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Culture - Le rapporteur général de la commission des finances remet en cause les crédits d'impôt pour les tournages

Le 18 juillet, Joël Giraud, député (LaREM) des Hautes-Alpes et rapporteur général de la commission des finances, et Cendra Motin, députée (LaREM) de l'Isère, ont remis leur rapport - fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire - sur l'application des mesures fiscales. Appelé plus traditionnellement le Ralf (rapport d'application de la loi fiscale), ce document annuel, qui prépare l'examen de la future loi de finances pour 2019, passe en revue un grand nombre de dispositifs à caractère fiscal. Et parmi ses 425 pages, le Ralf consacre un chapitre très fouillé aux "crédits d'impôt cinéma et audiovisuel national et international".

Un crédit d'impôt aux effets très appréciés des collectivités

Difficile de ne pas voir que le rapporteur général du budget, comme certains de ces prédécesseurs (voir nos articles ci-dessous), témoigne d'une grande perplexité face à ces trois dispositifs sans équivalent dans d'autres secteurs. Il s'agit en l'occurrence des crédits d'impôt "cinéma" (impôt sur les sociétés) national et international et du crédit d'impôt "audiovisuel". Ces dispositifs doivent notamment contribuer à la localisation ou relocatisation des tournages en France. A ce titre, il sont très appréciés par les collectivités, compte tenu des retombées de ces tournages en termes de dépenses locales, mais aussi en termes d'image et de retombées touristiques (voir nos articles ci-dessous du 16 février et 24 janvier 2018).
Le Ralf relève que, depuis 2004 (date de mise en place de la première mesure), ces trois dispositifs ont fait l'objet de pas moins de quinze amendements, allant tous dans le sens d'une augmentation, d'un élargissement ou d'une facilitation du crédit d'impôt. De plus, près de 90% des mesures adoptées en la matière l'ont été par voie d'amendements et donc sans évaluation budgétaire (même si certains amendements émanaient du gouvernement et ont donc dû être expertisés par Bercy). En outre, cinq dispositions ont été adoptées avec un avis défavorable de la commission des finances. Une situation qui conduit les rapporteurs à évoquer "une instabilité législative et un manque de vision d'ensemble".

Une dépense fiscale en hausse de 148% en six ans

Pourtant, ces trois mesures représentent, en 2018, une dépense fiscale de 293 millions d'euros contre 118 millions en 2012, soit une progression de 148% en six ans, qui s'explique essentiellement par les améliorations successives du crédit d'impôt. La progression a été particulièrement forte entre 2016 et 2018 (+107%), sous l'effet de mesures votées par le précédent Parlement.
Le coût élevé et en très forte croissance de ces trois dispositifs doit toutefois être apprécié au regard de leur impact en termes économique et culturel. Sur ce point, le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales avait déjà attribué, en juin 2011, une note de 2 sur 3 au crédit d'impôt national cinéma (alors d'un coût de 45 millions d'euros au lieu de 121 aujourd'hui) et la même note au crédit d'impôt audiovisuel (50 millions au lieu de 126). Le comité jugeait notamment positives les retombées de ces dispositifs en termes de localisation de la production, de dépenses sur place et d'emploi (tout en indiquant que "le lien direct entre ce crédit d'impôt et la création d'emplois ne peut toutefois pas être démontré").
En 2014, la Cour des comptes s'est montrée nettement moins convaincue, évoquant, pour le cinéma, un modèle "original" mais "sous tension" et, pour le crédit d'impôt audiovisuel, des performances "sans rapport avec les montants investis".

Toujours plus au nom de la concurrence ?

Dans leur rapport, Joël Giraud et Cendra Motin se montrent tout aussi circonspects. Si l'impact est indéniable sur la vitalité de la production française et sur la localisation des tournages, les rapporteurs mettent en cause l'argument récurrent utilisé pour justifier les augmentations répétées des crédits d'impôt : la concurrence internationale féroce entre pays européens et hors UE pour accueillir les tournages, qui obligerait à s'aligner en permanence sur le mieux-disant.
En s'en tenant à cette logique, il conviendrait d'ailleurs d'augmenter encore le crédit d'impôt, puisqu'un tableau émanant du CNC et publié dans le rapport montre qu'au moins treize pays proposent des dispositif fiscaux plus généreux encore que ceux de la France (Royaume-Uni, Belgique, Italie, Québec, Ontario, Chine, plusieurs Etats américains...).
Mais ce serait oublier qu'en France, le dispositif fiscal en faveur du cinéma et de l'audiovisuel ne représente qu'une toute petite partie des importants soutiens publics à ce secteur, exception culturelle française oblige. En 2016, les 152 millions d'euros d'aides fiscales ne représentaient ainsi que 6% des 2,5 milliards d'aides publiques au cinéma (soutien du CNC, aides régionales, investissements des chaînes de télévisions, montants garantis par l'IFCIC - Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles -...).

Un frein à une nouvelle tentation d'élargir le crédit d'impôt ?

Conclusion : "Si le rapporteur général peut, dans une certaine mesure, comprendre la logique de comparaison entre les crédits d'impôts existant dans ce domaine, il appelle à prendre également en compte les autres dispositifs d'aide publics existants en France dans cette comparaison. En effet, [...] les crédits d'impôts ne constituent en France qu'une petite partie des aides en faveur du cinéma et de l'audiovisuel. De ce fait, la course à l'alignement des trois crédits d'impôts français avec le mieux-disant ne saurait constituer, à l'avenir, la matrice de notre politique dans ce domaine, comme cela a trop souvent été le cas dans les cinq dernières années.
Si une remise en cause des aides fiscales au cinéma et à l'audiovisuelle paraît exclue face aux réactions prévisibles d'un secteur qui sait mobiliser l'opinion et les médias, le Ralf 2018 devrait en revanche dissuader les parlementaires de donner un nouveau coup de pouce au crédit d'impôt.

Crédit d'impôt en faveur du spectacle vivant : pas mieux...
Le Ralf se penche également sur un dispositif fiscal sensiblement moins connu : le crédit d'impôt en faveur du spectacle vivant. Plus récent - car issu d'un amendement parlementaire au projet de loi de finances pour 2016, adopté malgré un avis défavorable du gouvernement de l'époque -, il est aussi nettement moins coûteux. La dépense fiscale correspondante est en effet évaluée à 2 millions d'euros en 2017 et à 6 millions d'euros en 2018.
Si le coût est modeste, le problème est qu'il n'existe pas d'étude sur son impact réel en faveur du spectacle vivant. Le rapport pointe également "un suivi très lacunaire de cette dépense par l'administration". Seul est connu le nombre d'entreprises de spectacle vivant bénéficiaires du dispositif, soit 146 structures, dont 80 TPE et 65 PME). Malgré ses demandes, le rapporteur général "n'a cependant pas été en mesure d'obtenir d'autres éléments d'appréciation du crédit d'impôt : taux de sélectivité des demandes déposées, ventilation du crédit d'impôt par catégorie de dépense imputable, liste des dix principaux spectacles vivants ayant bénéficié du dispositif". Le rapport concède que cette opacité peut être liée au caractère récent du dispositif, mais il "appelle toutefois l'administration à mettre en place rapidement des outils de suivi efficients". Le crédit d'impôt en faveur du spectacle vivant a donc de fortes chances de revenir dans le prochain Ralf.

Références : Assemblée nationale, rapport d'information fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur l'application des mesures fiscales (enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 18 juillet 2018).

 

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