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Le décret relatif au classement des réseaux de chaleur enfin publié

Particulièrement attendu, le décret relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid vient d’être publié au Journal officiel. Véritable tournant positif pour les uns, le texte – plus que sensiblement remanié par rapport à la version soumise à consultation – n’emporte pour autant pas totalement la conviction d’autres, qui y décèlent quelques écueils.

Attendu, le décret relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid vient d’être publié au Journal officiel ce 27 avril. "Nous sommes contents qu’il sorte enfin", s’exclame Guillaume Perrin, chef du service des réseaux de chaleur et de froid de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), interrogé par Localtis.

Valse à trois temps

Ce décret constitue le troisième temps d’une valse engagée par la loi Énergie-climat du 8 novembre 2019 (voir notre article du 13 novembre 2019) et poursuivie par la loi Climat et Résilience du 22 août dernier (voir notre article du 17 décembre 2021).
La première classait automatiquement les réseaux alimentés à plus de 50% par une énergie renouvelable ou de récupération, pour lesquels un comptage des quantités d'énergie livrées par point de livraison est assuré et pour lesquels l'équilibre financier de l'opération pendant la période d'amortissement des installations est assuré au vu des besoins à satisfaire, de la pérennité de la ressource en énergie renouvelable ou de récupération, et compte tenu des conditions tarifaires prévisibles – sauf délibération motivée de la collectivité ou du groupement de collectivités compétents.
La seconde renvoyait le balancier dans l’autre sens, en limitant ce classement automatique aux seuls réseaux répondant en outre à la qualification de service public industriel et commercial (Spic). Elle renvoyait par ailleurs à un décret – que voici – la charge de définir la zone de développement prioritaire s’appliquant en l’absence de décision prise en la matière par les collectivités.
Soumis à consultation à la fin de l’an dernier (voir notre article du 2 décembre 2021), ce décret – plus que sensiblement modifié par rapport à cette version préparatoire, notamment sous l’impulsion du Conseil d’État – revoie à nouveau la donne. Par incidente, on déplorera qu’aucun des avis rendus sur ce texte par le Conseil supérieur de l’énergie, le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique et l’Autorité de la concurrence n’ait été publié, alors que d’autres avis plus récents de chacun de ces trois organismes sont d’ores et déjà disponibles. Et on relèvera que le Conseil national d’évaluation des normes s’est prononcé sur la version précédente du texte, et non sur celle finalement publiée... 

Un classement… par arrêté ministériel pour réseaux affectés au service public

Première surprise, le décret prévoit une étape supplémentaire à l’automaticité. Elle prend la forme d’un arrêté du ministre chargé de l’énergie déterminant les réseaux affectés au service public (exit la notion de Spic retenue dans le projet) de distribution de chaleur et de froid qui satisfont aux critères fixés au premier alinéa de l’article L. 712-1 du code de l’énergie, précisés par le décret. Un revirement par rapport au projet soumis à consultation, qui disposait que la commune, l’Epci ou le syndicat mixte était chargé du classement du réseau. "Une reprise en main du national sur le local", dixit Guillaume Perrin, qui n’emporte pas l’enthousiasme de la FNCCR. La fédération estime que cette nouvelle mesure, qui ne s’impose pas aux réseaux privés, ne semble pas être de nature à fluidifier le processus, et par là même à répondre aux objectifs fixés par le législateur. Pour Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce également interrogé par Localtis, il ne faut au contraire "pas faire la fine bouche, alors que ce décret constitue un véritable tournant. Jusqu’ici, pour l’élu local qui avait fait le choix courageux de créer un réseau de chaleur, c’était un véritable chemin de croix pour démontrer que son mode était le plus vertueux. Ce texte renverse aujourd’hui la charge de la preuve. Ce n’est plus à l’élu d’apporter la démonstration de l’efficacité de cette solution, désormais présumée".
Si la crainte redoutée est la lenteur administrative lors de l’éventuel examen des dossiers, on relèvera qu’en l’espèce un record a été battu puisque la liste des lauréats est connue le jour même où sont précisés les critères de sélection ! Un arrêté également publié ce 27 avril dresse en effet la liste des 550 réseaux retenus – dans les faits reprenant les données de l’arrêté dit DPE du 21 octobre dernier. "Ce qui laisse entendre que le seul critère véritablement déterminant, c’est le taux de 50% d’énergie renouvelable", estime-t-on chez Amorce.

Nouvelle dérogation à l’obligation de raccordement

Autre nouveauté, l’introduction d’une nouvelle possibilité de déroger à l’obligation de raccordement à un réseau classé – de toute installation d’un bâtiment neuf ou faisant l’objet de travaux de rénovation importants excédant un niveau de puissance de 30 kW (notions précisées par le décret), situé dans le périmètre de développement prioritaire – "lorsque le demandeur justifie de la disproportion manifeste du coût du raccordement et d’utilisation du réseau par rapport à d’autres solutions de chauffage et de refroidissement".
"Pourquoi pas", indique Guillaume Perrin, qui souligne que la question de l’introduction d’un critère économique a été âprement débattue, y compris au sein de la FNCCR. Mais il estime que cette analyse comparative sera à la charge de la collectivité, et que ses résultats pourront considérablement varier d’un territoire à l’autre, en fonction des variables retenues : dépenses d’investissement (capex) seules, ou complétées par les dépenses d’exploitation (opex), durée retenue pour la comparaison (d’amortissement ? autre ?)… Il pointe en outre que le texte ne précise nullement que cette comparaison devra se faire au regard des seules énergies renouvelables, "ce qui ne répond pas à la philosophie de la réforme du classement, qui vise à favoriser le développement de la chaleur renouvelable". Une disposition qui permettrait notamment à la filière gazière de rester dans le jeu.
Chez Amorce, on relativise là encore, relevant que le texte mentionne une "disproportion manifeste du coût de raccordement et d’utilisation du réseau", ce qui devrait selon l’association limiter les risques. Pour Nicolas Garnier, "le plus important pour l’heure, c’est que l’ensemble des élus soutiennent la démarche et ne s’opposent pas à ce classement. Nous invitons également les abonnés de ces réseaux à se mobiliser, ils y ont tout intérêt", précise-t-il. Il plaide également pour que "le doublement du fonds Chaleur annoncé par le candidat Macron serve deux causes prioritaires : d’une part, baisser le coût du raccordement à ces réseaux ; d’autre part, faciliter l’introduction des boucles d’eau chaude dans les logements qui en sont dépourvus. Ils sont malheureusement très nombreux, puisque plus de 80% des logements construits entre 2000 et 2020 l’ont été en privilégiant le chauffage individuel au gaz et à l’électricité. Grâce à ce texte, les aménageurs et promoteurs devront à l’avenir revoir leur méthode, le réseau de chaleur devenant prioritaire dès lors qu’il est majoritairement alimenté par du renouvelable. Mais il faut traiter le stock".

 
Références : décret n° 2022-666 du 26 avril 2022 relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid ; arrêté du 26 avril 2022 relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid, JO du 27 avril 2022, textes n°2 et 9.