Dépendance - Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie veut plus de continuité entre social et sanitaire
Dans un rapport adopté à l'unanimité le 23 juin 2011, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) plaide vigoureusement pour un rapprochement entre secteur social et sanitaire. Ce document, qui répond à une saisine du Premier ministre, constitue la contribution du Haut Conseil au débat national sur la dépendance. Dans sa conclusion, ce rapport très fouillé estime qu'il est "impératif que les conditions de mise en œuvre de l'aide à la dépendance soient pensées en étroite continuité avec l'offre de soins". Il juge également que "le système de soins doit se mobiliser davantage sur les enjeux de prévention de la perte d'autonomie, et que cette mobilisation suppose une meilleure coordination des interventions soignantes et sociales, et une meilleure prise en considération réciproque". Pour le Haut Conseil, cet "enchaînement vertueux [...] est la condition absolue pour que la prise en charge de l'autonomie des personnes âgées ne crée pas une impasse financière supplémentaire pour les comptes publics".
Il recommande donc d'engager une démarche de préfiguration, reposant sur quelques dizaines de projets pilotes animés au niveau national et mis en œuvre par les agences régionales de santé (ARS), dont l'objectif serait de démontrer "qu'un emploi plus efficient de l'argent public est possible, dans l'intérêt des usagers et du système soignant dans son ensemble, en direction de l'accompagnement ambulatoire, du soin d'entretien et de l'aide sociale à domicile". Parmi les thèmes qui pourraient donner lieu à cette expérimentation, le rapport cite notamment l'amélioration des sorties d'hôpital, la coordination en médecine ambulatoire, les recueils partagés d'indicateurs de pratique clinique et sociale...
C'est la première fois que le HCAAM prend aussi clairement et fortement position pour un rapprochement structuré entre le sanitaire et le social. Dans son avis du 22 avril 2010 sur "Vieillissement, longévité et assurance maladie", il avait évoqué "l'insuffisante transversalité autour de chaque malade" et les "inadaptations structurelles" de l'offre de soins, mais sans aller aussi loin dans les préconisations, se contentant de plaider pour une plus grande ouverture de l'hôpital.
Des écarts considérables de durée moyenne de séjour
Le HCAAM appuie ses conclusions sur une démonstration très étayée. Après avoir rappelé les différents rapports sur le sujet (Cour des comptes, Vasselle, Rosso-Debord...), il estime que la contribution globale de l'assurance maladie à la prise en charge spécifique de la perte d'autonomie peut donner lieu à trois chiffrages différents : environ 8,9 milliards d'euros si l'on s'en tient aux seules dépenses d'assurance maladie destinées à compenser la dépendance des personnes âgées, environ 20,9 milliards d'euros pour les dépenses d'assurance maladie des personnes âgées dépendantes (que ces dépenses soient ou non en lien avec la dépendance) et, enfin, "une somme inconnue, mais intermédiaire" pour les dépenses d'assurance maladie "entraînées par la dépendance". Le Haut Conseil estime cependant qu'il serait "plus pertinent de retenir une approche de l'évaluation du coût de la prise en charge des soins et des aides aux personnes âgées en perte d'autonomie fondée sur les besoins, plutôt que fondée sur un découpage qui met en avant l'origine budgétaire du financement".
Sur la prise en charge de ces personnes âgées dépendantes, le HCAAM constate que la qualité du "trajet de santé" des personnes âgées dépendantes se dégrade avec l'âge, avec en outre de fortes différences entre les territoires, qui se lisent par exemple dans les écarts des durées moyennes de séjour (DMS) en établissements de soins. L'enjeu est considérable : en se limitant aux six états pathologiques concernant plus particulièrement les personnes âgées en perte d'autonomie, le HCAAM estime que l'alignement de la DMS globale sur celle des territoires les plus avancés en la matière conduirait à une diminution d'environ trois millions de journées d'hospitalisation représentant, sur les pathologies en question, une économie d'environ deux milliards d'euros. Pour y parvenir, le Haut Conseil estime que "l'indispensable continuité dans la réponse aux besoins des personnes âgées en perte d'autonomie appelle la même continuité dans les prises en charge". Il préconise donc de travailler dans une double direction. D'une part, un renforcement de la coordination des dispositifs de prise en charge de la perte d'autonomie, intégrant la dimension de soins et notamment le recours à l'hôpital. D'autre part - et plus en amont -, le développement d'"une politique de prévention et d'éducation pour la santé, à la fois généraliste et ciblée, [...] de nature à réduire, différer ou empêcher la survenance de la perte d'autonomie".
