Déserts médicaux - Le nombre de médecins augmente, mais les généralistes reculent
Comme chaque année, le Conseil national de l'Ordre des médecins publie son "Atlas de la démographie médicale". Cette édition 2018 confirme les évolutions déjà à l'œuvre depuis plusieurs années, mais qui tendent à s'accentuer. Au 1er janvier 2018, l'Atlas recense ainsi 296.755 médecins inscrits à l'Ordre, soit une progression significative de 1,9% en un an (5.781 médecins supplémentaires) et de 11,9% par rapport à 2010 (35.377 médecins supplémentaires). Mais ce chiffre est largement trompeur, compte tenu de la présence de 21% de médecins retraités non actifs, mais aussi de près de 6% de médecins retraités ayant conservé une activité.
Moins de généralistes et une fuite devant l'exercice libéral
Sur les 296.755 médecins recensés, seuls les deux tiers (66,7%) exercent une activité régulière, un pourcentage en recul de 1,3 point par rapport à 2017 et de 9 points depuis 2010, sous l'effet de la rapide progression des retraités. Le nombre de médecins en activité régulière est donc de 198.081 en 2018.
En termes d'accès aux soins dans les territoires, le plus inquiétant est la baisse continue du nombre de généralistes en activité régulière. De 94.261 en 2010 - tous modes d'exercice confondus -, celui-ci est passé à 87.801 en 2018, soit un recul de 7% sur la période (et de 0,4% en 2018). Selon l'Atlas, ce nombre devrait continuer de décroître régulièrement jusqu'en 2025, pour atteindre à cette date 81.804 praticiens, soit une nouvelle baisse de 7% par rapport à 2018.
La fuite devant l'exercice libéral se poursuit. Aujourd'hui, 47% des médecins en activité régulière - toutes disciplines confondues - exercent en qualité de salarié (principalement dans les établissements de soins), contre 42% en libéral et 11% en exercice mixte. L'évolution est très rapide : en 2010, la répartition entre salariés et libéraux était exactement l'inverse...
Elle pourrait se poursuivre et s'accentuer dans les prochaines années : si on considère uniquement les 8.733 nouveaux inscrits à l'ordre en 2018 (59% de femmes, 41% d'hommes et une moyenne d'âge de 32 ans), il apparaît que 62% sont salariés, contre seulement 21% en exercice libéral (et 23% remplaçants). Paradoxalement, cette répartition de 2018, pourtant très déséquilibrée, traduit pourtant une légère amélioration : en 2010, 88% des primo-inscrits faisaient le choix du salariat, et 11% celui du libéral...
En dépit de ce léger redressement de l'exercice libéral chez les nouveaux praticiens, le nombre de médecins en exercice libéral - généralistes et spécialistes - a cependant reculé de près de 11% depuis 2010, celui des praticiens en exercice mixte de près de 9,3%, tandis que celui des médecins salariés progressait de près de 10%.
La démographie des médecins spécialistes est légèrement meilleure, avec une progression de 4% depuis 2010, pour atteindre un total de 110.279 médecins en activité régulière. Là aussi, la tendance devrait se poursuivre, pour atteindre 113.862 spécialistes en 2025 (+3,2%).
Les inégalités territoriales se creusent
En termes de répartition territoriale, l'Atlas 2018 confirme le creusement des inégalités entre départements : il montre en effet un accroissement des écarts entre les départements les mieux lotis en termes de densité médicale (décile 10) et les départements les moins bien lotis (décile 1). Le rapport entre ces deux déciles est passé de 1,4 en 2010 à 1,6 en 2018 pour les médecins généralistes, de 2,3 à 2,5 pour les spécialistes médicaux et de 2,1 à 2,33 pour les spécialistes chirurgicaux. Pour l'Ordre, "cela tend à démontrer l'absence d'effets des mesures incitatives mises en œuvre jusqu'ici, et confirme l'urgence d'une réforme portant un véritable changement de paradigme".
L'Atlas démographique fait cependant apparaître quelques points positifs, comme un léger rajeunissement des médecins en activité régulière, avec un âge moyen qui passe de 51,2 ans en 2017 à 50,8 ans cette année. Cette moyenne recouvre toutefois, comme la densité médicale, des écarts entre départements, avec un âge moyen de 47 ans en Ille-et-Vilaine et de 55 ans dans la Creuse.
Autre enseignement : la féminisation se poursuit, avec aujourd'hui 47% de femmes et 53% d'hommes parmi l'ensemble des médecins en activité régulière. Enfin, il apparaît que 16% des médecins en activité régulière ont obtenu leur diplôme hors de France. L'Atlas montre que la proportion de médecins nouvellement inscrits titulaires d'un diplôme hors de France est plus forte dans les régions à faible densité médicale - où ils pallient l'absence de candidats à l'installation - et au sein des régions transfrontalières.
Pour une réforme "en profondeur et cohérente"
Dans son communiqué du 4 décembre, le Conseil national de l'Ordre des médecins estime qu'"alors que les inégalités entre départements favorisés et défavorisés en termes de démographie médicale se creusent, l'on constate que les fragilités dans l'accès aux soins sont souvent cumulées à d'autres facteurs de fragilité territoriale. Cela contribue à la remise en question du pacte républicain, dont la santé pour tous est un pilier. L'Ordre réitère par conséquent sa conviction : notre système de santé exige une réforme en profondeur et cohérente. Cette réforme ne peut se contenter d'ajustements techniques. L'Ordre réaffirme qu'il est impératif que la réforme à venir soit portée par une vision politique forte et assumée".
Dans ce contexte, l'Ordre a "exprimé sa satisfaction après les annonces du président de la République sur la stratégie de transformation du système de santé". Mais il attend que ces orientations se traduisent effectivement dans le projet de loi annoncé pour le printemps 2019. A cette fin, le Conseil national de l'Ordre des médecins publiera, au début de 2019, "des propositions concrètes sur les dix chantiers retenus dans le cadre du plan 'Ma santé 2022'".