurait) compris".
Le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, a pour sa part justifé le choix du gouvernement de ne pas faire bénéficier les collectivités, les hôpitaux et les administrations du crédit d'impôt. "Accorder un crédit d'impôt à des organismes financés par la dépense publique ne serait pas très logique. L'Etat s'accorderait, en quelques sorte, un crédit d'impôt à lui-même", a-t-il expliqué.
Emilie Zapalski
Le Cice : une usine à gaz pour les PME ?
D'après le cabinet de conseil en management Lowendalmasaï, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) qui a été voté le 4 décembre 2012 par l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances rectificative 2012 risque d'avoir des effets pervers notamment pour les PME. Premier problème : les contreparties qui ne seront décidées qu'au cours de l'année 2013, alors que les principes du calcul seront publiés avant la fin 2012. Des incertitudes qui risquent de décourager les entreprises. L'absence de dégressivité du taux risque aussi d'engendrer un effet de seuil brutal, alerte le cabinet dans son communiqué du 4 décembre. "On risque d'assister à un gel des salaires juste avant le seuil des 2,5 Smic. Face à cet écueil, on peut penser qu'une certaine dégressivité sera finalement introduite dans le dispositif pour corriger cet effet pervers." Par ailleurs, le Cice va donner lieu à des calculs complexes, et par conséquence, "le dispositif risque surtout de ne bénéficier qu'aux entreprises de taille suffisante pour bénéficier des ressources internes nécessaires pour sa mise en œuvre", précise Lowendalmasaï. Le gouvernement estime pour sa part que ce crédit de 20 milliards d'euros pourrait donner lieu à la création de 300.000 à 400.000 emplois et à un soutien de la croissance à hauteur de 0,5 point à l'horizon 2017.
E.Z.