Le plan de sauvetage de l’automobile présenté par Bruxelles peine à convaincre
La Commission a présenté ce 5 mars son "plan d’action industriel pour le secteur automobile européen", qui peine à convaincre. Le Comité européen des régions, par ailleurs divisé, déplore qu’il ne reconnaisse pas suffisamment le rôle de ces dernières dans la transition vers le "zéro émission". Les associations environnementales y voient une "concession majeure" accordée aux industriels, quand ces derniers jugent que cette bouffée d’oxygène restera insuffisante si la demande n’est pas au rendez-vous. Une demande que les collectivités, parmi d’autres, sont invitées à stimuler. Des mesures pour les aider à continuer de verdir leurs bus sont aussi à l’étude.

© European Union, 2025/ Apostolos Tzitzikostas
7% du PIB de l’UE et environ 13,8 millions d’emplois directs et indirects. Tel est le poids du secteur de l’automobile dans l’Union, mis en exergue par le commissaire Apostolos Tzitzikostas en présentant, ce 5 mars, le très attendu plan d’action de la Commission pour sauver ce secteur "qui fait partie de notre histoire et est une source de fierté", mais qui est aujourd’hui "menacé". "Risques sur la chaîne d'approvisionnement, coûts énergétiques, pénuries de personnel, protectionnisme et dépendance excessive à l'égard des composants importés exercent une immense pression sur l'industrie", diagnostique le commissaire, qui se garde bien d’y ajouter le poids de la réglementation, pourtant régulièrement dénoncé (voir notre article du 27 janvier).
Cinq piliers
"Cinq domaines doivent changer la donne", enseigne le commissaire. Ils constituent autant de "piliers" de ce plan.
L’innovation et la digitalisation. L’Union affiche l’objectif de devenir le leader sur le marché des "véhicules alimentés par l'IA, connectés et automatisés". Pour ce faire, "la législation doit suivre", estime Apostolos Tzitzikostas. La Commission entend notamment "harmoniser progressivement la législation de l'UE, afin que, dès 2025, toutes les voitures [neuves] disposent de systèmes de stationnement automatisés". Une "alliance européenne des véhicules connectés et autonomes" – une de plus, après celles relatives à l’hydrogène propre, aux batteries, aux "plastiques circulaires" ou aux semi-conducteurs –, va également être créée. Elle "réunira les acteurs européens du secteur afin de façonner le développement de véhicules de nouvelle génération et de contribuer au développement des logiciels et du matériel numérique partagés nécessaires".
Les mobilités propres. Ursula von der Leyen l’avait dévoilé la veille, une proposition sera déposée courant mars afin de revoir les modalités de calcul du respect du règlement Cafe sur la part des véhicules 0 émission dans les ventes des constructeurs, afin d’apprécier les performances de ces derniers sur trois exercices cumulés (2025 à 2027) : "Si une entreprise est sous-performante en 2025, elle a deux années de plus pour compenser, en surperformant", décrypte le commissaire. Par ailleurs, "l'examen de la législation sur les normes d'émissions de CO2 aura lieu aux troisième et quatrième trimestres de 2025 au lieu de 2026". Pour stimuler la demande, défaillante, l’UE va "légiférer sur les flottes d'entreprise, qui représentent actuellement environ 60 % des immatriculations de voitures dans l'UE", afin de les contraindre davantage à passer à l’électrique – et stimuler par ricochet le marché de l’occasion.
Dans une communication dédiée à la décarbonation de ces flottes, la Commission observe que pour "les taxis, les services d'autopartage et de covoiturage", "le choix de passer ou non à des véhicules 0 émission dépend fortement des conditions fixées directement ou indirectement par les autorités locales. En particulier, l'accès à des infrastructures de recharge répondant aux besoins opérationnels de la flotte de mobilité urbaine est souvent identifiée comme un facteur clé". Aussi la Commission prévoit-elle d’adresser prochainement des recommandations afin d’accélérer l’installation de ces points de recharge (entendre la délivrance des autorisations pour les connexions au réseau électrique, la Commission examinant actuellement comment contraindre les États membres à écourter les procédures). Elle invite également les collectivités à user du bâton (exigences dans l’attribution de licences et de concessions, etc.) et de la carotte (accès privilégié aux places de stationnement, voies dédiées…) pour favoriser la conversion des flottes de ces acteurs. Elle encourage de même les États membres "à actionner des avantages fiscaux".
Côté collectivités, la Commission souligne par ailleurs que si les autorités et opérateurs de transport public "sont à l’avant-garde de la transition vers des flottes [de bus] 0 émission – en 2024, un bus urbain immatriculé sur trois était à batterie électrique", il est "crucial de garantir que les conditions adéquates soient en place pour leur permettre de continuer à investir dans ce domaine" alors qu’ils sont "confrontés à des contraintes budgétaires". Aussi envisage-elle des mesures permettant "une meilleure agrégation de la demande" (une mutualisation des commandes ?) et une révision des règles d’amortissement. Toujours pour stimuler la demande, la Commission encouragera par ailleurs l'adoption de dispositifs de leasing social pour les véhicules neufs et d'occasion à 0 émission dans une prochaine "recommandation sur la pauvreté dans les transports". Un mécanisme efficace, mais coûteux… (voir notre article du 13 février 2024) ;
La compétitivité et la résilience de la chaîne d’approvisionnement. En l’espèce, la Commission entend notamment réexaminer la réglementation sur les aides directes à la production de batteries et les critères non tarifaires (comme "les exigences en matière de résilience") applicables aux composants, ou encore à accélérer le processus d'autorisation pour le reconditionnement des matériaux de batterie.