Des "projets contractualisés" entre ARS et collectivités
La troisième partie du rapport préconise que toute politique publique d'aide à l'autonomie des personnes âgées cherche systématiquement à améliorer la continuité de leur trajet de santé. Ceci passe par plusieurs mesures. Il convient ainsi d'améliorer la connaissance de l'ensemble du parcours, soignant et social, de la personne âgée en perte d'autonomie. Les incertitudes sur l'estimation du coût de la dépendance montrent qu'il y a encore de nombreux progrès à réaliser en ce domaine. Une seconde mesure concerne l'élaboration et la diffusion de référentiels de pratiques pluridisciplinaires intégrant, au titre du maintien de l'autonomie, les dimensions de prise en charge sociale. La troisième mesure réside dans "la confiance faite aux acteurs locaux, dans la recherche de solutions de proximité pour le maintien de l'autonomie". En l'occurrence, la référence aux acteurs locaux vise moins les départements que les agences régionales de santé. Le HCAAM suggère notamment que les ARS puissent disposer d'"une plus large panoplie de vecteurs de contractualisation avec les conseils généraux pour que des crédits spécifiques d'aide à l'autonomie (indépendamment des actuels concours nationaux d'APA versés par la CNSA) et des crédits de l'assurance maladie (notamment de l'Ondam médicosocial et de l'Ondam sanitaire) puissent être engagés localement sur des projets contractualisés entre ARS et collectivités territoriales, dans le respect de leurs compétences respectives".
Enfin, la quatrième mesure concerne la recherche de modes de tarification favorisant la coordination. Ceci pourrait passer, entre autres, par l'intégration de l'activité de coordination dans les contrats d'amélioration des pratiques individuelles (Capi) signés entre les médecins libéraux et l'assurance maladie, par la prise en compte des conditions du recours l'hospitalisation dans le financement des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ou encore par la reconnaissance de la fonction de "synthèse médicale" pour les médecins traitants (pour la prise en charge de leurs patients dépendants) et de la fonction de "coordination soignante et sociale" pour les autres professionnels de santé (essentiellement les infirmières libérales).
Jean-Noël Escudié / PCA
L'ADF en partie satisfaite des propositions des groupes de travail
Dans un communiqué du 23 juin, Claudy Lebreton, le président de l'Association des départements de France (ADF), se dit plutôt satisfait des conclusions des groupes de travail du débat national sur la dépendance (voir notre article ci-contre du 21 juin 2011). Il "constate avec satisfaction que certaines propositions émises par l'ADF, ses élus et ses collaborateurs, ont été reprises [...]". Ceci vise notamment les propositions des groupes de travail sur la place des départements dans la prévention et la coordination, ou encore l'abandon de l'idée d'une assurance privée obligatoire. Autre motif de satisfaction : la reconnaissance, par la ministre des Solidarités et de l'Action sociale, des difficultés des "départements qui ont un faible potentiel fiscal mais un grand nombre de personnes âgées". En revanche, Claudy Lebreton estime que le chiffre avancé d'un milliard d'euros est "d'emblée, insuffisant au regard de l'urgence pour plus d'un département sur deux". Il s'interroge également sur "les raisons qui conduisent le gouvernement à privilégier les questions financières sans s’intéresser au coeur du sujet : la place des personnes âgées dans la société, le vieillissement de ces personnes, la perte d’autonomie, la formation des aidants, etc.". Une remarque qui peut surprendre, dans la mesure où deux des quatre groupes de travail étaient précisément consacrés à ces questions plus sociétales. Enfin, le président de l'ADF indique que l'association, dont le bureau national se réunira le 12 juillet, "prendra ses responsabilités". En attendant, Claudy Lebreton "condamne l'éviction à la tête de la CNSA de M. Laurent Vachey" [le gouvernement a décidé de ne pas renouveler le directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, dont le mandat de trois ans arrivait à expiration le 25 juin, NDLR].
Pour sa part, le groupe des 41 présidents de conseils généraux de la droite, du centre et des indépendants de l'ADF avait déjà mis en ligne sur son blog, le 31 mai, ses propositions sur la dépendance. Ces élus réagissaient alors aux 55 propositions présentées par l'ADF (voir notre article ci-contre du 20 mai 2011). A l'inverse de Claudy Lebreton, ils considèrent que "sur 55 mesures, 29 sont bonnes mais ne règlent pas le problème", car elles n'apportent pas de véritable solution à la question centrale du financement. Les départements de la droite, du centre et des indépendants proposent donc plusieurs mesures sur ce point, dont la création d'une seconde journée de solidarité.