Industrie - Les aides d'Etat, source de malentendu tenace entre Paris et Bruxelles
Vérité outre-Quiévrain, erreur au-delà... Dans son dernier rapport sur la compétitivité, la Commission européenne est la première à déplorer l'affaissement du secteur manufacturier dans le PIB européen, passé de 19% en 2000 à 15,1% 12 ans plus tard. Mais, pour redresser la barre de l'industrie européenne, Paris et Bruxelles s'opposent. Et peu importe que les principaux protagonistes appartiennent à la même famille politique. L'échange épistolaire salé entre la Commission et le ministre français du Redressement productif, révélé par la presse le 22 janvier, a une nouvelle fois mis cette profonde divergence de vues sur la table.
De passage à Paris le 28 janvier, le commissaire à la concurrence a donc procédé à une mise au point publique sur la politique de la concurrence menée par l'UE.
Polémique
Commissaire "de gauche", volontiers "attaché aux services publics", Joaquin Almunia a expliqué, mardi 28 janvier lors d'une audition au Sénat, à quel point il ne comprenait pas bien la polémique dont il faisait l'objet. Quand "je demande à Arnaud Montebourg" de me citer un seul cas en France où la Commission aurait interdit une aide "en matière de recherche et développement", "pas de réponse". Selon le ministre du Redressement productif, à force de traquer d'éventuelles distorsions de concurrence, même sur des dossiers de faible ampleur, Bruxelles complique le recours aux aides publiques, empêchant ainsi l'émergence d'une politique industrielle offensive. Ineptie, rétorque-t-on à la Commission. "On est sorti de ce débat en Europe", balaye Joaquin Almunia, que nous avons interrogé. Ajoutant, goguenard : "Il n'y a que M. Montebourg qui n'en est pas sorti. Mais c'est son problème, pas le nôtre." Entre les deux dirigeants, l'échange épistolaire tourne à la partie de ping-pong, même si l'Espagnol s'est efforcé de répondre, dans un courrier du 27 janvier, sur un "ton plus calme".
Révolution
Pour apaiser les craintes françaises, le commissaire emploie les grands mots : "On est en train de faire une révolution dans la politique des aides d'Etat." Et de citer pêle-mêle les aides à l'énergie, l'environnement, la recherche, l'innovation, les télécommunications et les investissements régionaux. En toile de fond, la volonté de diminuer les dépenses publiques, tout en renforçant la responsabilité des Etats à l'égard du contribuable : "Il faut encourager les bonnes politiques et éviter que les citoyens n'aient à payer non seulement pour les crises bancaires, mais également pour les mauvais choix." Depuis mai 2012, la Commission a donc lancé un important chantier de toilettage de l'encadrement des aides publiques.
Assouplissement dans la recherche et développement
Parfois, des assouplissements sont consentis. C'est le cas pour la R&D et l'innovation. "On augmente clairement les limites en-deçà desquelles il n'y aura pas de notification, que l'aide soit de nature fiscale ou qu'il s'agisse de dépenses publiques", indique Joaquin Almunia. Même logique pour l'encadrement du capital-risque au profit des PME, très développé aux Etats-Unis. Car l'Espagnol en convient : ses rencontres avec des dirigeants de la Silicon Valley lui ont prouvé combien l'accès au "financement" creusait les différences entre les deux continents.
Aides à finalité régionale
Dans d'autres cas, la Commission choisit de serrer la vis. Elle a ainsi redessiné la carte des entreprises éligibles aux aides à finalité régionale. Pour la France, cela se traduit par une exclusion des établissements de plus de 250 salariés et un cofinancement public de 30%, contre 40% auparavant. A l'époque, le président du conseil régional du Limousin s'en était ému, redoutant des fuites d'entreprises vers des contrées plus offrantes, puisque les règles diffèrent en fonction du PIB des territoires.
Services publics
En matière de services publics locaux (soins de santé, formation professionnelle...), le combat mené en 2011 fut plus homérique encore. La Commission a fini par relever le seuil de notification des aides à 500.000 euros sur trois ans, contre 200.000 euros auparavant. Mais le montant des subventions reste très encadré : la Commission veille à ce qu'il n'y ait pas de "surcompensation" financière au profit de la structure aidée qui, si elle dégage des profits, doit le faire de manière "raisonnable". Une notion évaluée à partir de plusieurs critères abscons, comme le "taux de swap", dont la complexité découragera plus d'une collectivité... si tant est qu'elle soit au courant.
Seule compétente dans le domaine de la politique de la concurrence, la Commission est déterminée à travailler jusqu'à la fin de son mandat, en octobre. Voire au-delà... "Je pourrais en avoir jusqu'à Noël", ironise Joaquin Almunia.
Projets d'intérêt commun
D'ici là, ses services comptent s'atteler au financement des projets européens "d'intérêt commun", privilégiant les secteurs de la recherche, l'énergie, les transports ou encore le numérique. Avec un calendrier très serré : consultation publique d'un mois seulement (28 janvier au 28 février), en vue d'une application à partir du 1er juillet 2014. Dans son document, la Commission aiguille déjà la nature des aides qu'elle est susceptible d'accepter. Si l'intervention publique est dictée par un "manque d'accès" aux liquidités, les Etats peuvent fournir un "prêt ou une garantie". Si l'objectif vise plutôt le "partage de risques", "l'avance remboursable" devra être préférée. Ces grands projets restent à écrire. Et, cette fois, la balle est dans le camp des Etats. Donc dans celui d'Arnaud Montebourg.