Grands équipements sportifs - Le grand stade de la Fédération française de rugby présente des risques pour l'Etat et les collectivités
Le projet de grand stade porté par la Fédération française de rugby (FFR) comporte-t-il des risques pour le secteur public ? C'est à cette question que la Cour des comptes a répondu dans un référé rendu public le 29 février 2016. Et la réponse de la rue Cambon est sans ambiguïté : ce projet comporte des risques, au niveau budgétaire et patrimonial, pour l'Etat, mais aussi pour le département de l'Essonne.
En tant que propriétaire et concédant du Stade de France de Saint-Denis, l'Etat est directement concerné par ce projet de construction d'une enceinte de 82.000 places sur le territoire de la communauté d'agglomération d'Evry-Centre-Essonne. Le retrait de la FFR de l'utilisation du Stade de France provoquerait en effet "une charge supplémentaire annuelle minimale de l'ordre de 23 millions d'euros pour l'Etat, jusqu'au terme de la concession (mi-2025), soit entre 161 millions et 186 millions d'euros suivant la date d'entrée en fonctionnement du stade de rugby, chiffre la Cour. Ce risque budgétaire pourrait s'avérer supérieur selon l'intensité des revendications du concessionnaire, déjà très actif au plan contentieux à l'encontre de l'Etat."
Quant aux valeurs économique et patrimoniale du Stade de France, elles "seraient fortement amoindries", selon la Cour, qui ajoute qu'"en cas de non-renouvellement du contrat liant la FFR et le Consortium Stade de France, à la date de livraison du stade de rugby, l'Etat ne devra pas uniquement assumer une dépense budgétaire supplémentaire, voire faire face à des contentieux risqués. Il lui appartiendra aussi de trouver un avenir durable, en termes de perspective d'activités, d'équilibre financier et de mode de gestion, à un équipement dont il est le propriétaire et dont l'échéance de la concession sera relativement proche (2025)".
Un risque pour la collectivité locale
Le projet de grand stade de la FFR a été lancé en 2010. A travers ce projet, la fédération souhaite donner une assise emblématique à son sport, améliorer et garantir les recettes fédérales en disposant d'un stade dont elle contrôlerait l'exploitation commerciale, sportive et événementielle, et diversifier ses sources de revenu. Ce projet repose sur un financement entièrement privé de 600 millions d'euros (hors abords et viabilisation), dont le montage pourrait être garanti par le département de l'Essonne jusqu'à un plafond de 450 millions d'euros. A ce sujet, la Cour souligne que l'Etat ne peut ignorer "un risque pour les finances de la collectivité locale qui apporterait sa garantie".
La Cour des comptes rappelle ensuite que, pour tenter de contrer ces différents risques, plusieurs hypothèses explorent des solutions propres à l'Etat : anticipation de la fin de la concession du Stade de France, recherche d'un nouvel exploitant généraliste, voire vente du stade lui-même. D'autres hypothèses privilégient des solutions qui nécessitent une modification des intentions de la FFR, à savoir le report ou l'abandon de son projet, qui pourrait aller jusqu'à la vente du Stade de France à la FFR. "A l'heure actuelle, l'Etat dispose de toutes les informations nécessaires, conclut la Cour. Or il ne semble pas avoir pris d'initiatives pour explorer avec la FFR des alternatives différentes de celle de la construction du stade de rugby."
L'Etat encourage le projet de la FFR
Dans une lettre du 22 février qu'ils ont cosignée, Patrick Kanner, ministre des Sports, et Thierry Braillard, secrétaire d'Etat aux Sports, répondent à la Cour des comptes en rappelant que sur le principe, "la démarche [de la FFR] visant à acquérir une plus grande maîtrise de son 'outil de travail' pour renforcer les moyens alloués au développement de sa discipline, est encouragée par l'Etat". Ils ne disent rien, en revanche, sur les hypothèses alternatives avancées par la Cour des comptes. A travers eux, le gouvernement se borne à préciser qu'il veillera à se rapprocher de la FFR afin de vérifier que le plan d'affaires de cette dernière "soit solidement étayé et offre un rendement suffisamment élevé pour sécuriser sur le long terme l'amortissement de l'investissement".
Sur les impacts potentiels du projet de la FFR sur la gestion du Stade de France et sur son équilibre économique, Patrick Kanner et Thierry Braillard estiment d'une part que "ce modèle est déjà fragilisé en raison des nombreux contentieux qui opposent les différentes parties à ce contrat, indépendamment du projet de stade de la FFR", et d'autre part que c'est à la lumière de la décision du Comité international olympique de donner ou non, en 2017, l'organisation des Jeux olympiques de 2024 à Paris que "le modèle économique du Stade de France pourrait être réinterrogé". En rugby, on appelle cela "botter en touche".