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Industrie - Le maquis des aides d'Etat, frein à la montée en puissance des PME ?

Le ministre du Redressement productif a récemment dénoncé "l'intégrisme" de Bruxelles en matière d'aides d'Etat aux entreprises. La virulence d'Arnaud Montebourg à l'égard du contrôle resserré de Bruxelles dans ce domaine masque des problématiques complexes expérimentées au quotidien par les régions. Même réformé, le cadre européen reste critiqué.

Sur le papier, la Commission européenne enjoint les Etats de prendre des "mesures immédiates" pour enclencher une "renaissance" de l'industrie. C'est ce qu'indique son document d'orientation sur la politique industrielle, présenté le 22 janvier dernier. Sur le terrain, l'injonction peut prêter à sourire, voire grimacer, tant Bruxelles neutralise les marges de manœuvre. Les régions l'expérimentent au quotidien, jonglant plus ou moins habilement avec les "lignes directrices" européennes et les "règlements d'exemption".

"Ceinture et bretelles"

Très techniques, ces textes ont un impact réel dans les territoires, dont le financement des projets industriels est bordé par des seuils, montants et limites géographiques fines.
Ainsi, dans les Pays de la Loire, le conseil régional veut diversifier les activités historiques du port de Saint-Nazaire pour l'ouvrir aux énergies marines, mais cherche encore la voie à suivre. Miser sur le soutien à la R&D ? La Commission l'associe à une "innovation technologique de reproduction en série", note Christophe Clergeau, vice-président des Pays de la Loire. Un champ jugé trop restreint, qui n'intégrerait pas facilement d'autres problématiques, comme le design, ou la conception de prototypes. Apporter des fonds propres à une entreprise ? "Paris nous dit que c'est interdit au-delà de 50 salariés à cause des règles européennes. Bruxelles nous dit que c'est à cause des règles françaises, lâche l'élu. De toute façon, en matière d'aides d'Etat, c'est ceinture et bretelles."

Länder et régions, des régimes différents

Dans son épaisse législation, la Commission couvre l'éventail des interventions publiques en détail. Elle tolère l'apport de capital-risque aux entreprises en création. Mais, l'interdit dès lors qu'il vise l'expansion de sociétés de plus de 50 salariés situées hors du périmètre particulier des territoires réputés fragiles, éligibles aux "aides à finalité régionale". C'est tout du moins la doctrine des "lignes directrices", adoptées en juillet 2006 et valables jusqu'au 30 juin de cette année. L'obstacle n'est pas insurmontable. La preuve avec les Länder allemands, qui détiennent des parts conséquentes dans des groupes puissants comme Volkswagen ou EADS et pèsent dans les décisions au point de constituer une minorité de blocage. La pratique n'enchante pas toujours la Commission, qui a engagé un bras de fer pendant plus de 10 ans avec le Land de Basse-Saxe, avant d'être désavouée par la Cour de justice européenne. Différence de taille en Allemagne : les régions ont la capacité d'investir directement dans le capital des entreprises. Leurs homologues françaises doivent, de leur côté, solliciter l'intermédiaire d'une société de capital-risque (à noter toutefois que le deuxième projet de loi de décentralisation qui sera présenté en Conseil des ministres le 2 avril pourrait comporter une disposition en ce sens). D'où l'application de régimes d'aide différents...
A l'avenir, le recours au capital-risque pourrait cependant être facilité, la Commission ayant accepté de déverrouiller un peu le système actuel avec un règlement d'exemption en cours de discussion. Souscrire au capital d'une PME située hors des territoires en difficulté sera possible, mais encadré : l'entreprise doit par exemple avoir moins de sept ans ou se lancer sur un nouveau marché. Le plafond autorisé est conséquent : 15 millions d'euros. "C'est presque surdimensionné pour une petite entreprise, commente un expert en aides d'Etat. On aurait mieux fait d'assouplir encore plus le champ des entreprises éligibles et de réduire le montant." Le futur dispositif exclut les entreprises de plus de 250 personnes.

Bruxelles et plusieurs capitales s'opposent sur les PME

Depuis des années, la France réclame en vain le rehaussement de ce seuil. L'UE y a consenti seulement dans le domaine de l'agroalimentaire, où un régime d'aide assoupli est prévu jusqu'à 750 salariés. Une conséquence, également, de la politique agricole commune définie, dès son origine, comme interventionniste. Pour tous les autres secteurs, l'acception restreinte de la PME demeure. L'Europe est donc le continent où "une entreprise de 250 salariés est traitée comme Coca-Cola", s'agace le même expert.
Loin d'être enterré, l'enjeu du soutien aux PME continue d'opposer la Commission aux Etats, qui se sont mobilisés pour faire bouger les lignes. Pendant près d'un an, des échanges de courriers ont révélé des analyses antagonistes entre Bruxelles et plusieurs capitales, signe que le ministre du Redressement productif n'est pas le seul à protester. Dans une lettre d'avril 2013 adressée au commissaire Joaquin Almunia, dix Etats, dont la France et l'Allemagne, expriment sèchement leur incompréhension face au projet d'interdire les aides publiques aux entreprises de plus de 250 salariés, situées dans des territoires dont le PIB par habitant excède 75% de la moyenne européenne. "Nous n'acceptons pas de prendre le risque que fait courir cette proposition", écrivent-ils alors, évoquant même des risques de délocalisation.

"Eviter les courses aux subventions"

La Commission a finalement cédé, tout en rognant le recours au soutien public. Outre le plafond du taux d'aide fixé à 10%, seules les grandes entreprises qui se lancent ou diversifient leur offre pourront être accompagnées. Pas celles qui tentent de monter en puissance dans leur secteur. Il s'agit d'éviter "les courses aux subventions dans un contexte marqué par de fortes contraintes budgétaires", dit-elle. A ce stade, le travail de toilettage des aides d'Etat suscite des avis contrastés. Si Joaquin Almunia dit opérer une "révolution", certaines décisions ressemblent plutôt à un tête-à-queue. C'est le cas des interventions publiques de faible montant. Poétiquement baptisées "aides de minimis", elles sont convoitées par les collectivités, friandes de leur fonctionnement simple, les dispensant de notifier la mesure à Bruxelles. A cause de la crise, la Commission avait accepté de les porter à 500.000 euros sur trois ans, avant de confirmer, fin 2013, le retour au seuil précédent de 200.000 euros.