Sports - Débat public sur le grand stade de la FFR : un essai mal transformé
C'était un exercice inédit à l'échelle nationale pour une enceinte sportive. En décembre 2012, la Commission nationale du débat public (CNDP) décidait d'organiser une concertation sur le projet de grand stade de la Fédération française de rugby (FFR). Fin avril 2014, le bilan de ce débat public était publié et laissait transparaître toute la difficulté de l'exercice.
De quel projet s'agit-il ? La FFR souhaite ériger un stade de 82.000 places sur l'ancien hippodrome de Ris-Orangis (Essonne), couplé à l'aménagement de 133 hectares comprenant un village de loisirs, un pôle d'excellence dédié au sport et des aménagements commerciaux. Son coût est évalué à 600 millions d'euros, financé par les fonds propres de la FFR à hauteur de 200 millions d'euros et par un emprunt garanti par le département de l'Essonne à hauteur de 450 millions d'euros. L'agglomération Evry-Centre Essonne, le conseil général de l'Essonne et les communes de Ris-Orangis et de Bondoufle se sont, de leur côté, engagés à maîtriser le foncier nécessaire au projet, à réaliser une zone d'aménagement concerté (ZAC) et à conduire le financement des infrastructures d'accès au site. Elles devront en outre obtenir des autorités de transports (Stif) et des opérateurs (SNCF, RFF) les investissements nécessaires, en particulier au renforcement des lignes C et D du RER.
C'est sur saisine conjointe du président de la FFR et du groupement des collectivités que la CNDP a décidé d'organiser un débat public. Selon quelles motivations ? Le caractère d'intérêt national, les enjeux socio-économiques pour le territoire concerné et les impacts significatifs sur l'environnement et l'aménagement ont été mis en avant.
Silence de l'Etat, absence d'experts indépendants
Un coup de théâtre a eu lieu le 17 octobre 2013, juste avant l'ouverture du débat, avec la démission de Jean-Luc Mathieu, président de la commission particulière du débat public (CPDP) relative au projet. Quelques jours auparavant, dans les colonnes du journal L'Equipe, ce magistrat honoraire à la Cour des comptes avait dénoncé une "omerta partout" : "On la ressent dans le monde du rugby, où très peu de personnes ont accepté de me rencontrer. Ensuite, parmi les élus de l'Essonne, pour lesquels il est difficile, au vu de la conjoncture économique, de questionner un projet censé générer des emplois. Au consortium enfin, qui gère le Stade de France et qui vient de resigner pour quatre ans avec la FFR", avait révélé Jean-Luc Mathieu.
A en croire la synthèse du débat public, cette démission n'a pas provoqué un choc de confiance. Si les objectifs du débat, qui a porté sur l'opportunité et la faisabilité du projet, ont été respectés, l'exercice a fait émerger des carences dans la concertation.
Les informations sur le dialogue compétitif portant sur l'aménagement de la centaine d'hectares autour du stade ont été jugées insuffisantes par une partie du public. Ce même public a, ainsi que la CPDP elle-même, "regretté le silence de l'Etat". Dans une lettre émanant de la préfecture de région, ce dernier souligne "que dans l'intérêt même du bon déroulement du débat public, une position de l'Etat quant au projet ne lui apparaît pas souhaitable". On sait toutefois que l'ancienne ministre des Sports, Valérie Fourneyron, n'était pas favorable au projet – en raison de la concurrence avec le Stade de France –, une position prise à contre-pied par le nouveau secrétaire d'Etat aux Sports, Thierry Braillard, qui, fin avril, s'est dit "a priori pour". Il est à noter par ailleurs que l'actuel Premier ministre, Manuel Valls, était président de l'agglomération quand, en 2011, Evry-Centre Essonne s'est portée candidate à l'accueil du futur stade.
Si la parole de l'Etat a manqué durant les débats, celle des experts indépendants aussi. "Il est apparu difficile d'obtenir des expertises indépendantes sur le projet : la plupart des experts ayant déjà coopéré avec la FFR", explique la synthèse. D'après nos informations, la commission a quelque peu tâtonné pour définir un panel d'experts. Et quand ceux-ci ont pu être identifiés, ils ont pris leur distance dans un dossier qui a pu leur apparaître semé d'embûches après la démission du président de la CPDP.
Une décision déjà prise ?
Sur le projet lui-même, deux camps bien distincts se sont fait face. la majorité des acteurs du rugby et du milieu sportif sont partisans d'un nouveau stade au nom du développement du rugby et de l'aménagement du sud francilien, même s'ils sont nombreux à remettre en cause son modèle économique et son articulation avec les équipements existants, notamment le Stade de France. Ces partisans ont le soutien des acteurs institutionnels et socio-économiques du territoire, la majorité des organisations syndicales s'étant prononcées en faveur du stade dans la mesure où celui-ci serait créateur d'emplois.
Face à eux, certaines formations politiques contestent l'opportunité du projet, rejoints par des associations de défense de l'environnement. Dans leurs cahiers d'acteurs, Europe Ecologie-Les Verts Ile-de-France, Attac Essonne et France Nature Environnement demandent l'abandon du projet. Pour les détracteurs du grand stade de la FFR, il existe des failles dans l'appréciation des enjeux environnementaux. Certains participants ont ainsi reproché à la maîtrise d'ouvrage de "dérouler une liste d'arguments sans réelle cohérence écologique mettant en avant la réparation et non la prévention", ou encore de sous-estimer l'impact sur la biodiversité, de même que l'intégration de l'équipement dans le paysage, une préoccupation prioritaire pour une large partie du public.
De leur côté, les Essonniens et les habitants des villes limitrophes manifestent un intérêt nuancé pour le projet. "S'ils semblent sceptiques quant à la faisabilité du stade et en particulier de ses aménagements, beaucoup en reconnaissent l'opportunité pour le rayonnement du département et l'amélioration des transports", décrypte la CPDP.
Plus ennuyeux : lors de sa réunion de synthèse, la CPDP a regretté le déploiement d'une banderole dédiée au Grand Stade sur la façade de l'hôtel de la communauté d'agglomération, "un sentiment de regret partagé par certains participants qui ont eu l'impression d'une décision déjà prise", note la synthèse.
La CPDP précise toutefois que la maîtrise d'ouvrage "bicéphale", composée de la FFR et des collectivités, doit encore faire connaître sa décision quant aux suites qu'elle entend donner au projet au plus tard trois mois après la publication du compte rendu et du bilan du débat public. Si elle décidait de le poursuivre, elle devra indiquer de quelle manière elle entend assurer l'information et la participation du public tout au long de sa réalisation. Les écueils de ce premier débat pourraient alors être rectifiés…