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Aménagement - Le Grand Paris peut repartir

Le Grand Paris est en passe de sortir de l'enlisement : les sénateurs ont voté une proposition de loi, mercredi, qui va permettre de débloquer un certain nombre de chantiers. Place à présent à la réalisation du réseau de transport. Les résultats des deux débats publics semblent satisfaire tout le monde. Mais il reste le plus dur : concilier des intérêts souvent divergents.

L'un des principaux freins à la réalisation du Grand Paris est en passe d'être levé. Les sénateurs ont en effet voté, mercredi 30 mars, la proposition de loi de la socialiste Nicole Bricq "visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d'Ile-de-France". Des chantiers bloqués par l'absence de mise en oeuvre du schéma directeur régional d'Ile-de-France (Sdrif) de 2008 sur lequel le Conseil d'Etat a émis un avis négatif, le 27 octobre 2010. "C'est un bon texte qui va permettre de respecter l'accord que j'ai conclu avec Jean-Paul Huchon, mais il n'a de vertu que transitoire, nous allons devoir retravailler", a déclaré Maurice Leroy, le ministre de la Ville, chargé du Grand Paris, un jour plus tôt, lors de questions cribles au Sénat sur le Grand Paris. La proposition de loi s'inscrit en effet dans le cadre du protocole Etat-région du 26 janvier 2011 sur les réseaux de transport du Grand Paris. Elle introduit une dérogation au Code de l'urbanisme afin de permette aux élus locaux de modifier leurs documents d'urbanisme (Scot, PLU, cartes communales) dès lors qu'ils respectent les prescriptions du Sdrif de 2008 non contraires à la loi sur le Grand Paris du 3 juin 2010. A défaut, c'est le Sdrif de 1994 qui aurait prévalu, un document vieux de dix-sept ans. Plusieurs projets se seraient ainsi vus empêchés du fait de leur classement en espaces naturels et non en espaces ouverts à l'urbanisation comme prévu dans le nouveau Sdrif, ainsi que l'a fait remarquer le rapporteur Dominique Braye. C'est le cas du triangle de Gonesse, de l'aérodrome Melun-Villaroche ou encore du projet Village nature en Seine-et-Marne.

Climat apaisé

Le vote des sénateurs apporte donc un dénouement heureux au bras de fer qui a opposé pendant de longs mois Etat et région sur le Sdrif qui va à présent être remis sur le métier. Nicole Bricq s'est félicité du "climat apaisé" entre les deux interlocuteurs. Quant à Jean-Paul Huchon, il a salué "le travail effectué par les sénateurs, gauche et droite confondues". "Le vote de la proposition de loi apporte toute sécurité juridique aux élus locaux, chefs d’entreprise, et acteurs du développement économique", souligne-t-il, dans un communiqué.
Les sénateurs ont ajouté quelques amendements au texte initial afin de donner plus de souplesse et de sécurité juridique aux élus. Ainsi les élus pourront (il ne s'agit donc plus d'une obligation) modifier leurs documents d'urbanisme. Un obligation aurait conduit à "légaliser le Sdrif, d'où des risques de contentieux et d'annulation par le Conseil constitutionnel", a justifié Jean-Pierre Fourcade, auteur de cet amendement. Les sénateurs ont adopté un autre amendement du sénateur des Hauts-de-Seine qui prévoit que tout projet de révision doit être transmis au président du conseil régional qui émet un avis dans un délai d'un mois, et au préfet, qui se prononce dans un délai de deux mois. "Le préfet de région appréciera la compatibilité des documents d'urbanisme avec le Sdrif 2008 et la loi de 2010 ; il fallait sécuriser le dispositif", a expliqué Jean-Pierre Fourcade.
Par ailleurs, la modification des documents "ne pourra faire obstacle à la mise en œuvre des contrats de développement territorial" prévus par la loi sur le Grand Paris.
Le texte fixe au 31 décembre 2013 la date butoir pour la révision du projet de Sdrif de 2008. Un amendement prévoit de consulter pour avis les conseils généraux (écartés dans le texte initial), mais aussi les chambres consulaires et le Ceser (conseil économique, social et environnemental régional). Ils disposeront d'un délai de deux mois pour émettre leur avis.

