Habitat - Le logement intergénérationnel, une bonne idée... qui ne marche pas
Dans l'un de ses derniers Dossiers d'études, la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) se penche sur la question du logement intergénérationnel. En près de 120 pages, ce document restitue les résultats d'une étude commanditée par la Cnaf et réalisée par un groupe de cinq chercheurs. Il faut au moins cela pour tenter de percer le mystère du logement intergénérationnel : un concept qui fait l'unanimité, qui permet de lutter contre l'isolement des personnes âgées (en France, cette approche s'est surtout développée après la canicule de 2003) et d'apporter une réponse au problème du logement étudiant, qui bénéficie du soutien des pouvoirs publics, des collectivités territoriales et des acteurs du logement social, et qui, pourtant, ne parvient pas vraiment à décoller... Menée à la fois auprès de personnes âgées et d'acteurs du logement intergénérationnel, l'étude apporte de nombreux enseignements. Ainsi, les chercheurs se sont livrés à une évaluation de l'offre potentielle de logements intergénérationnels. Celle-ci va de 2,2 millions de logements (nombre de logements en sous-peuplement prononcé ou très accentué occupés par un ménage d’une personne âgée de 50 ans ou plus n’étant pas contrainte de déménager et ne souhaitant pas déménager) à 6,7 millions de logements (nombre de logements en sous-peuplement prononcé ou très accentué occupés par un ménage de une ou deux personnes âgées de 50 ans ou plus). L'exercice est plus complexe sur la demande potentielle, mais l'étude situe cependant cette dernière entre 238.000 et 528.000 jeunes, selon les postulats.
L'étude se consacre ensuite à une approche qualitative du logement intergénérationnel, menée à partir de groupes ou d'entretiens semi-directifs avec des personnes âgées et des acteurs du logement intergénérationnel. Du côté des seniors, les avantages les plus souvent cités sont l'intérêt d'une présence au quotidien et durant la nuit (sécurité), la possibilité d'avoir des échanges et une stimulation intellectuelle doublée de moments de convivialité (rupture de l'isolement), la volonté de rendre service et de transmettre son expérience, et, enfin, un complément de ressources non négligeable. Du côté des acteurs, l'étude pointe la diversité des profils et des pratiques des associations spécialisées dans le logement intergénérationnel, avec en particulier une distinction marquée entre les associations de mise en relation et les associations médiatrices (qui assurent un suivi du binôme dans la durée). L'étude analyse également les stratégies en la matière de quelques départements ou grandes villes. Elle relève que les collectivités engagées dans le logement intergénérationnel apportent essentiellement des subventions non pérennes et, le plus souvent, centrées exclusivement sur le démarrage de l'action, ce qui ne favorise pas la montée en charge des dispositifs.
Des freins et des réponses
Enfin, la dernière partie de l'étude se consacre aux raisons qui expliquent la lenteur du décollage du logement intergénérationnel. Il y a bien sûr les réticences des personnes âgées : crainte d'une perte d'intimité ou d'indépendance, peur du regard des autres, rémunération jugée insuffisante... Mais il existe aussi d'autres freins importants, comme la recherche de garanties des enfants des personnes âgées pour accepter la mise en place d'un binôme, la crainte de perdre une aide à domicile, des contextes territoriaux (transports) et des conditions de logement pas toujours propices au logement intergénérationnel, un contexte juridique peu incitatif (même s'il est en voie d'évolution) ou encore les réticences des financeurs, avec un scepticisme prononcé sur la faisabilité et la pérennité des projets.
Pour sortir de ces blocages, l'étude de la Cnaf propose quatre solutions complémentaires. La première consiste à affirmer le rôle et la pérennité de la médiation assurée par les associations, en labellisant la formule du logement intergénérationnel. La seconde porte sur la clarification des cadres d'intervention, avec en particulier la publication du décret d'application de l'article 65 de la loi Molle du 25 mars 2009 (qui doit favoriser le développement du logement intergénérationnel dans l'habitat social). La troisième propose d'élargir l'éventail du public jeune, par exemple en ouvrant la formule aux apprentis, aux jeunes en formation et aux stagiaires. Enfin, la quatrième proposition - qui est aussi la plus coûteuse - consiste à faciliter l'adaptation des logements.