Les compétences. En collaboration avec les partenaires sociaux et les États membres, la Commission souhaite accroître le financement du Fonds social européen (FSE+) en faveur du secteur automobile, "en soutenant les travailleurs du secteur qui souhaitent se reconvertir". Elle compte également profiter de la révision à mi-mandat du FSE+ pour inciter les États membres à reprogrammer davantage de financements en faveur de la filière automobile. Le périmètre du fonds européen d'ajustement à la mondialisation devrait également être élargi aux "travailleurs déplacés" dans des opérations de restructuration d’entreprises. La Commission met aussi en avant le fait que l’"observatoire européen de la transition équitable" prévu par le pacte pour une industrie propre aura notamment pour mission de "suivre les tendances de l'emploi tout au long de la chaîne de valeur automobile". Une demande qui avait notamment été exprimée l’an passé lors d’un séminaire organisé par l’Alliance des régions de production automobile (ARA) (voir notre article du 6 juin 2024)
Le marché. La Commission annonce qu’elle utilisera des instruments de défense commerciale, tels que des "mesures antisubventions" (voir notre article du 13 juin 2024), pour protéger les entreprises européennes de la concurrence déloyale, ou des mesures contraignant les investisseurs étrangers à participer plus activement à la chaine de valeur européenne (octroi de licences, engagements à fournir des composants, etc.) Par ailleurs, elle "s’efforcera de réduire la charge administrative pensant sur les constructeurs européens", lesquels se félicitent de cette prise de conscience. "Nous allons continuer à conclure des accords de libre-échange et des partenariats internationaux" afin que "la prochaine génération de véhicules ne soit pas seulement fabriquée en Europe, mais innovée en Europe, alimentée par la technologie européenne, et construite sur les valeurs européennes", claironne également Apostolos Tzitzikostas.
Nul n’est prophète en son pays
Pour l’heure, le plan peine toutefois à convaincre. Y compris le Comité européen des régions (CdR), que présidait pourtant naguère Apostolos Tzitzikostas. "Le plan ne reconnaît pas le rôle essentiel des régions dans la gestion de la transition", estime le CdR. Il répond toutefois à un certain nombre des souhaits émis par l’ARA dans sa "déclaration de Monza" (voir notre article du 3 décembre). À la décharge du commissaire, on pointera que la réunion du 20 février dernier tenue avec les membres de l’Alliance afin de l’aider à trouver des réponses à la crise ne l’aura guère éclairé. Une réunion au cours de laquelle, pour la France, seule la région Centre-Val de Loire s’est exprimée, alors qu’elle n’est, de loin, pas la plus concernée ("un territoire de sous-traitance uniquement", y indiquait Karine Gloanec-Maurin, conseillère régionale et membre du CdR). En outre, les réactions au sein du CdR montrent que le sujet divise. "Il est essentiel de modifier le règlement pour passer de la référence constante à la 'neutralité technologique' à sa mise en œuvre effective. Nous considérons que le concept d''électricité seule' est un avantage incroyable pour les Chinois", tonne d’un côté Guifo Guidesi, élu de Lombardie et président de l'ARA. "Ouvrir la porte à des ajustements à la fin du moteur à combustion d’ici à 2035 et mettre l’accent sur la neutralité technologique 'totale' sape notre engagement en faveur de l’électrification de l’industrie automobile et notre objectif de 0 émission des voitures et camionnettes neuves d’ici à 2035", alerte de l’autre l’ancien président du CdR – et qui préside aujourd'hui sa commission COTER —, Vasco Alves Cordeiro.
Un plan qui ne satisfait personne
"La décision de donner deux années supplémentaires aux constructeurs pour respecter les objectifs de CO2 pour les voitures sape la plus grande incitation à rattraper leur retard dans la course à l’électrification", déplore de même l’association Transport & Environnement (T&E), qui se présente comme le principal groupe de pression pour les mobilités propres en Europe. Ce plan "est une concession majeure pour l'industrie. Ce doit être la dernière", prévient-elle. De son côté, l’association européenne des constructeurs automobiles (Acea) salue "le tournant pragmatique de la Commission dans un contexte de turbulences sur le marché mondial", mais déplore que "des éléments clés sont toujours manquants" (elle cible notamment la décarbonation des véhicules lourds). "La flexibilité proposée pour atteindre les objectifs de CO2 […] promet un certain répit pour les fabricants, à condition que les mesures indispensables en matière de demande et d’infrastructures de recharge soient désormais réellement mises en œuvre", avertit Sigrid de Vries, directrice de l’Acea. "Comme le démontrent les données du marché, les constructeurs automobiles européens qui ont déjà investi des centaines de milliards d’euros dans la transition ne peuvent pas faire la transition au rythme requis par le droit de l'UE", insiste l’association. Pour un constructeur, la "plus grande incitation" reste les perspectives de vente. Or elles ne sont guère au beau fixe. D’après l’Acea, les immatriculations de voitures électriques ont encore baissé de 2,6% en janvier dernier.