Un comité de suivi

Cette proposition de loi n'est qu'un premier pas dans l'application du protocole Etat-région. Plusieurs chantiers attendent les acteurs régionaux : le tracé du réseau de transports conformément aux conclusions des deux débats publics dévoilées jeudi 31 mars (voir encadré ci-dessous), le nombre de gares du réseau qui doit être fixé par le conseil de surveillance de la Société du Grand Paris (SGP), la maîtrise d’ouvrage entre le STIF (Syndicat des transports d'Ile-de-France) et la SGP, et le financement avec la création d'une taxe spéciale d'équipement qui suscite des inquiétudes. "Un comité de suivi sera bientôt installé, a déclaré le ministre, ce sera l'occasion de faire le point sur la maîtrise d'ouvrage, la coordination entre le syndicat des transports d'Ile-de-France et la société du Grand Paris et sur la branche Est du projet de rocade."
Maurice Leroy a également annoncé pour "cet automne" la parution du décret concernant la zone agricole et forestière de 23.000 hectares sur la plateau de Saclay." L'établissement public Paris Saclay finalise à l'heure actuelle l'étude avec la Safer pour délimiter précisément cette zone", a assuré le ministre, mardi, lors des questions cribles au Sénat.

Michel Tendil

Deux débats publics "exemplaires et historiques

"Deux débats valent mieux qu'un. Ils étaient tout à la fois attendus et nécessaires", a déclaré Philippe Deslandes, président de la Commission nationale du débat public (CNDP) en présentant ce 31 mars les conclusions des débats publics sur les projets de réseau de transport public du Grand Paris et Arc Express qui se sont tenus du 30 septembre 2010 au 31 janvier 2011. Quelques chiffres résument l'ampleur de la mobilisation du public : 17.500 personnes participant à 67 réunions publiques – dont 12 communes aux deux projets -, 280.000 connexions internet, 272 cahiers d'acteurs dont 94 communs aux deux projets, 260 contributions, 1.151 avis du public, 1.600 questions. Le président de la CNDP a aussi relevé "la participation sans précédent des élus, parlementaires, conseillers régionaux et généraux, maires et conseillers municipaux". La participation du public a "réellement pesé sur le processus décisionnel, comme l'atteste le protocole" conclu entre l'Etat et la région le 26 janvier dernier, a-t-il estimé. Pour toutes ces raisons, il n'a pas hésité à qualifier les deux débats d'"historiques et exemplaires". "Ecoutant les arguments développés au fil du déroulement des débats, l'Etat et la région ont croisé leurs chemins, a-t-il expliqué. Les débats ont conduit au compromis". Très vite en effet, "les mots de complémentarité, d'articulation entre les deux projets sont apparus à la fois pour pallier les problèmes de financement et pour des raisons de large convergence en terme de tracé", a-t-il poursuivi.
Les débats ont permis de "constater le très grand malaise qui existe aujourd'hui à propos d'un réseau qui a vieilli", malaise qui avait été "sous-évalué", a noté François Leblond, président de la commission du débat public sur le réseau de transport public du Grand Paris. Les Franciliens ont en particulier exprimé leur souci de voir "les transports existants améliorés", a souligné Jean-Pierre Richer, membre de la commission sur le projet Arc Express, mais aussi la nécessité d'"une rocade complète souterraine en proche couronne", d'une réflexion sur "l'avenir et le développement" de la région et d'un rapprochement des deux projets". Ils ont aussi dit leur inquiétude sur le fait de savoir qui assurera le financement des projets, aujourd'hui "fondé sur des hypothèses et non sur des ressources acquises", a ajouté Jean-Pierre Richer. Qui va finalement les prendre en charge : les usagers, les contribuables, les entreprises à travers les consommateurs ? La question a été souvent posée.
"Il appartient désormais aux maîtres d'ouvrage [la Société du Grand Paris-SGP et le Syndicat des transports d'Ile-de-France-Stif, NDLR] de décider des conditions et des modalités de la poursuite de leurs projets", a conclu Philippe Deslandes. Il a ainsi énuméré les points importants à traiter : confirmer les engagements du protocole Etat-région sur les transports publics, définir la clé de répartition de la maîtrise d'ouvrage entre le Stif et la SGP, lever ou confirmer le caractère "optionnel" de diverses gares, déterminer le site d'implantation de certaines, notamment à La Défense, répondre "de manière argumentée" aux demandes de liaisons et de gares supplémentaires ou de modification du site d'implantation de certaines stations émises pendant le débat public. Autre question à régler : définir les caractéristiques d'un arc Est proche depuis Saint-Pleyel ou Le Bourget jusqu'à Champigny via Val-de-Fontenay, Villiers-sur-Marne ou Noisy-le-Grand. L'opportunité de cet arc a été reconnue pendant le débat public et il devra une fois défini être soumis à concertation par le Stif ou la SGP. Enfin, il faudra encore dégager une solution pour la desserte du plateau de Saclay, principal point d'achoppement Etat-région dans le protocole d'accord signé fin janvier. 

Anne Lenormand