Infrastructures - Le plan fibre optique français à la recherche de financements publics
En France, seuls 25.000 foyers sont équipés de la fibre, contre 1,5 million en Europe. Quelle politique faut-il engager pour développer le déploiement de la fibre optique ? Comment éviter une France à deux vitesses en matière d'accès aux TIC, alors qu'un Français sur quatre habite en zone rurale ? Autant de questions soulevées lors du séminaire "Numérique : investir aujourd'hui pour la croissance de demain" organisé par la secrétaire d'Etat aux Nouvelles Technologies, Nathalie Kosciusko-Morizet, le 10 septembre. Un fonds d'aménagement numérique a été proposé lors de l'examen au Sénat, en juillet, de la proposition de loi relative à la fracture numérique pour la couverture du territoire en très haut débit (dite "Pintat"). Michel Mercier, ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire, souhaite qu'un tel fonds fasse partie des priorités de l'emprunt national. Combattre la France à deux vitesses et le risque de la fracture numérique du très haut débit (THD) est bien au cœur des préoccupations de l'Association des maires de France. Son président, Jacques Pellisard, juge indispensable l'égalité de traitement de tous les territoires en matière d'infrastructures "alors que 10% de la population n'ont encore accès qu'à des débits inférieurs à 2 Mbits/s". Selon lui, les réseaux jouent un rôle central pour garantir l'égalité des citoyens face aux services publics avec par exemple, le développement de points visiopublic, comme en Auvergne, la mutualisation des systèmes d'information géographique, en référence à la Vendée, l'équipement de l'ensemble des écoles rurales en numérique (Plan ENR) ou encore le déploiement de maisons médicales permettant le télédiagnostic ou la transmission d'images, à l'instar de ce qui se fait dans le Jura. "Il faut des moyens financiers pour qu'il y ait équité et efficacité de couverture de l'ensemble des territoires", insiste-t-il en interpellant l'Etat. "Ce saut quantique du THD", est chiffré entre 25 et 40 milliards d'euros par le directeur général de la Fédération française des télécommunications.
Vers un opérateur mutualisé unique ?
"Nous avons bien compris jusqu'où les opérateurs sont prêts à aller seuls et ensuite les zones où il faudra les aider à aller", synthétise Michel Mercier, soucieux de "ne pas simplement de couvrir sept hypercentres". Les conditions de déploiements des réseaux sont désormais identifiées. La zone I concerne 5 millions de foyers répartis sur environ 150 communes appartenant à 25 agglomérations. Après consultation publique, "le top départ sera donné, début 2010, au cycle d'investissement dans la fibre optique jusqu'aux logements ; la plupart des opérateurs s'y préparent déjà activement", selon Jean-Ludovic Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Dans une seconde partie du territoire, qualifiée de zone "semi-dense", l'économie des réseaux permet un déploiement de la fibre sur fonds privés, mais à condition de mutualiser une partie importante des infrastructures. Le président de l'Arcep estime qu'"une intervention publique aux côtés des opérateurs privés peut accélérer les déploiements, par effet de levier". C'est déjà le cas notamment dans le département de la Manche : 26.000 prises sont en cours de déploiement sur le territoire de la communauté urbaine de Cherbourg et celui de la communauté de communes de l'agglomération de Saint-Lô dans le cadre d'une délégation de service public. Dans ces zones "trop riches pour être aidées et trop pauvres pour investir seules, faut-il désormais courir le risque d'un opérateur unique mutualisé ?", s'interroge Augustin de Romanet directeur général de la Caisse des Dépôts. Nathalie Kosciusko-Morizet a missionné, depuis mai dernier, les services de la Caisse des Dépôts pour mobiliser 750 millions de fonds propres en vue d'accélérer le déploiement de la fibre dans les zones peu peuplées.
A la pêche aux subventions
Enfin, la zone peu dense du territoire (zone III) présente une rentabilité trop faible pour permettre un déploiement par les seuls opérateurs privés. Une intervention publique sous forme de subventions devient dans ce cas nécessaire, par exemple au travers des réseaux des RIP qui ont été mis en œuvre avec succès en matière de haut débit, selon différentes modalités possibles (DSP, PPP, etc.). Ces initiatives des collectivités pourront aussi être complétées par une subvention nationale dans le cadre de la proposition de loi Pintat qui prévoit un fonds d'aménagement numérique du territoire ou dans le cadre de l'emprunt d'Etat. "Nous n'échapperons pas à un financement de l'Etat pour environs 10 millions de foyers. Mais cela ne nous empêche pas d'être malin en mobilisant tous les moyens possibles : droit d'accès à la tranchée, schéma de cohérence territorial, co-investissement, mutualisation…", estime Bruno Retailleau, sénateur de Vendée. Intervenant à ce séminaire, le Premier ministre, François Fillon, a indiqué que "l'économie numérique, l'équipement de la France en réseau haut débit [était] évidemment une des très grandes priorités nationales sur laquelle nous voulons faire porter les efforts d'investissements de ces prochaines années". De son côté, Michel Rocard a rappelé que le numérique avait quelques concurrents sérieux au sein de la Commission sur l'emprunt national : la croissance verte et les universités notamment. "Si le déploiement de la fibre est un chantier de longue haleine, qui débutera par les zones les plus denses, il est essentiel de lancer dès à présent les travaux préliminaires pour préciser les conditions du déploiement sur l'ensemble du territoire. Nos concitoyens peuvent comprendre que tout le monde n'ait pas accès au très haut débit immédiatement et en même temps, en revanche, ils ne sont pas prêts à admettre un étalement excessif dans le temps", prévient Jean-Ludovic Silicani. Ces questions sur les hauts et très hauts débits seront à nouveau d'actualité à l'occasion du salon Odébit, les 22 et 23 septembre prochains.
Luc Derriano / EVS
Les plans de déploiement de fibre optique en Europe
Les précisions d'Yves Gassot, directeur général de l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate), sur le développement mondial de la fibre optique et les plans gouvernementaux qui tentent de le faciliter : bien loin derrière les marchés asiatique (Japon et Corée du Sud) et nord-américain, le marché d'Europe de l'Ouest semble en pleine accélération. A fin 2008, il pesait 5% du marché FTTH/B mondial avec plus de 1,5 million d'abonnés, à rapporter au million d'abonnés de fin 2007 (une croissance de +60% en un an). Cependant, le marché est caractérisé par de fortes disparités puisque six pays totalisent à eux seuls 81% de la base d'abonnés de la zone : Suède, Italie, Norvège, France, Danemark et Pays-Bas. Aux Etats-Unis, le plan de déploiement du président Obama (7,2 milliards de dollars) serait en fait essentiellement consacré au rattrapage du haut débit, ce qui a déjà été fait notamment sous l'impulsion de France Télécom en France (grâce à la pression des élus locaux). Plusieurs pays annoncent désormais leurs ambitions en matière de fibre optique à domicile ou en bas des immeubles. Outre le plan australien "100 Mbits/s pour tous" doté de 20 milliards d'euros, en Europe, se mobilisent la Grèce (2 milliards d'euros), l'Allemagne (couverture de 74% de la population en 2014), le Royaume-Uni (90% de la population en 2016, fixé comme objectif dans un récent rapport), la Finlande (100 Mbits pour tous en 2015) ou encore l'Italie. En 2008, le taux d'accès au haut débit était de 93% des foyers en Europe. Les débits inférieurs à 2 mégabits comptent pour 10% de ce chiffre (contre 10% pour les débits dépassant les 8 mégabits).